Par
Rafaâ Ben Achour
Professeur émérite à l’Université de Carthage
Juge à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
Le règlement pacifique des
différends internationaux est un principe fondamental du droit et des relations
internationaux consacré par l’article 2§2 et par le chapitre VI de la Charte
des Nations unies et par plusieurs autres instruments internationaux.
Si les Etats recourent les
plus souvent aux modes politiques de règlement de leurs différends, surtout la
négociation ou le recours aux organismes internationaux, le recours aux
juridictions internationales, constitue le mode par excellence de règlement des
différends de nature juridique, c’est-à-dire portant sur des questions de
droit, notamment l’interprétation et l’application des conventions
internationales.
Les juridictions
internationales peuvent avoir différentes natures : elles peuvent être
générales, et c’est la cas le Cour internationale de justice (CIJ), organe
judicaire principal de l’ONU, ou spécialisées comme le Tribunal internationale
de droit de la mer, le tribunal administratif de l’ONU, ou, plus
spécifiquement, comme la Cour pénales internationale, étant précisé que cette
dernière n’est pas un organe de régiment des différends, mais un organe
répressif des crimes internationaux les plus graves.
La question
palestinienne a pendant longtemps été l’apanage des organes politiques
notamment, la SdN et l’ONU. En 1922, le territoire de la Palestine qui relevait
de l’Empire ottoman, est mis sous mandat britannique. Le mandat est formellement confirmé par la Société des
Nations le 24 juillet 1922 et prend effet le 29 septembre 1923. Il a pour but
de rendre effectifs l'article 22 du Pacte de la SdN et
les résolutions de San Remo du 25 avril 1920[1]. Le préambule reconnait la
responsabilité du Royaume-Uni dans l'application de la déclaration du 2
novembre 1917[2],
en accord avec les principales puissances alliées, afin de favoriser
l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif. En 1937, la
puissance administrante préconise une partition de la Palestine en deux
entités : un tiers de la Palestine à l’Etat juif qui, depuis la Galilée,
longerait la côte méditerranéenne jusqu’à Jaffa et Tel-Aviv d’une part, et un
Etat arabe lié au royaume hachémite de Transjordanie, comprenant la
Cisjordanie, la région du Néguev et le littoral de Gaza d’autre part[3].
Après la deuxième guerre mondiale l’ONU
s’empare de la question, et l’AG préconise elle-même un plan de partage
formalisé le
29 novembre 1947(1). Ce dernier a créé
deux États (État juif, État arabe) et érige Jérusalem en zone sous
administration internationale[4]. Depuis l’ONU a accaparé
la question palestinienne. Dans ce cadre, elle a demandé deux avis consultatifs
à la CIJ. Parallèlement, la question palestinienne a fait l’objet de deux
requêtes adressées à la CIJ par la voie contentieuse. Enfin, devant la CPI, une
enquête est en cours.
I.
LA QUESTION PALESTINIENNE DEVANT LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Nous envisagerons d’abord la
voie consultative (A) pour nous intéresser ensuite à la voie contentieuse (B)
A. La Voie consultative
Conformément à l’article 96 de la Charte des NU[5],
une procédure consultative est introduite devant la Cour par le moyen d'une
requête pour avis consultatif adressée au greffier par le Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies ou le directeur ou secrétaire général de
l'institution requérante. Afin d'être éclairée sur la question qui lui est
soumise, la Cour a la faculté d'organiser une procédure écrite et une procédure
orale. Les organisations et Etats autorisés à participer à la procédure peuvent
en principe soumettre des exposés écrits puis, si la Cour le juge nécessaire,
des observations écrites sur ces exposés.
Contrairement aux arrêts, et sauf les cas rares où il est expressément
prévu qu'ils auront force obligatoire[6],
les avis consultatifs de la Cour n'ont pas d'effet contraignant. Il appartient
aux institutions ou organes internationaux qui les ont demandés de décider, par
les moyens qui leur sont propres, de la suite à réserver à ces avis.
Dénués d'effet obligatoire, les avis consultatifs de la Cour n'en possèdent
pas moins une haute valeur juridique ainsi qu'une grande autorité morale. Ils
constituent souvent un instrument de diplomatie préventive et ont des vertus
pacificatrices. Les avis consultatifs contribuent également, à leur manière, à
l'éclaircissement et au développement du droit international et, par ce biais,
au renforcement des relations pacifiques entre les Etats
La question palestinienne a fait l’objet, à ce jour, de deux demandes
d’avis consultatif, toutes les deux formulées par l’AG des NU. La première
demande se rapporte aux conséquences
juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé. Elle a donné lieu à l’avis du 9 juillet 2004
(A). La deuxième concerne les Conséquences juridiques
découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien
occupé y compris Jérusalem est. Elle est encore pendante à ce jour (B).
a.
Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire
palestinien occupé
L’Assemblée générale des Nations Unies, par sa résolution ES-10/14 adoptée
le 8 décembre 2003 lors de sa dixième session extraordinaire d’urgence, a
décidé de soumettre à la Cour, pour avis consultatif, la question suivante :
Quelles sont en droit
les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en
train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à
l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans
le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du
droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949, et
les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et
l’Assemblée générale ?
La résolution demandait à la Cour de rendre « d’urgence » son avis. La Cour
a décidé que les Etats admis à ester devant elle, ainsi que la Palestine,
l’Organisation des Nations Unies, puis, à leur demande, la Ligue des Etats
arabes et l’Organisation de la Conférence islamique, étaient susceptibles de
fournir des renseignements sur la question, conformément aux paragraphes 2 et 3
de l’article 66 du Statut. Des exposés écrits ont été déposés par
quarante-quatre Etats, la Palestine et quatre organisations internationales,
dont l’Union européenne. Au cours de la procédure orale, qui s’est déroulée du
23 au 25 février 2004, douze Etats, la Palestine et deux organisations
internationales ont présenté des exposés oraux. La Cour a rendu son avis
consultatif le 9 juillet 2004.
La Cour a d’abord relevé que l’Assemblée générale, qui lui avait demandé
l’avis consultatif, était « autorisée à le faire en vertu du paragraphe 1
de l’article 96 de la Charte ». Elle a ensuite indiqué que la question qui
faisait l’objet de la demande relevait de la compétence de l’Assemblée
générale, conformément à l’article 10 et au paragraphe 2 de l’article 11 de la
Charte. Elle a en outre observé que l’Assemblée générale, en demandant un avis
à la Cour, n’avait pas outrepassé sa compétence telle que limitée par le
paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte, aux termes duquel l’Assemblée ne
doit faire aucune recommandation à l’égard d’un différend ou d’une situation
pour lesquels le Conseil de sécurité remplit ses fonctions, à moins que ce
dernier ne le lui demande. La Cour s’est par ailleurs référée au fait que
l’Assemblée générale avait adopté la résolution ES-10/14 lors de sa dixième
session extraordinaire d’urgence, convoquée sur la base de la résolution 377 A
(V), qui prévoit que, lorsque le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa
responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, l’Assemblée générale peut immédiatement examiner la question
afin de faire des recommandations aux Etats membres. Ecartant un certain nombre
d’objections d’ordre procédural, la Cour a constaté que les conditions prévues
par cette résolution avaient été remplies lors de la convocation de la dixième
session extraordinaire d’urgence, en particulier au moment où l’Assemblée
générale avait décidé de lui demander l’avis en question, le Conseil de
sécurité ayant été alors dans l’incapacité d’adopter une résolution portant sur
la construction du mur du fait du vote négatif d’un membre permanent. La Cour a
enfin rejeté les arguments selon lesquels un avis ne pouvait être donné en
l’espèce au motif que la demande ne portait pas sur une question juridique ou
que la question posée était abstraite ou politique.
Ayant établi sa compétence, la Cour s’est interrogée, dans un second temps,
sur l’opportunité de rendre l’avis sollicité. Elle a rappelé à ce propos que
l’absence de consentement d’un Etat à sa juridiction contentieuse était sans
effet sur sa compétence en matière consultative et que le fait de rendre un
avis n’avait pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement
judiciaire. La question qui avait fait l’objet de la demande s’inscrivait en
effet dans un cadre plus large que celui du différend bilatéral entre Israël et
la Palestine et intéressait directement l’Organisation des Nations Unies. La
Cour n’a pas retenu davantage l’argument selon lequel elle aurait dû s’abstenir
de donner l’avis sollicité au motif que celui-ci pouvait faire obstacle à un
règlement politique négocié du conflit israélo-palestinien. Elle a par ailleurs
affirmé disposer de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour lui
permettre de donner l’avis et précisé qu’il revenait à l’Assemblée générale
d’apprécier l’utilité de ce dernier. La Cour a finalement conclu de ce qui
précède qu’il n’existait aucune raison décisive l’empêchant de donner l’avis
demandé.
