jeudi 15 novembre 2012

Tunisie : Entre balbutiement constitutionnel et échéances politiques incertaines



 

Presqu’une année après les élections de l’Assemblée nationale constituante (ANC)[1], la Tunisie n’a toujours pas de Constitution et vit encore, plus de deux ans après la révolution du 14 janvier 2011,  sous un régime d’organisation provisoire des pouvoirs publics[2].

Au train où vont les travaux constituants, cet état de fait ne semble pas appelé à prendre fin dans un avenir proche et la Tunisie ne verra pas sitôt la mise en place de ses nouvelles institutions constitutionnelles.

Deux questions seront abordées dans cette communication :
-          Quelles sont les prémices de la future Constitution tunisienne à la lumière du « brouillon » de Constitution rendu public au courant de cet été[3] ?
-          Quelles sont les échéances prochaines probables ?

I – Les prémices de la future Constitution

L’œuvre constituante tunisienne a connu des débuts balbutiants. En effet l’ANC, élue le 23 octobre 2011,  n’a véritablement engagé la tâche pour laquelle elle a été élue (doter le pays d’une Constitution) que quatre  mois après son élection en organisant un débat général sur les principes directeurs de la future Constitution[4]. Par ailleurs, les six commissions constituantes[5] ont travaillé de façon indépendante les unes des autres et sans méthodologie ni plan de travail communs. Elles ont décidé d’adopter la méthode dite de la « feuille vierge » ou « blanche », c’est-à-dire, de laisser de côté tous les projets dont elles ont été saisies par différents partis, associations et groupes[6] dont notamment le projet des experts de l’ISSOR se contentant d’auditionner de temps en temps des experts ou des personnalités politiques. Cette méthode de travail a eu des répercussions extrêmement fâcheuses sur d’une part le rythme des travaux de l’ANC et sur d’autre part la qualité du travail produit.

En effet, les projets préparés dans le cadre des différentes Commissions constituantes ont été assemblés tels quel et rendus publics, le 14 août 2012, sous la dénomination « Projet de brouillon » de la Constitution[7].
La publication de la compilation des travaux des commissions a été à l’origine d’une forte réaction de la part des organisations de la société civile, de l’opposition, d’experts constitutionnels ainsi que de certains observateurs internationaux.

D’une manière générale, le texte se caractérise par une qualité de rédaction médiocre[8] souvent plus proche du style littéraire ou journalistique que du style juridique. Il se caractérise également par sa longueur, son caractère hétéroclite et confus avec pas mal de redondances et de répétitions. D’importantes controverses subsistent quant à la teneur du texte final sur plusieurs questions dont notamment le statut de la femme, la criminalisation de la diffamation du sacré, la normalisation avec Israël et le régime politique. Sur ce dernier point, la Commission compétente n’a pas pu trancher et a présenté deux versions, l’une adoptant un régime parlementaire parfait l’autre un régime mixte avec une nette prépondérance du gouvernement.

A ces imperfections, de forme et de fond, il faut ajouter l’ambivalence de la rédaction de plusieurs articles, ainsi que des omissions flagrantes (telles que celle du droit de vote ou encore l’absence de référence à l’universalité des droits de l’homme) et des incohérences telle que la relation entre le droit national et le droit international.

Quelques exemples pour illustrer ces propos :

-          L’article 4 (1 – 4 dans le brouillon) : «L’Etat protège la religion ; il est garant de la liberté de conscience et de l’exercice des cultes et le protecteur du sacré et le garant de la neutralité des lieux de cultes par rapport à la propagande partisane ». La notion de protection de la religion laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations et laisse en suspend la question de savoir de quelle religion il s’agit ! Il en est de même pour la notion de « sacré » qui peut être une notion fourre tout dangereuse pour la liberté de conscience et d’expression
-          Le chapitre 1er intitulé « principes généraux » et le chapitre II intitulé « droits et libertés » ont pratiquement le même objet. Dans le chapitre 1er il y a en réalité peu de principes généraux et beaucoup de droits et libertés dont certains sont répétés dans le chapitre II et parfois de manière contradictoire par rapport au chapitre I. Il en est ainsi par exemple de l’article 10 du chapitre 1er (« L’Etat doit protéger les droits de la femme, préserver l’entité familiale et en maintenir la cohésion ») et l’article 28 qui figure dans le chapitre II (« L’Etat garantit la protection des droits de la femme et l’appui de ses acquis en tant que partenaire réel de l’homme dans l’édification de la nation. Leurs rôles au sein de la famille sont complémentaires »).
-          Concernant les traités internationaux une contradiction est décelable entre l’article 38 (« Les traités ratifiés par le Président de la République et approuvés par l’Assemblée populaire ont une autorité supérieure à celle des lois ») et l’article 17 (« Le respect des traités internationaux est obligatoire, tant qu’ils ne sont pas contraires aux dispositions de la présente Constitution »). Outre la contradiction entre les deux articles, la disposition de l’article 17 est contraire au droit international, notamment à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non exécution d’un traité »).

