Face à certaines oppositions que le projet de loi initié par le
Président de la République sur la réconciliation nationale a
suscitées, il nous paraît utile de revisiter certains fondamentaux du
fonctionnement démocratique des institutions de l’Etat en nous penchant tout
d’abord sur les paradigmes de la délibération politique dans une démocratie
représentative et en mettant en garde ensuite contre ce qui la menace.
La conformité de projet de loi aux règles de la délibération
démocratique
La démocratie fait de la loi l’expression de la volonté générale
du peuple qu’incarnent – en démocratie représentative, ses représentantes et
ses représentants élus au suffrage universel. Elle implique que la loi votée
par l’assemblée parlementaire selon la majorité et les formes requises par la
constitution, elle-même loi suprême, exprime la norme générale. La démocratie
n’existant pas sans l’Etat de droit, cela implique que la loi même délibérée et
adoptée par le parlement n’exprime au final la volonté générale que dans le
respect des dispositions formelles et matérielles de la constitution
et ce, suite à un contrôle de sa constitutionnalité.
Partant de ces trois fondamentaux, schématiquement
brossés, dans quel processus s’insère le projet de loi sur la
réconciliation nationale ?
il y a lieu de relever dès l’abord que la
Constitution du 27 janvier 2014 a conféré au Chef de l’Etat le droit de
présenter des projets de loi à l’Assemblée des représentants du peuple ( ARP),
au même titre que le Chef du gouvernement ou dix députés au moins ( qui ont la
possibilité de présenter des propositions de lois) ; étant précisé que les
projets de loi (du Président de la République et du Chef du gouvernement
« ont la priorité » (article 62 §1).
La constitution n’a imposé de surcroît aucune limite matérielle
à l’initiative législative du Président de la République en ne lui
assignant aucun domaine. Par conséquent, tout
ce qui relève du domaine de la loi (ordinaire ou organique), tel que défini,
entre autre par l’article 65 de la
Constitution, peut faire l’objet d’une initiative législative présidentielle.
Il ressort des articles précités que rien n’interdit au Président de la
République de présenter un projet de loi sur la réconciliation nationale.
Enfin, le projet présidentiel sur la réconciliation a été
délibéré en Conseil des Ministres conformément à l’article 93§4 de
la Constitutions en vertu duquel « tous les projets de loi font l’objet de
délibération en Conseil des ministres ». Par conséquent, même les projets
initiés par le Président de la République doivent recevoir l’aval de l’ensemble
du gouvernement avant d’être soumis à l’ARP. Cela est bien compréhensible car
l’exécution de la loi relève de la compétence du gouvernement et engage sa
responsabilité. Sur ce point, il n’y a également rien à dire quant à la
régularité de l’initiative présidentielle sur la réconciliation nationale.
Le projet est actuellement entre les mains de la représentation
nationale élue sur la base d’un suffrage honnête et transparent en octobre
2014, assurant en son sein majorité et opposition.
La procédure législative suivra en toute logique son cours.
Après examen par la ou les commissions parlementaires compétentes, le projet
sera transmis à la séance plénière qui seule détient le pouvoir de décision,
c’est-à-dire qui, soit l’adoptera avec ou sans amendements ou le
rejettera en partie ou en totalité.
Une fois la procédure législative terminée, le projet de loi
voté par l’assemblée plénière passera à la phase de la promulgation. Celle-ci
peut intervenir très vite à deux conditions :
- si
le Président de la République n’exerce pas son droit de renvoi du projet de loi
à l’Assemblée pour une seconde lecture conformément à l’article 81§2
- si
un recours en inconstitutionnalité n’a pas été formé devant l’Instance
provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi
(IPCCPL ) par l’une des parties habilitées à cet effet, soit, le Président de
la République, le Chef du gouvernement ou trente députés (loi organique
n°2014-14 du 18 avril 2014) Logiquement, si recours il y a, il ne peut être
introduit que par les députés qui ont d’ores et déjà fait connaître leur
hostilité au projet de loi.
Si
l’IPCCPL rejette le recours en déclarant la loi conforme à la Constitution, la
loi sera promulguée et revêtira sa force exécutoire. Elle est dès lors
« parfaite » du point de vue des mécanismes institutionnels de la
délibération démocratique de la norme en régime représentatif. Si au contraire,
l’IPCCPL déclare le projet de loi voté par l’ARP non conforme partiellement ou
totalement à la Constitution, le projet sera, soit abandonné par son
initiateur, soit amendé à la lumière des conclusions de l’Instance de contrôle
et soumis de nouveau à l’ARP ainsi que cela a été fait dans le cas du projet de
loi organique relative au Conseil supérieur de la magistrature.
Toutes
ces règles, sommes toutes formelles et de simples procédures, sont en vérité au
fondement même de la démocratie. Car c’est par elles que survient la
délibération politique : l’assemblée étant en démocratie l’arène du débat
politique et public sur les normes du vivre ensemble.
Les menaces à la démocratie par le contournement
« populiste » du jeu démocratique
Il
est sans conteste admis en démocratie de s’opposer aux lois. Cette vocation à
s’opposer est même le propre de la démocratie qui repose sur les libertés d’opinion,
de pensée et d’expression garantis par la Constitution (article 31). A défaut
de quoi les parlements et les assemblées ne seraient que des boîtes
d’enregistrement et non des espaces de la délibération publique et du débat
démocratique. Mais le jeu démocratique a ses lois. Comme tout jeu
il a ses règles de jeu sans lesquelles il n’y a plus de jeu.
Que
les partis et les acteurs se mobilisent par tous les moyens pacifiques dans le respect de la loi et
de la liberté des autres pour créer un courant favorable à
leurs idées et faire pression sur les décideurs pour retirer,
adopter ou rejeter le projet de loi selon leurs vues et tendances est une saine
pratique du jeu démocratique. Au-delà, il y a péril en la demeure
démocratique !
C’est
justement de ce péril que participent les menaces d’appel à la rue
en cas d’adoption du projet de loi ou de saisine a priori d’instances internationales, du reste
incompétente, pour invalider une loi nationale sans même aller jusqu’au bout du
processus institutionnel démocratique. Mettre dos à dos légitimité démocratique
des instances représentatives à laquelle le pays est parvenu après un long
cheminement de transition parfois périlleux et opinion « de la rue »,
est un jeu dangereux qui risque d’emporter les institutions constitutionnelles
du pays.
Il
est malheureux pour nos jeunes démocraties de voir des leaders politiques
continuer à ne croire que dans pression de la rue et de bouder le débat
institutionnel au point de broyer les instances de la seule légitimité
démocratique obtenue par les urnes.
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