Examinant la licéité en droit international de l’édification du mur par
Israël dans le territoire palestinien occupé, la Cour a d’abord déterminé les
règles et principes de droit international applicables à la question posée par
l’Assemblée générale. La Cour a rappelé, en se référant au paragraphe 4 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies et à la résolution 2625 (XXV) de
l’Assemblée générale, les principes coutumiers de l’interdiction de la menace
et de l’emploi de la force et de l’illicéité de toute acquisition de territoire
par ces moyens. Elle a également cité le principe du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, qui a été consacré dans la Charte et réaffirmé par la
résolution 2625 (XXV). S’agissant du droit international humanitaire, la Cour a
mentionné les dispositions du règlement de La Haye de 1907, qui ont acquis un
caractère coutumier, ainsi que celles de la quatrième convention de Genève de
1949 applicables dans les territoires palestiniens s’étant trouvés, avant le
conflit armé de 1967, à l’est de la ligne de démarcation de l’armistice de 1949
(ou « Ligne verte ») et qui avaient, à l’occasion de ce conflit, été occupés
par Israël. La Cour a enfin relevé que des instruments relatifs aux droits de
l’homme (pacte international relatif aux droits civils, pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant) s’appliquaient dans le territoire
palestinien occupé.
La Cour a ensuite recherché si la construction du mur avait porté atteinte
aux règles et principes précédemment identifiés. Faisant observer que le tracé
du mur incorporait environ 80 % des colons installés dans le territoire
palestinien occupé, la Cour a rappelé, comme le Conseil de sécurité l’avait
fait à l’égard de la quatrième convention de Genève, que ces colonies avaient
été installées en méconnaissance du droit international. Ayant fait état de
certaines craintes exprimées devant elle que le tracé du mur préjugea la
frontière future entre Israël et la Palestine, la Cour a estimé que la
construction du mur et le régime qui lui était associé créaient sur le terrain
un « fait accompli » qui aurait pu devenir permanent et, de ce fait, équivaloir
à une annexion de facto. La Cour ayant relevé par ailleurs que le
tracé choisi consacrait sur le terrain les mesures illégales prises par Israël
concernant Jérusalem et les colonies de peuplement et avait conduit à de
nouvelles modifications dans la composition démographique du territoire
palestinien occupé, elle a conclu que la construction du mur, s’ajoutant aux
mesures prises antérieurement, dressait un obstacle grave à l’exercice par le
peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et violait de ce fait
l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit.
Examinant par ailleurs l’impact de la construction du mur sur la vie
quotidienne des habitants du territoire palestinien occupé, la Cour a considéré
que la construction du mur et le régime qui lui était associé étaient
contraires aux dispositions pertinentes du règlement de La Haye de 1907, ainsi
que de la quatrième convention de Genève, de même qu’ils entravaient la liberté
de circulation des habitants du territoire telle que garantie par le pacte
international relatif aux droits civils et politiques et l’exercice par les
intéressés de leurs droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau
de vie suffisant tels que proclamés par le pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux, culturels et la convention relative au droit de
l’enfant. La Cour a encore constaté que la construction du mur, combinée à
l’établissement de colonies de peuplement, et le régime qui lui était associé
tendaient à modifier la composition démographique du territoire palestinien
occupé et étaient de ce fait contraires à la quatrième convention de Genève et
aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Rejetant en outre les
clauses de limitation ou de dérogation invoquées devant elle et contenues dans
certains instruments du droit humanitaire et des droits de l’homme, lorsque des
impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public
l’exigent notamment, la Cour a indiqué qu’elle n’avait pas été convaincue que
la poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait
l’adoption du tracé choisi pour le mur, concluant à la violation par Israël, du
fait de la construction de ce dernier, de certaines de ses obligations en vertu
du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a enfin estimé qu’Israël
ne pouvait se prévaloir du droit de légitime défense et de l’état de nécessité,
comme excluant l’illicéité de la construction du mur, et a conclu, en
conséquence, que la construction du mur ainsi que le régime qui lui était
associé étaient contraires au droit international.
Procédant à l’examen des conséquences de ces violations, la Cour a rappelé
l’obligation pour Israël de respecter le droit à l’autodétermination du peuple
palestinien et les obligations auxquelles Israël était tenu en vertu du droit
humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a par ailleurs considéré
qu’Israël devait, avec effet immédiat, mettre un terme à la violation de ses
obligations internationales en cessant, d’une part, les travaux d’édification
du mur, en procédant, d’autre part, au démantèlement des portions de l’ouvrage
situées dans le territoire palestinien occupé et en abrogeant par ailleurs, ou
en privant d’effet, l’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés
en vue de l’édification du mur et la mise en place du régime qui lui était
associé. La Cour a souligné enfin l’obligation d’Israël de réparer tous les
dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales affectées par la
construction du mur. Concernant les conséquences juridiques pour les autres
Etats, la Cour a indiqué que tous les Etats étaient dans l’obligation de ne pas
reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur, de même
qu’ils ne devaient prêter aucune aide ou assistance au maintien de la situation
créée par cette construction. Elle a par ailleurs relevé qu’il appartenait à
chacun d’entre eux de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies
et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de
la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à
l’autodétermination. La Cour a en outre rappelé l’obligation qu’avaient les
Etats parties à la quatrième convention de Genève, dans le respect de la Charte
et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international
humanitaire incorporé dans cette convention. Concernant l’ONU, et spécialement
l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, la Cour a enfin estimé qu’ils
devaient tenir compte de l’avis consultatif rendu en examinant quelles
nouvelles mesures devaient être prises afin de mettre un terme à la situation
illicite en question.
La Cour a conclu en replaçant la construction du mur dans un contexte plus
général, en relevant, d’une part, l’obligation pour Israël et la Palestine de
respecter le droit international humanitaire et la nécessaire mise en œuvre de
bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et en
appelant, d’autre part, l’attention de l’Assemblée générale sur la nécessité
d’encourager les efforts en vue d’aboutir à une solution négociée, sur la base
du droit international, des problèmes pendants et à la constitution d’un Etat
palestinien.
b. Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans
le territoire palestinien occupé y compris Jérusalem est
Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a
adopté la résolution A/RES/77/247, dans laquelle, se référant à l’article 65 du
Statut de la Cour, elle prie la Cour internationale de Justice de donner un
avis consultatif.
Le
passage pertinent de la résolution se lit comme suit :
« L’Assemblée générale (…)
Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de
demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article
65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte
tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations
Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de
l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des
droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la
Cour le 9 juillet 2004 :
a)
Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël
du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa
colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé
depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition
démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de
l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle
incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a)
ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les
conséquences juridiques qui en découlent pour tous les Etats et l’Organisation
des Nations Unies ? »
La demande d’avis consultatif a été transmise à la Cour par le
Secrétaire général des Nations Unies par une lettre datée du 17 janvier 2023 et
reçue au Greffe le 19 janvier 2023.
Dans son ordonnance datée du 3 février 2023, la Cour a décidé « que
l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, ainsi que l’Etat
observateur de Palestine, [étaient] jugés susceptibles de fournir des
renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif ».
Elle a fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai dans
lequel des exposés écrits sur les questions pourraient être présentés à la Cour
conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut et au 25 octobre
2023 la date d’expiration du délai dans lequel les Etats ou organisations qui
auraient présenté un exposé écrit pourraient présenter des observations écrites
sur les exposés écrits faits par d’autres Etats ou organisations conformément
au paragraphe 4 de l’article 66 du Statut.
Conformément à l’article 66 de son Statut, la Cour a notamment
décidé que la Ligue des Etats arabes, l’Organisation de la Coopération
islamique, l’Union africaine, étaient susceptible de fournir des renseignements
sur les questions que lui a soumises l’Assemblée générale. Ces organisations
ont donc été autorisées à présenter, dans les délais fixés par la Cour dans son
ordonnance du 3 février 2023, c’est-à-dire avant le 25 juillet 2023 et le 25
octobre 2023 respectivement, un exposé écrit sur ces questions et des
observations écrites sur tout exposé écrit déposé par un Etat ou une
organisation.
57 exposés écrits ont été déposés au Greffe de la Cour, dans le
délai ainsi fixé par elle. Il s’agit des exposés des Etats suivants (selon l’ordre de réception) : la Türkiye, la
Namibie, le Luxembourg, le Canada, le Bangladesh, la Jordanie, le Chili, le
Liechtenstein, le Liban, la Norvège, Israël, l’Algérie, la Ligue des États
arabes, la République arabe syrienne, la Palestine, l’Organisation de la
coopération islamique, l’Égypte, le Guyana, le Japon, l’Arabie saoudite, le
Qatar, la Suisse, l’Espagne, la Fédération de Russie, l’Italie, le Yémen, les
Maldives, les Émirats arabes unis, Oman, l’Union africaine, le Pakistan,
l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la
Hongrie, le Brésil, la France, le Koweït, les États-Unis d’Amérique, la Chine,
la Gambie, l’Irlande, le Bélize, la Bolivie, Cuba, Maurice, le Maroc, la
Tchéquie, la Malaisie, la Colombie, l’Indonésie, le Guatemala, Nauru, Djibouti,
le Togo et les Fidji. En outre, la présidente de la Cour a décidé, à titre exceptionnel,
d’autoriser le dépôt tardif des exposés écrits du Sénégal, le 28 juillet 2023,
et de la Zambie, le 3 août 2023.
Le 23 octobre 2023. La Cour internationale de Justice a décidé de
tenir des audiences publiques consacrées à la demande d’avis consultatif sur
les Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans
le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui s’ouvriront le
lundi 19 février 2024 au Palais de la Paix, à La Haye.
C’est dans le cadre de cette procédure consultative qu’il y a lieu de
placer le communiqué alambiqué rendu public par le Ministère des affaires
étrangères le 10 janvier 2024 et qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité
plusieurs interrogations :
Dans le cadre
du soutien indéfectible de la Tunisie à la cause Palestinienne juste, il
importe au Ministère des Affaires Etrangères, de la Migration et des Tunisiens
à l’Etranger d’informer que suite aux instructions de M. le Président de la
République, la Tunisie s’est inscrite sur la liste des pays qui vont présenter
des exposés oraux devant la Cour Internationale de Justice, dans le cadre de
l'avis consultatif demandé par l'Assemblée Générale des Nations Unies, sur les
conséquences juridiques découlant de la violation persistante par l'entité
occupante du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, de son
occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées des territoires
palestiniens occupés, les mesures visant à modifier la composition démographique,
le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, ainsi que sur
l'impact des politiques et des pratiques de ladite entité sur le statut
juridique de l’occupation. L’exposé oral de la Tunisie sera élaboré par l’une
des compétences nationales en matière de Droit international. Les audiences des
exposés oraux débuteront, à partir du 19 février 2024, au siège de la Cour
internationale de Justice.
Ce choix
émane de la conviction de notre pays de l’importance symbolique de cet avis,
sollicité par l’organe onusien le plus représentatif auprès de l’instance
judiciaire principale des Nations Unies. Par ailleurs, cet avis dépasse
l’incrimination des massacres commis contre les civils à Gaza, abstraction
faite à la qualification juridique de ces massacres en tant que génocide, de
crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, pour inclure des questions
fondamentales et existentielles pour le peuple palestinien notamment son droit
à l'autodétermination et le statut juridique de l'occupation.
De plus, la
Tunisie ne souscrit à aucune action judiciaire intentée contre l'entité
occupante devant la Cour Internationale de Justice, considérant cela comme une
reconnaissance implicite de cette entité.
La première réflexion qui vient à l’esprit à la
lecture du communiqué concerne la dernière phrase. A en croire les rédacteurs
de ce texte, le fait pour la Tunisie de soutenir ou de s’associer à l’action
intentée par la République d’Afrique du sud contre Israël devant la Cour
internationale de justice équivaut à une reconnaissance de facto d’Israël. Au
regard de toutes les théories de la reconnaissance d’Etat, cette assertion est
non seulement erronée mais surtout absurde. Le MAE feint d’ignorer que la
Tunisie siège en même temps qu’Israël dans plusieurs organisations
internationales comme l’ONU et toute ces institutions spécialisées mais
également d’autres organisations non universelles comme l’Union pour la Méditerranée[7].
Ce qui est encore plus préoccupant dans ce communiqué,
c’est son ambivalence, notamment pour le commun des mortels. Il évoque le fait
que « la Tunisie s’est inscrite sur la liste des pays qui vont présenter
des exposés oraux devant la Cour Internationale de Justice, dans le cadre de
l'avis consultatif demandé par l'Assemblée Générale des Nations Unies ».
Il est évident que le lecteur lambda ne fait pas la différence entre les
différentes procédures engagées devant la CIJ, ensuite et surtout, quelle est
la différence entre la participation à la procédure consultative et le soutien à l’action contentieuse ?
B.
La voie contentieuse
Dans l'exercice de sa compétence en matière contentieuse, la Cour
internationale de Justice règle, conformément au droit international, les
différends juridiques qui lui sont soumis par les Etats. Un différend juridique
peut être défini comme un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d'intérêts.
Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour. Les
organisations internationales, les collectivités et les personnes physiques ne
sont pas habilitées à introduire une instance devant la Cour.
La compétence de la Cour en matière contentieuse se fonde sur le
consentement des Etats auxquels elle est ouverte1. La forme suivant
laquelle ce consentement est exprimé détermine la manière dont la Cour peut
être saisie d'une affaire. En effet, la Cour peut être suivi en vertu d’un compromis[8]
ou en vertu de traités et conventions comportant une clause compromissoire[9]
ou, en vertu de la clause Juridiction obligatoire sur des différends d'ordre
juridique[10]
ou, enfin d’un Forum prorogatum[11].
A ce jour, la CIJ a été saisie de deux affaires contentieuses concernant
l’affaire palestinienne. Toutes les deux sont encore pendantes. La première a
été introduite par l’Etat de Palestine contre les Etats-Unis concernant le
transfert de l’Ambassade des Etats-Unis à Jérusalem (a). La deuxième est la
toute récente requête présentée par la République d’Afrique du sud contre
Israël concernant l’application et l’interprétation de la Convention sur la
prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (b).
a. Le transfert de l’Ambassade des Etats-Unis à Jérusalem
Le,
le 28 septembre 2018, l’Etat de Palestine a introduit une instance contre les
Etats-Unis d’Amérique devant la Cour internationale de Justice (CIJ) au sujet
d’un différend concernant des violations alléguées de la convention de Vienne
sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961.
Il
est rappelé dans la requête que, le 6 décembre 2017, le président des
Etats-Unis a reconnu Jérusalem en tant que capitale d’Israël et annoncé le transfert
de l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem. L’ambassade
américaine à Jérusalem a été inaugurée le 14 mai 2018. La Palestine soutient
qu’il découle de la convention de Vienne que la mission diplomatique d’un Etat
accréditant doit être établie sur le territoire de l’Etat accréditaire. Selon
elle, compte tenu du statut spécial de cette ville, « [l]e transfert de
l’ambassade des Etats-Unis en Israël [à] Jérusalem constitue une violation de
la convention de Vienne ».
Pour
fonder la compétence de la Cour, le demandeur invoque l’article premier du
protocole de signature facultative à la convention de Vienne concernant le
règlement obligatoire des différends. Il note que la Palestine a adhéré à la
convention le 2 avril 2014 et au protocole le 22 mars 2018, les Etats-Unis
d’Amérique étant partie à ces deux instruments depuis le 13 novembre 1972. Le
demandeur déclare en outre que, le 4 juillet 2018, « conformément à la
résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité et au paragraphe 2) de l’article 35
du Statut de la Cour, [il a présenté] une « Déclaration reconnaissant la
juridiction de la Cour internationale de Justice » pour tous différends nés ou
à naître relevant des articles premier et II du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne ».
Au
terme de sa requête, la Palestine « prie la Cour de dire que le transfert, dans
la ville sainte de Jérusalem, de l’ambassade des Etats-Unis en Israël constitue
une violation de la convention de Vienne ». Il prie également la Cour de « prescrire
aux Etats-Unis d’Amérique de retirer la mission diplomatique de la ville sainte
de Jérusalem et de se conformer aux obligations internationales qui découlent
de la convention de Vienne ». Enfin, le demandeur « prie la Cour de prescrire
aux Etats-Unis d’Amérique de prendre toutes les mesures nécessaires pour se
conformer à leurs obligations, de s’abstenir de prendre quelque nouvelle mesure
qui constituerait une violation de ces obligations et de fournir des assurances
et garanties de non-répétition de leur comportement illicite ».
Par
ordonnance en date du 15 novembre 2018, la Cour a décidé que les pièces de la
procédure écrite porteraient d’abord sur les questions de la compétence de la
Cour et de la recevabilité de la requête. Elle a fixé au 15 mai 2019 et au 15
novembre 2019, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt
d’un mémoire par l’Etat de Palestine et d’un contre-mémoire par les Etats-Unis
d’Amérique.
Il
est rappelé dans l’ordonnance que l’Etat de Palestine entend fonder la
compétence de la Cour sur l’article premier du protocole de signature
facultative à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques
concernant le règlement obligatoire des différends (1961), auquel l’Etat de
Palestine a adhéré le 22 mars 2018.
Il
est indiqué dans l’ordonnance que, par une lettre en date du 2 novembre 2018,
Mme Jennifer G. Newstead, conseiller juridique du département d’Etat des
Etats-Unis, a informé la Cour que, le 13 mai 2014, comme suite à la «prétendue
accession» du demandeur à la convention de Vienne, les Etats-Unis avaient
adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une
communication dans laquelle ils déclaraient ne pas s’estimer liés par une
relation conventionnelle avec le demandeur au titre de la convention de Vienne;
qu’elle a ajouté que, le 1er mai 2018, comme suite à la «prétendue accession»
du demandeur au protocole de signature facultative, les Etats-Unis avaient
adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une
communication similaire dans laquelle ils déclaraient ne pas s’estimer liés par
une relation conventionnelle avec le demandeur au titre du protocole de
signature facultative; que, dans sa lettre, Mme Newstead a relevé que le
demandeur avait été au courant de ces communications avant de soumettre sa
requête à la Cour; et qu’elle a conclu que, selon les EtatsUnis, «il [était]
manifeste que la Cour n’a[vait] pas compétence pour connaître de la requête» et
que l’affaire devait être rayée du rôle.
De
même et par une lettre datée du même jour, Mme Newstead a informé le Greffe que
les Etats-Unis ne prendraient pas part à la réunion que le président avait
proposé de tenir le 5 novembre 2018 avec les représentants des Parties.
Le 5
novembre 2018, le président de la Cour a rencontré les représentants de la
Palestine. Lors de cette réunion, la Palestine a indiqué souhaiter que la Cour
lui adjuge ses conclusions et a exprimé une nette préférence pour la
présentation d’un mémoire traitant à la fois de la compétence de la Cour et du
fond, au motif que ces deux aspects étaient à son sens étroitement liés, en
précisant qu’elle aurait besoin d’un délai de six mois pour l’élaboration de
ladite pièce. La Palestine a ajouté que, dans l’hypothèse où la Cour prescrirait
un premier tour de procédure écrite consacré exclusivement à la question de sa
compétence, un délai de six mois serait pareillement nécessaire aux fins de
l’élaboration de sa pièce sur cette question.
La
Cour, se référant au paragraphe 2 de l’article 79 de son Règlement, a estimé
que, « dans les circonstances de l’espèce et eu égard notamment au fait
que, selon les Etats-Unis, la Cour est manifestement dépourvue de compétence
pour connaître de la requête de la Palestine, il est nécessaire de régler en premier
lieu les questions de sa compétence et de la recevabilité de la requête, et
qu’en conséquence il doit être statué séparément, avant toute procédure sur le
fond, sur ces questions [et] qu’il échet à la Cour d’être informée de tous les
moyens de fait et de droit sur lesquels les Parties se fondent en ce qui
concerne sa compétence et la recevabilité de la requête.
En
conséquence, la Cour a décidé que les pièces de la procédure écrite porteront
d’abord sur les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de
la requête et fixé comme suit les dates d’expiration des délais pour le dépôt
de ces pièces : Pour le mémoire de l’Etat de Palestine, le 15 mai 2019; Pour le
contre-mémoire des Etats-Unis d’Amérique, le 15 novembre 2019.
A ce
jour l’affaire est en l’état et aucune information n’est disponible pour savoir
si les parties ont déposé leurs mémoires.
b. L’application et l’interprétation de la Convention sur la prévention et la
répression du crime de génocide dans la bande de Gaza
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé devant la Cour
internationale de Justice une requête introductive d’instance contre l’État
d’Israël au sujet de supposés manquements par cet État aux obligations qui lui
incombent au titre de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide en ce qui concerne les Palestiniens dans la bande de Gaza.
Dans sa requête, l’Afrique du Sud affirme que
les actes et
omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire, car ils s’accompagnent de
l’intention spécifique requise … de détruire les Palestiniens de Gaza en tant
que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens »
et que, « par son comportement — par l’intermédiaire de ses organes et agents
et d’autres personnes et entités agissant sur ses instructions ou sous sa
direction, son contrôle ou son influence — à l’égard des Palestiniens de Gaza,
Israël manque aux obligations qui lui incombent au titre de la convention
contre le génocide ». La demanderesse avance également qu’« Israël, en
particulier depuis le 7 octobre 2023, manque à son obligation de prévenir le
génocide, ainsi qu’à son obligation de punir l’incitation directe et publique à
commettre le génocide », et « s’est livré, se livre et risque de continuer à se
livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza.
L’Afrique du Sud entend fonder la compétence de la Cour sur le
paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour et sur l’article IX de la
convention contre le génocide, à laquelle Israël et elle-même sont tous deux
parties.
1.
La
demande en indication de mesures conservatoires
La requête contient également une demande en indication de mesures
conservatoires, déposée conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux
articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
Selon une jurisprudence constante, « le pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son Statut a pour
objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de l’affaire,
les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se
préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle
aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des
parties »[12].
L’Afrique du Sud y prie la Cour d’indiquer des mesures
conservatoires comme « protection contre un nouveau préjudice grave et
irréparable aux droits que le peuple palestinien tient de la convention contre
le génocide », et de « faire en sorte qu’Israël respecte les obligations que
lui fait la convention de ne pas commettre de génocide, et de prévenir et de
punir le génocide ». Aux termes de l’article 74 du Règlement de la Cour, « [l]a
demande en indication de mesures conservatoires a priorité sur toutes autres
affaires ».
Les 11 et 12 janvier 2024, la Cour a tenu deux audiences publiques
pendant lesquelles elle a écouté les plaidoiries de deux parties sur la demande
de mesures conservatoires.
Au terme des audiences, l’agent de l’Afrique du Sud et le coagent
d’Israël ont présenté les demandes suivantes à la Cour :
Position de l’Afrique du Sud :
« L’Afrique du Sud, en qualité d’État partie à la convention sur la
prévention et la répression du crime de génocide, prie respectueusement la Cour
d’indiquer de toute urgence, dans l’attente de sa décision au fond dans la
présente affaire, les mesures conservatoires suivantes en ce qui concerne le
peuple palestinien en tant que groupe protégé par ladite convention.
Ces
mesures sont directement liées aux droits qui constituent l’objet du différend
opposant l’Afrique du Sud et Israël :
1)
L’État d’Israël doit suspendre immédiatement ses opérations militaires à et
contre Gaza.
2)
L’État d’Israël doit veiller à ce qu’aucune unité militaire ou unité armée
irrégulière qui agirait sous sa direction, avec son appui ou sous son
influence, ainsi qu’aucune organisation ou personne qui se trouverait sous son
contrôle, sa direction ou son influence, n’entreprenne une quelconque action
visant à poursuivre les opérations militaires mentionnées au point 1)
ci-dessus.
3)
La République sud-africaine et l’État d’Israël doivent, conformément aux
obligations que leur fait la convention sur la prévention et la répression du
crime de génocide, prendre chacun, en ce qui concerne le peuple palestinien,
toutes les mesures raisonnables en leur pouvoir pour prévenir le génocide.
4)
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations que lui fait la convention
sur la prévention et la répression du crime de génocide, en ce qui concerne le
peuple palestinien en tant que groupe protégé par ladite convention, s’abstenir
de commettre l’un quelconque des actes visés à l’article II de la convention,
en particulier :
a) le meurtre de membres du groupe ;
b)
les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions
d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.
5)
L’État d’Israël doit, en application du point 4) c) ci-dessus, en ce qui
concerne les Palestiniens, s’abstenir de commettre l’un quelconque des actes
ci-après, et prendre toutes les mesures en son pouvoir, y compris l’annulation
des ordres et mesures de restriction ou d’interdiction voulus, pour en prévenir
la commission :
a) expulser les populations de chez elles et les déplacer de force
;
b) priver les populations :
i) d’un accès approprié à l’eau et à la nourriture,
ii)
d’un accès à l’aide humanitaire, notamment en ce qui concerne les besoins en
combustible, abris, vêtements, hygiène et assainissement,
iii) de soins de santé et de fournitures médicales ; et
c) détruire la vie palestinienne à Gaza.
6)
L’État d’Israël doit, en ce qui concerne les Palestiniens, veiller à ce
qu’aucune de ses unités militaires, aucune unité armée irrégulière ou personne
qui agirait sous sa direction, avec son appui ou en étant d’une autre manière
influencée par lui, et aucune organisation ou personne qui se trouverait sous
son contrôle, sa direction ou son influence ne commette l’un quelconque des
actes visés aux points 4) et 5) - 3 - ci-dessus ou ne se livre à un quelconque
acte constitutif d’incitation directe et publique à commettre le génocide,
d’entente en vue de commettre le génocide, de tentative de génocide ou de
complicité dans le génocide, et veiller à ce que, si de tels actes sont commis,
des mesures soient prises pour en punir les auteurs, conformément aux articles
premier, II, III et IV de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide.
7)
L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la
destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux
allégations d’actes relevant de l’article II de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide ; à cette fin, il doit
s’abstenir de refuser ou de restreindre l’accès à Gaza des missions
d’établissement des faits, titulaires de mandats internationaux et autres
organismes chargés d’aider à la protection et à la conservation desdits
éléments de preuve.
8)
L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures
qu’il aura prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures
conservatoires, dans un délai d’une semaine à compter de la date de celle-ci,
puis à intervalles réguliers, tels que fixés par la Cour, jusqu’à ce qu’une
décision ait été définitivement rendue en l’affaire. Les rapports devront être
publiés par la Cour.
9)
L’État d’Israël doit s’abstenir de commettre, et faire en sorte de prévenir,
tout acte susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant la Cour
ou d’en rendre le règlement plus difficile. »
Position d’Israël :
« Conformément au paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la
Cour, et pour les motifs exposés au cours de l’audience du 12 janvier 2024,
ainsi que pour tous autres motifs que la Cour pourrait juger appropriés, l’État
d’Israël prie celle-ci :
1)
de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires soumise par
l’Afrique du Sud ; et
2)
de radier l’affaire de son rôle. »
L’affaire portée par l’Afrique du sud contre Israël a été précédée
par d’autres affaires concernant d’autres Etats sur l’application et
l’interprétation de la convention contre le Génocide. En effet, la Cour
a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la convention de 1948, que ce soit au
titre de la compétence consultative (Réserves à la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 1951, p. 15) ou contentieuse dans les affaires suivantes :
- Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro). L’affaire introduite en 1993 a
donné lieu à deux ordonnances en indication de mesures provisoires, le 8
avril et le 13 septembre 1993 ; un arrêt sur les exceptions préliminaires
le 11 juillet 1996 et un arrêt au fond le 26 février 2007.
-
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Croatie c. Serbie). L’affaire introduite le 2
juillet 1999 a donné lieu à un arrêt le 18 novembre 2008 sur les exceptions préliminaires et un arrêt le 3 février
2015 sur le fond.
-
Allégations
de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie : 32 États intervenants)[13]. L’affaire introduite le 27 février 2022 est encore pendante.
Elle a donné lieu à une ordonnance en indication de mesures conservatoires le 16 MARS 2022 et
à un arrêt sur les exceptions préliminaires le 2 février 2024.
-
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide (Gambie c. Myanmar). L’affaire introduite le 11
novembre 2019 est encore pendante. Elle a donné lieu à une ordonnance
en indication de mesures provisoires le 23 janvier 2020 et un arrêt
le 22 juillet 2022 sur les exceptions préliminaires.
A la lumière de toutes ces affaires portant
pratiquement sur l’application et l’interprétation de la même convention, il y
a lieu de souligner que l’affaire de l’Afrique du sud contre Israël connaitra
le même cheminement, à savoir : une ou plusieurs ordonnances en indication
de mesures provisoires, un arrêt sur les exceptions préliminaires et un arrêt
au fond dans le meilleur des cas dans quatre ans.
2. L’ordonnance du 26 janvier 2024 en indication
de mesures conservatoires
14 jour après la clôture des plaidoiries, la CIJ a rendu son ordonnance en
indication de mesure provisoires à la quasi-unanimité des juges. Seuls la juge
ougandaise, Mme Sebutinde[14] et le
juge ad hoc israélien M. Barak ont voté contre les paragraphes 1, 2, 5 et
6 paragraphes du dispositif de l’ordonnance ; alors que seule Mme
Sebutinde a voté contre tous les paragraphes du dispositif[15].
Avant
d’en arriver aux demandes formulées par l’Afrique du sud, la Cour s’est
prononcée dans un premier temps sur sa compétence prima facie. Pour cela, elle
devait s’assurer de l’existence d’un différend entre l’Afrique du sud et Israël
et ce conformément à l’article XI de la convention sur le génocide qui
« subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un différend relatif
à l’interprétation, l’application ou l’exécution dudit instrument » (§19).
A cet effet, la Cour « rappelle que, pour déterminer s’il existait un différend entre les
Parties au moment du dépôt de la requête, elle tient compte notamment de toute
déclaration ou de tout document échangé entre les Parties, ainsi que de tout
échange ayant eu lieu dans des enceintes multilatérales » (§25). Elle
constate, d’une part que l’Afrique du sud « a fait, dans différentes
enceintes multilatérales et bilatérales, des déclarations publiques dans
lesquelles elle a dit estimer, au vu de la nature, de la portée et de l’ampleur
des opérations militaires menées par Israël à Gaza, que les actions de celui-ci
étaient constitutives de manquements à ses obligations au regard de la
convention sur le génocide » (§26) et que d’autre part, Israël « a
écarté toute accusation de génocide dans le contexte du conflit à Gaza »
(§27). De cette opposition «la Cour considère que les Parties semblent avoir
des points de vue nettement opposés quant à la question de savoir si certains
actes ou omissions reprochés à Israël à Gaza sont constitutifs de manquements
par celui-ci aux obligations prévues par la convention sur le génocide »
(§28). A la lumière de cela, « la Cour
[devait] établir si les actes et omissions dont le demandeur tire grief
semblent susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention sur le
génocide […]. De l’avis de la Cour, au moins certains des actes et omissions
que l’Afrique du Sud reproche à Israël à Gaza semblent susceptibles d’entrer
dans les prévisions de la convention » (§30). Par conséquent « la Cour
conclut que, prima facie, elle a compétence en vertu de l’article IX de
la convention sur le génocide pour connaître de l’affaire ».
Quant
à la qualité pour agir de l’Afrique du sud, « la Cour a
conclu que tout État partie à la convention sur le génocide peut invoquer la
responsabilité d’un autre État partie, notamment par l’introduction d’une
instance devant la Cour, en vue de faire constater le manquement allégué de ce
dernier à des obligations erga omnes partes lui incombant au titre de la
convention et d’y mettre fin ».
Pour
indiquer les mesures provisoires, la Cour se base sur des rapports d’organes
compétents des NU. Elle « note que l’opération militaire conduite par Israël à la suite de
l’attaque du 7 octobre 2023 a fait de très nombreux morts et blessés et causé
la destruction massive d’habitations, le déplacement forcé de l’écrasante
majorité de la population et des dommages considérables aux infrastructures
civiles. Même si les chiffres relatifs à la bande de Gaza ne peuvent faire
l’objet d’une vérification indépendante, des informations récentes font état de
25 700 Palestiniens tués, de plus de 63 000 autres blessés, de plus de 360 000
logements détruits ou partiellement endommagés et d’environ 1,7 million de
personnes déplacées à l’intérieur de Gaza (voir Bureau de la coordination des
affaires humanitaires de l’Organisation des Nations Unies (OCHA), Hostilities
in the Gaza Strip and Israel reported
impact, Day 109 (24 Jan. 2024)) » (§40).
Les
mesures prononcées par la Cour, même si elles ne reprennent pas in extenso,
les demandes de l’Afrique du sud vont dans leur direction. En conséquence, la
Cour a prononcé les mesures suivantes :
« 1. L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant
au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la
commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le
champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes
suivants :
a) meurtre de
membres du groupe ;
b) atteinte
grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures
visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
2) Par quinze voix contre
deux, L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne
commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;
3) Par seize voix contre une, L’État d’Israël doit prendre toutes
les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et
publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des
Palestiniens de la bande de Gaza ;
4) Par seize voix contre une, L’État d’Israël doit prendre sans
délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base
et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux
difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la
bande de Gaza ;
5) Par quinze voix contre deux, L’État d’Israël doit prendre des
mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des
éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ
d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des
Palestiniens de la bande de Gaza ;
6) Par quinze voix contre deux, L’État d’Israël doit soumettre à la
Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet
à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de
celle-ci. »
La première mesure a une grande portée et emporte des conséquences
importantes. En effet, le fait que la Cour ordonne à Israël de
« prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à
l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ
d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes
suivants : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité
physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du
groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle ; et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du
groupe » implique ipso facto qu’Israël arrête ses frappes
aériennes et ses attaques terrestres et
maritimes, sinon on voit mal comment on parviendrait à éviter le meurtre de
membres du groupe, etc. avec la poursuite de l’offensive armée israélienne. Il en est de même pour la
deuxième mesure qui demande à Israël de « veiller, avec effet immédiat[16],
à ce que son armée ne commette aucun » de ces actes. Cette deuxième mesure
donne un sens à l’initiative prise par le Secrétaire général des NU, qui, sitôt
l’ordonnance émise, a pris ses responsabilités en transmettant l’ordonnance au
CS[17].
L’ordonnance est en soi exécutoire, mais l’initiative du SG semble indiquer que
ce dernier voudrait que le CS saisisse cette base juridique pour enfin,
ordonner un cessez-le-feu immédiat. Quant à la sixième mesure relative à la
soumission d’un rapport dans un délai d’un mois à partir de la date de
l’ordonnance, elle constitue un moyen de pression supplémentaire pour assurer
l’effectivité de la décision.
Plusieurs voix ont reproché à la Cour de n’avoir pas ordonné un
cessez- le- feu. Pourtant, l’attitude de la Cour est compréhensible. En effet, une telle mesure ne peut
être ordonnée qu’entre deux belligérants ; or seul Israël est partie à
l’instance, alors que Hamas, entité non-étatique, en est absente de l’instance
et ne peut être partie dans une affaire traitée devant une juridiction interétatique.
Par ailleurs, cette question dépassait la compétence, même établie prima facie, de la CIJ : celle-ci est saisie sur
la base de la convention contre le génocide. Elle ne pouvait donc statuer que
sur la question de savoir s’il existe un différend juridique entre l’Afrique du
sud et Israël sur l’interprétation et l’application de cette convention et ce,
contrairement à l’affaire, portant la même convention, opposant l’Ukraine à la
Russie et qui a donné lieu à une mesure ordonnant suspension de
l’opération russe[18].
Bien évidemment, Israël par les voix de son premier ministre et de
son ministre de la défense ont affirmé leur intention de poursuivre leurs
opérations militaires à Gaza et ont accusé la CIJ de partialité, voire
d’antisémitisme. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une décision,
fut-elle conservatoire ne préjugeant pas du fond de l’affaire, salutaire pour
la cause palestinienne non seulement sur le plan des principes juridiques, mais
également sur le plan politique. Elle donne à la question palestinienne une
nouvelle légitimité et de nouvelles perspectives.
II.
LA COUR PENALE IINTERNATIONALE
La Cour
pénale internationale (CPI) est
une juridiction pénale internationale permanente
à vocation universelle qui peut exercer sa compétence à l'égard des
personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale, au
sens du Statut. Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales. La
compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale. En vertu du Statut, la Cour a
compétence à l'égard des crimes suivants : a) Le crime de génocide ; b) Les
crimes contre l'humanité ; c) Les crimes de guerre ; d) Le crime d'agression. [19].
Le Statut
de Rome est le traité international qui a fondé la Cour pénale
internationale. Il est adopté lors d'une conférence diplomatique qui se déroule
du 15 juin au 17 juillet 1998 à Rome. Il entre en
vigueur le 1er juillet 2002, après
sa ratification par 60 États[20].
La compétence de la Cour n’étant pas rétroactive, elle traite les crimes
commis à compter de cette date[21].
La Cour peut
exercer sa compétence à l'égard de l’un de ces quatre crimes de trois manières
: a) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent
avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie, comme prévu à
l'article 14 ; b) Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes
paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité
agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou c) Si le
Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l'article
15
Concernant
la Palestine, deux renvois ont été adressés au Procureur de la Cour. L’un
émanant de l’Etat de Palestine relativement aux crimes relevant
de la compétence de la Cour qui auraient été commis dans le cadre de la
situation depuis le 13 juin 2014 (A). L’autre émanant de cinq Etats
relativement à la situation dans la Bande de Gaza suite aux opérations
israéliennes déclenchées depuis le 7 octobre 2023 (B).
A. Crimes relevant de la compétence de la Cour qui
auraient été commis dans le cadre de la situation depuis le 13 juin 2014
a. L’ouverture d’une enquête
Une
enquête a été ouverte sur les Crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été
commis dans le cadre de la situation depuis le 13 juin 2014, date mentionnée dans le renvoi de la situation adressé au
Bureau du Procureur. En
effet, le 3 mars 2021, le
Procureur, Fatou Ben Souda a annoncé[22] l'ouverture d'une enquête sur la situation dans l'État
de Palestine. Cette annonce faisait suite à la décision rendue par la Chambre
préliminaire I le 5 février 2021, laquelle a estimé que la Cour
pouvait exercer sa compétence pénale dans la situation en cause, et a statué, à
la majorité de ses juges, que sa compétence territoriale[23].
Le 1er janvier
2015, le Gouvernement palestinien (la « Palestine ») a déposé une
déclaration en vertu de l'article 12-3 du Statut de Rome reconnaissant la
compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés
commis « sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est,
depuis le 13 juin 2014 ».
Le
2 janvier 2015, la Palestine a adhéré au Statut de Rome en déposant son
instrument d'adhésion auprès du Secrétaire général de l'ONU. Le Statut de Rome
est entré en vigueur le 1er avril 2015 à l'égard de la
Palestine.
Le
16 janvier 2015, le Procureur a annoncé l'ouverture d'un examen
préliminaire concernant la situation dans l'État de Palestine afin de
déterminer si les critères définis par le Statut de Rome pour l'ouverture d'une
enquête étaient remplis. Plus précisément, en vertu de l'article 53‑1 du
Statut de Rome, le Procureur doit tenir compte des questions de compétence, de
recevabilité et des intérêts de la justice pour prendre cette décision.
Le
22 mai 2018, en vertu des articles 13‑a et 14 du Statut de Rome, le
Gouvernement palestinien a déféré au Procureur la situation en Palestine[24] depuis
le 13 juin 2014, sans préciser de date d'échéance[25].
Le
20 décembre 2019, le Procureur a
annoncé qu'au terme d'un examen approfondi, mené
en toute indépendance et objectivité, de l'ensemble des renseignements fiables
qui sont en la possession de son Bureau, ce dernier est parvenu à la conclusion
que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l'ouverture d'une
enquête étaient remplis.
Cependant,
compte tenu de la complexité des questions factuelles et de droit liées à la
situation en Palestine, le Procureur a annoncé son intention de demander aux
juges de la Chambre préliminaire I de se prononcer clairement sur
l'étendue de la compétence territoriale de la Cour dans le cadre de cette
situation. Dans sa demande datée du 22 janvier 2020, le Bureau a alors
exposé sa position quant au droit et a invité la Chambre à s'enquérir des
opinions et des arguments de l'ensemble des parties prenantes avant de se
prononcer sur la question spécifique de compétence dont elle était saisie.
b.
L’arrêt
de la Chambre préliminaire I
Dans sa demande datée du 22 janvier 2020, le Procureur a exposé
dans le détail de sa position quant au droit et invité la Chambre à s'enquérir
des opinions et des arguments de l'ensemble des parties prenantes avant de se
prononcer sur la question spécifique de compétence dont elle était saisie, et
c'est ce qu'elle a fait après avoir pris connaissance des vues de chacun.
Le 5 février 2021, la Chambre a statué, à la majorité de ses
juges, que la Cour pouvait exercer sa compétence pénale dans la situation en
Palestine et que sa compétence territoriale s'étendait à Gaza et à la
Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Dans cette décision rendue à la majorité,
la Chambre a insisté sur le fait qu'elle n'avait pas vocation à déterminer si
la Palestine était un État au vu du droit international public, ni à se
prononcer sur un différend frontalier ou à préjuger de la question d'éventuelles
futures frontières. Sa décision avait pour seul objectif de définir la portée
de la compétence territoriale de la Cour, pour les besoins du Statut de Rome,
tel qu'il le lui avait été demandé. Les questions sur lesquelles la Chambre ne
s'est pas prononcée et à propos desquelles mon Bureau n'a pas pris position
devront être déterminées par les autorités israéliennes et palestiniennes, lors
de discussions bilatérales en vue d'un accord.
B. Le renvoi émanant de cinq États parties sur la situation
dans l’État de Palestine
Le 17
novembre 2023, le Bureau du Procureur, Karim Khan, a reçu, sur la base des
articles 13(a)[26]
et 14[27]
du Statut de Rome un renvoi concernant la situation dans l'État de
Palestine, émanant de 5 Etats, à savoir : l'Afrique du Sud, du Bangladesh,
de la Bolivie, des Comores et de Djibouti.
Dès
réception du renvoi, le Procureur a confirmé qu'il menait actuellement une
enquête sur la situation dans l'État de Palestine, qui reste en cours et
s'étend à l'escalade des hostilités et de la violence depuis les attaques
survenues le 7 octobre 2023.
Le 18
janvier 2024, la République du Chili et les États-Unis mexicains ont
soumis un renvoi
additionnel au Procureur concernant la situation en Palestine faisant
actuellement l’objet d’une enquête, et ont réitéré leur engagement à coopérer
avec la Cour.
Conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, un État
partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs
crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et le
prier d’enquêter sur la situation afin de déterminer si une ou plusieurs
personnes identifiées devraient être accusées de ces crimes.
Après ce renvoi, le Bureau du Procureur n’a pas dissocié la situation née
après le 7 octobre 2023 de la situation précédente. Il a confirmé qu’il mène
actuellement une enquête sur la situation dans l’État de Palestine qui a débuté
le 3 mars 2021 et porte sur des faits remontant au 13 juin 2014 à
Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, qui pourraient constituer
des crimes relevant du Statut de Rome.
Pour le Bureau de Procureur, cette situation se poursuit et s’étend à
l'escalade des hostilités et de la violence depuis les attentats du
7 octobre 2023. Pour lui, conformément au Statut de Rome, le Bureau est
compétent pour connaître des crimes commis sur le territoire d’un État partie
et par les ressortissants d’un tel État.
Lors de sa visite au point de passage de Rafah, le 29 octobre 2023, le Procureur
Karim Khan[28],
a précisé qu’une équipe dédiée à l’enquête relative à la situation dans l’État
de Palestine s’efforce, conformément à son mandat, de recueillir, de préserver
et d’analyser les informations et les communications transmises par les
principales parties prenantes concernant les faits pertinents[29].
D’après lui, le Bureau a recueilli un volume important d’informations et de
preuves, notamment par le biais de renseignements transmis via OTP Link, la
plateforme sécurisée de transmission d’informations. Le procureur réitère mon
appel à l’intention de tous ceux qui ont des renseignements pertinents et les
invite à prendre contact avec son Bureau.
Le Bureau du Procureur s’est engagé à poursuivre son dialogue avec tous les
acteurs concernés, qu’il s'agisse des autorités nationales, de la société
civile, des groupes de survivants ou des partenaires internationaux, afin de
faire avancer cette enquête.
Il s’est engagé à poursuivre également ses efforts pour se rendre dans
l’État de Palestine et en Israël afin de rencontrer des survivants, de
dialoguer avec des organisations de la société civile et avec mes homologues
nationaux concernés. Il s’est dit prêt à travailler avec toutes les parties,
notamment pour compléter les efforts nationaux visant à amener les auteurs de
crimes relevant du Statut de Rome à rendre des comptes et à rendre justice aux
personnes touchées par ces crimes.
Cette attitude attentiste et ces déclarations du Procureur sont assez
préoccupantes surtout si on les compare avec la célérité de l’action à propos
de la situation en Ukraine dans laquelle, le 17 mars 2023, la Chambre
préliminaire II a délivré, suite à la demande du Procureur présentée le 22
février 2023, des mandats d’arrêt à l’encontre Vladimir Poutine et Maria
Alekseïevna Lvova-Belova[30].
L’ordonnance en indication de mesures provisoires rendue le 26 janvier 2024
par la CIJ pèsera lourd, sans doute, parmi les éléments de preuve de l’enquête,
et éventuellement de l’engagement d’un procès contre les personnes accusées de
crimes de guerre, de crime contre l’humanité et de génocide en Palestine.
***
Tel est l’état de la question palestinienne devant les juridictions
internationales. La question connaitra de nouveaux éclairages et prendra une
nouvelle dimension au fur et à mesure du prononcé des ordonnances, arrêts et
avis consultatifs. Le fait d’avoir des décisions juridictionnelles renforce le
combat politique et diplomatique et lui donne une consistance juridique solide.
Suite aux évènements consécutifs aux 7 octobre 2023 et à
l’ordonnance de la CIJ, la question palestinienne est revenue à la une de
l’actualité internationale. La solution des deux Etats est remise à l’ordre du
jour comme seule solution susceptible de garantir la paix et la sécurité
internationales dans la région, le droit du peuple palestinien à
l’autodétermination et à un Etat indépendant. Même les Etats-Unis se sont
rallié publiquement et officiellement à cette solution[31].
[1] La
Conférence de San Remo a déterminé les frontières des territoires capturés par
les Alliés. La décision a été prise d'incorporer la Déclaration de Balfour dans
le mandat de la Grande-Bretagne en Palestine. La Grande-Bretagne a été rendue
responsable "de la mise en œuvre de cette déclaration. La France se voit
attribuer un mandat sur la Syrie et le Liban - Outre la Palestine, la
Grande-Bretagne obtient un mandat sur la Mésopotamie. Le vilayet de
Mossoul, dont les droits sont abandonnés par la France depuis décembre 1918,
est placé sous tutelle britannique contre l’octroi à la France d’une
participation de 25 % à l’exploitation des gisements de pétrole.
[2] La Déclaration Balfour est une lettre ouverte comptant 67 mots, datée du 2 novembre 1917 et signée par Arthur Balfour, secrétaire d'État britannique aux Affaires étrangères (Foreign Secretary) dans le gouvernement de David Lloyd George. Elle est adressée à Lionel Walter Rothschild (1868-1937), personnalité éminente de la communauté juive britannique et financier du mouvement sioniste, aux fins de retransmission.Par cette lettre, le Royaume-Uni se déclare en faveur de l'établissement en Palestine d'un projet national (présenté comme « un foyer national pour le peuple juif », traduction de « a national home for the Jewish people »). Cette déclaration est considérée comme une des premières étapes dans la création de l'État d'Israël.
[3] Le plan de partition
prévoit également de maintenir un contrôle britannique sur Jérusalem, Bethléem
et Nazareth, ainsi que sur un corridor s’étendant jusqu’à la côte
méditerranéenne.
[4] Résolution n° 181 (II) du 29 novembre 1947 intitulée «
Gouvernement futur de la Palestine ».
[5]
« a. L'Assemblée générale ou
le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un
avis consultatif sur toute question juridique.
b. Tous autres organes de l'Organisation et institutions spécialisées qui
peuvent, à un moment quelconque, recevoir de l'Assemblée générale une autorisation
à cet effet ont également le droit de demander à la Cour des avis consultatifs
sur des questions juridiques qui se poseraient dans le cadre de leur
activité ».
[6] Comme le font, par
exemple, la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, la
convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des
Nations Unies et l'accord de siège entre l'Organisation des Nations Unies et
les Etats-Unis d'Amérique
[7]
Organisation intergouvernementale rassemblant quarante-deux pays
d’Europe et du bassin méditerranéen : les vingt-sept États
membres de l’Union européenne et quinze pays méditerranéens partenaires
d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe du Sud-Est. Son secrétariat
général se situe à Barcelone. L'UpM est fondée le 13 juillet 2008,
lors du Sommet de Paris pour la Méditerranée. L'organisation est destinée à
renforcer le Partenariat euro-méditerranéen (Euromed) mis en place en
1995 sous le nom de Processus de Barcelone
[8] L'article 36 du Statut
de la Cour dispose en son paragraphe 1 que la compétence de la Cour s'étend à
toutes les affaires que les parties lui soumettront. Dans ces cas, la Cour est
normalement saisie par la notification au Greffe d'un accord, dit compromis,
conclu spécialement à cet effet par les parties[8].
L'objet du différend et les parties doivent être indiqués (Statut, art. 40,
par. 1 ; Règlement, art. 39).
[9] Le paragraphe 1 de
l'article 36 du Statut dispose également que la compétence de la Cour s'étend
aux cas spécialement prévus dans les traités et conventions en vigueur. La Cour
est alors normalement saisie par une requête introductive d'instance,
acte unilatéral qui doit indiquer l'objet du différend et les parties (Statut,
art. 40, par. 1) et, autant que possible, les moyens des droits sur lesquels le
demandeur prétend fonder la compétence de la Cour (Règlement, art. 38).
[10] Le Statut prévoit qu'un
Etat peut reconnaître comme obligatoire la juridiction de la Cour sur des
différends d'ordre juridique à l'égard de tout autre Etat acceptant la même
obligation. Dans ces cas, la Cour est saisie par requête. Les conditions dans
lesquelles cette reconnaissance peut être effectuée sont énoncées aux
paragraphes 2 à 5 de l'article 36 du Statut[10].
[11] Si un Etat n'a pas
reconnu la compétence de la Cour au moment du dépôt, contre lui, d'une requête
introductive d'instance, il a toujours la possibilité d'accepter cette
compétence ultérieurement, pour permettre à la Cour de connaître de l'affaire:
en pareil cas, la Cour est compétente au titre de la règle dite du forum
prorogatum.
[12] Voir : Allégations
de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 223, par. 50
[13] C’est la
première fois qu’un État lui demande d’exercer cette compétence pour examiner
des allégations de génocide proférées par un autre État comme prétexte à un
recours à la force et pour en établir l’illicéité.
[14] Voir : Dissenting
Opinion Of Judge Sebutinde, https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240126-ord-01-02-en.pdf
; Sommaire : « Selon ma respectueuse opinion dissidente, le
différend entre l'État d'Israël et le peuple de Palestine est essentiellement
et historiquement un différend politique, qui appelle un règlement diplomatique
ou négocié et la mise en œuvre de bonne foi de toutes les résolutions
pertinentes du Conseil de sécurité par toutes les parties concernées, en vue de
trouver une solution permanente permettant aux peuples israélien et palestinien
de coexister pacifiquement - Il ne s'agit pas d'un différend juridique
susceptible de faire l'objet d'un règlement judiciaire par la Cour - Certaines
des conditions préalables à l'indication de mesures conservatoires n'ont pas
été remplies - L'Afrique du Sud n'a pas démontré, même prima facie, que
les actes prétendument commis par Israël et dont se plaint le requérant ont été
commis avec l'intention génocidaire nécessaire, et que l'Afrique du Sud n'a pas
démontré que les actes prétendument commis par Israël et dont se plaint le
requérant ont été commis avec l'intention génocidaire nécessaire. et que, par
conséquent, ils sont susceptibles de relever du champ d'application de la
convention sur le génocide - De même, étant donné que les actes prétendument
commis par Israël n'étaient pas accompagnés d'une intention génocidaire, le
demandeur n'a pas démontré que les droits qu'il revendique et dont il cherche à
obtenir la protection par l'indication de mesures conservatoires sont
plausibles au regard de la convention sur le génocide - Les mesures
conservatoires indiquées par la Cour dans la présente ordonnance ne se
justifient pas ».
[15] "La décision de la juge Sebutinde à la CIJ
(Cour internationale de justice) ne représente pas la position du gouvernement
ougandais sur la situation en Palestine. Le soutien de l'Ouganda au sort
du peuple palestinien a été exprimé par notre vote aux Nations unies",
précise Mme Ayebare, la représentante permanente de l'Ouganda auprès de l'ONU.
La précision est superflue, les juge à la CIJ n’étant pas les représentant de
l’Etat dont ils portent la nationalité. Il en est de même pour les juge ad hoc,
nommés par les parties n’ayant pas de juges portant leur nationalité sur le
siège de la Cour. Eux-mêmes ne sont pas les représentants de leurs Etats.
[16] C’est nous qui
soulignons.
[17] « Le Secrétaire général rappelle que, conformément à la
Charte et au Statut de la Cour, les décisions de la Cour sont contraignantes et
espère que toutes les parties se conformeront dûment à l'ordonnance de la
Cour. Conformément au Statut de la Cour, le Secrétaire général transmettra
dans les meilleurs délais au Conseil de sécurité la notification des mesures
conservatoires ordonnées par la
Cour ». https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2024-01-26/statement-attributable-the-spokesperson-for-the-secretary-general-icj,
[18] «
La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations
militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de
l’Ukraine », Allégations de génocide au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération
de Russie), demande en indication de mesures conservatoires, 16 mars 2022
ordonnance.
[19] Voir : Cour
pénale internationale, Aider à bâtir un monde plus juste : mieux
comprendre la Cour pénale internationale, La Haye.
[20] 123 pays sont États Parties au Statut de Rome de la
Cour pénale internationale. Parmi eux :
·
33 sont
des membres du groupe des États d'Afrique ;
·
19 sont
des membres du groupe des États d’Asie et du Pacifique ;
·
18 sont
des membres du groupe des États d'Europe Orientale ;
·
28 sont
des membres du groupe des États d'Amérique Latine et des Caraïbes ;
·
25 sont
des membres du groupe des États d'Europe occidentale et autres États.
139 États sont signataires du Statut. Le Burundi a été
un État partie de la date d'entrée en vigueur du Statut à son égard (le 1er décembre
2004) à la fin de l'année suivant l'annonce de son retrait (le 26 octobre
2017). Ce retrait a pris effet le 27 octobre 2017
[21] A ce jour, la
Cour a ouvert une enquête dans dix-sept situations : Ouganda (2004),
République démocratique du Congo (2004), Soudan (2005), Centrafrique I (2007),
Kenya (2010), Libye (2011), Côte d'Ivoire (2011), Mali (2013), Centrafrique II
(2014), Géorgie (2016), Burundi (2017), Bangladesh/Birmanie (2019), Afghanistan
(2020), Palestine (2021), Philippines (2021), Venezuela I (2021) et Ukraine
(2022). 5 enquêtes sont closes et 12 sont en cours.
Trois examens
préliminaires sont actuellement en cours : Venezuela II (2020) et Bolivie
(2022), RDC II (2023).
[22] Déclaration
du Procureur de la CPI, Mme Fatou Bensouda, à propos d’une enquête sur la
situation en Palestine : « Aujourd'hui, je confirme l'ouverture d'une enquête par le
Bureau du Procureur (le « Bureau ») de la Cour pénale internationale (la « CPI
» ou la « Cour ») à propos de la situation en Palestine. Cette enquête portera
sur les crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient été commis
dans le cadre de cette situation depuis le 13 juin 2014, date à laquelle le
renvoi de la Situation en Palestine à mon Bureau fait référence.
Le Bureau déterminera, en temps voulu, la façon dont
il fixera les priorités dans son enquête, à la lumière des difficultés liées
aux opérations auxquelles nous sommes confrontés en raison de la pandémie, des
ressources limitées dont nous disposons et de la lourde charge de travail qui
pèse sur nous. Toutefois, ces difficultés, aussi redoutables et complexes
soient elles, ne parviendront, en définitive, en aucun cas à détourner le
Bureau des responsabilités qui lui incombent au regard du Statut de Rome.
Conformément au Statut de Rome, le Bureau du Procureur
est tenu d'agir lorsqu'un État partie lui défère une situation et qu'il est
établi qu'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête. Dans un
premier temps, il doit le notifier à tous les États parties et aux États qui
auraient normalement compétence à l'égard des crimes en cause, ce qui autorise
ainsi tout État concerné à demander au Bureau de le laisser enquêter sur ses
ressortissants ou d'autres personnes relevant de sa compétence pour des crimes
visés par le Statut de Rome dont il est question dans la notification (sous
réserve d'un éventuel examen par la Chambre préliminaire).
Toute enquête que le Bureau entreprendra en définitive
sera menée en toute indépendance, impartialité et objectivité, sans crainte ni
parti pris. Au vu du Statut de Rome, afin d'établir la vérité, le Bureau est
tenu d'étendre l'enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être
utiles pour déterminer l'existence d'une responsabilité pénale au regard du
Statut et, ce faisant, d'enquêter tant à charge qu'à décharge.
La décision d'ouvrir une enquête fait suite à l'examen
préliminaire minutieusement mené par mon Bureau pendant près de cinq ans. Au
cours de cette période, conformément à la pratique établie par le Bureau, ce
dernier a été en contact avec un grand nombre de parties prenantes et a
notamment eu régulièrement des échanges fructueux avec des représentants des
Gouvernements palestinien et israélien.
Sur la base de ces échanges, nous savions que la
question de la compétence territoriale de la Cour dans le contexte de la
situation en Palestine devait être résolue. En tant qu'organe responsable
chargé des poursuites, nous avons alors entrepris d'obtenir au préalable une
décision judiciaire sur cette question, car il nous semblait crucial d'obtenir
d'emblée ces précisions afin que les futures enquêtes reposent sur une base
solide et éprouvée sur le plan juridique.
Par conséquent, le 20 décembre 2019, consciente de la
complexité de la situation en cause et des questions inédites découlant de
celle-ci, j'ai annoncé mon intention
de demander aux juges de la
Chambre préliminaire I (la « Chambre ») de se prononcer clairement sur
l'étendue de la compétence territoriale de la Cour dans le cadre de la situation
en Palestine ».
[23] رافع ابن عاشور: "تكريس للحق الفلسطيني أمام المحكمة
الجنائية الدولية". ليدرز. (النسخة الإلكترونية). 07/02/2021
[24]
Déclaration de Mme Fatou Ben Souda « Aujourd'hui, le
22 mai 2018, le Gouvernement de l'État de Palestine (la
« Palestine »), État partie au Statut de Rome, m'a adressé un renvoi
concernant la situation en Palestine depuis le 13 juin 2014, sans
précision de date d'échéance. Plus précisément, en vertu des articles 13-a
et 14 of du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (la
« Cour » ou « CPI »), l'État de Palestine « demande au
Procureur d'enquêter, conformément à la compétence temporelle de la Cour, sur
les crimes relevant de la compétence de cette dernière qui ont été commis, qui
se poursuivent à l'heure actuelle ou qui seront commis ultérieurement sur tout
le territoire de l'État palestinien ». Comme le prévoit la norme 45
du Règlement de la Cour, j'ai informé la Présidence de la CPI de ce
renvoi »
[25] Un tel renvoi
ne débouche pas automatiquement sur l'ouverture d'une enquête, puisque le
Procureur doit déterminer au préalable si les critères définis dans le Statut
pour l'ouverture d'une enquête sont satisfaits.
[26] « La Cour
peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5,
conformément aux dispositions du présent Statut : a) Si une situation dans
laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée
au Procureur par un État Partie, comme prévu à l'article 14 ».
[27] Article
14 : « Renvoi d'une situation par un État Partie
1. Tout État
Partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs
des crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et
prier le Procureur d'enquêter sur cette situation en vue de déterminer si une
ou plusieurs Statut de Rome de la Cour pénale internationale 12 personnes
identifiées devraient être accusées de ces crimes. 2. L'État qui procède au renvoi indique autant que possible les
circonstances pertinentes de l'affaire et produit les pièces à l'appui dont il
dispose ».
[29] Dès le début de son
mandat en juin 2021, le Procureur a mis en place pour la première fois une
équipe unifiée dédiée à l’examen de la situation en Palestine.
[30] « Il
existe des motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine est
individuellement responsable au pénal des crimes susmentionnés, i) pour avoir
commis ces crimes directement, conjointement avec d’autres personnes et/ou par
l’intermédiaire d’autres personnes (article 25-3-a du Statut de Rome), et ii)
pour avoir omis d’exercer le contrôle qui convenait sur les subordonnés civils
et militaires qui ont commis ces crimes ou ont permis qu’ils soient commis, et
qui étaient sous son autorité et son contrôle effectifs, conformément aux
règles relatives à la responsabilité du supérieur hiérarchique (article 28-b du
Statut de Rome). Au vu des demandes présentées par l’Accusation le 22 février
2023, la Chambre préliminaire II a estimé qu’il existe des motifs raisonnables
de croire que la responsabilité de chacun des suspects est engagée à raison du
crime de guerre de déportation illégale de population et du crime de guerre de
transfert illégal de population depuis certaines zones occupées de l’Ukraine
vers la Fédération de Russie, ces crimes ayant été commis à l’encontre
d’enfants ukrainiens ».
[31] À l’occasion de
l’événement annuel du National Prayer Breakfast, à Washington (1er
février 2024), le président américain, Biden, a indiqué qu’il travaillait « jour
et nuit » pour « libérer les otages, atténuer la crise
humanitaire, et apporter une paix durable avec deux États pour deux peuples ». (I’m engaged on
this day and night and working, as many of you in this room are, to find the
means to bring our hostages home, to ease the humanitarian crisis, and to bring
peace to Gaza and Israel — an enduring peace with two states for two
people ». https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2024/02/01/remarks-by-president-biden-at-the-national-prayer-breakfast-3/