Le brouillon de la Constitution a été soumis au Comité de coordination et de rédaction qui lui a apporté certaines modifications et améliorations et tranché certaines questions. Ainsi par exemple, la question de la complémentarité de la femme à l’homme a été retirée. Il en est de même pour la normalisation avec Israël. Cependant, la référence au sacré a persisté ainsi que la condition de conformité des traités internationaux à la Constitution pour leur exécution. Il y a lieu d’espérer que la discussion de ce projet en séance plénière, discussion qui a démarré le 23 octobre 2012, rattrape les insuffisances et prenne en considération les différentes observations faites par les juristes spécialistes ainsi que par plusieurs composantes de la société civile et ONG internationales, bien que la tournure prise par le débat jusqu’à maintenant n’incite pas à l’optimisme, certains députés tenant absolument dans leurs interventions à agiter des questions qu’on croyait tranchées telle la question de la référence à la Chariâa (loi islamique) comme source principale de la législation.

II – Les échéances politques

Juridiquement et politiquement, l’ANC aurait du terminer le travail pour lequel elle a été élue (« doter le pays d’une Constitution »), une année après la date de son élection, à savoir le 23 octobre 2012 et ce, conformément au décret  N° 2011-1086 du 03/08/2011portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour le 23 octobre 2011 qui dispose dans son article 6 : « « L'Assemblée nationale constituante […] se charge d'élaborer une constitution dans un délai maximum d'un an à compter de la date de son élection ».

Un autre texte est venu s’ajouter à ce décret, apportant confirmation que les limitations contenues dans le décret ne peuvent être transgressées. Ce texte peut être considéré comme une sorte de modus vivendi liant tous ses signataires à l’égard des électeurs. Il s’agit de la Déclaration sur le processus de transition, signée le 15 septembre 2011, par les plus hauts représentants de onze des douze partis politiques membres de l’Instance de sauvegarde des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique D-L n° 6 du 18 février 2011 portant création d’une Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique[9] qui avait élaboré et proposé au gouvernement provisoire tous les textes encadrant le processus électoral. Dans la déclaration, les signataires s’engagent à ce que « la durée du mandat de l’Assemblée Constituante n’excède pas une année au maximum afin que le pays puisse se consacrer aux questions fondamentales impérieuses, notamment, aux niveaux social et économique ». 

Pour justifier le non respect du délai d’une année deux arguments ont été avancés :
-          On a soutenu que l’ANC n’est pas tenue par de telles limitations de la nature et de la durée de son mandat car elle est souveraine (« maîtresse d’elle-même »). En réponse, il faut préciser que si l’ANC est effectivement souveraine, elle ne détient, et contrairement à ce qu’on veut bien faire croire aux citoyens, qu’un pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire est toujours l’apanage du peuple. Pour paraphraser une affirmation célèbre du Conseil constitutionnel français, «  l’ANC n’est souveraine que dans le respect de la volonté populaire ». Les constituants eux-mêmes reconnaissent que le dernier mot appartient au peuple lorsqu’ils prévoient la possibilité de soumettre le projet de constitution à référendum en cas d’absence de majorité qualifiée au second tour du vote de l’ANC. Ainsi, étant un pouvoir constituant dérivé, l’ANC est nécessairement limitée quant à son objet et quant à sa durée.
-          On a soutenu également que la « loi constitutive » dite « petite constitution » du 16 décembre 2011[10] n’a prévu aucun délai et qu’elle aurait abrogé tous les textes qui lui sont antérieurs dont notamment le décret  N° 2011-1086 du 03/08/2011portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante. L’argument est on ne peut plus fallacieux car si le décret en question a été abrogé c’est l’existence même de l’ANC qui se trouve remise en cause !!!

Malgré ses arguments, et face à la montée de la contestation de la légitimité électorale de l’ANC et les appels à l’instauration d’une nouvelle légitimité consensuelle qui, sans remettre en cause l’existence de l’ANC et du gouvernement qui en est issu, trouverait un terrain d’entente sur un calendrier précis et contraignant pour les prochaines échéances, les partis de la coalition tripartite au pouvoir ont essayé de prendre tout le monde de court en publiant le 13 octobre un calendrier fixant la date de l’organisation des élections législatives et présidentielles au 23 juin 2013 avec éventuellement un second tour pour l’élection présidentielle le 7 juillet 2013. La date du 14 janvier 2013 a été également avancée pour l’adoption de la Constitution.

Ce calendrier, qui n’a pas fait l’objet de consultations préalables avec l’opposition et les autres partis politique, a été contesté car il souffre, non seulement d’absence de concertation, mais également de non réalisme. En effet, une fois la Constitution adoptée, il restera un travail colossal à accomplir avec notamment l’obligation d’adoption de deux textes fondamentaux. L’un relatif à l’instance qui devra conduire l’ensemble du processus électoral et surtout le code électoral. En réalité, seule l’instance électorale, une fois mise en place et opérationnelle, pourra déterminer avec précision le calendrier électoral.

A la lumière de ces quelques indications, l’horizon constitutionnel et politique de la Tunisie post révolutionnaire n’est toujours pas clair. La période transitoire risque de durer encore ce qui aura des répercussions assez fâcheuses sur non seulement sur le plan politque mais surtout sur le plan économique et social et sur la stabilité du pays.







[1] L’ANC a été élue le 23 octobre 2011
[2]  Deux périodes d’organisation provisoire des pouvoirs publics, régie chacune par un texte spécifique, doivent être distinguées :
-          La période allant du 15 mars 2011 au 16 décembre 2011 régie par le décret loi N° du 23 mars 2011
-          La période allant du 23 décembre 2011 et qui se poursuit encore est régie par la loi constitutive du 23 décembre 2011. Cf. JORT, N°97 des 20 et 23/12/2011, p : 3111
[3]  Le 13 Août 2012.
[4] L’Assemblée a entamé le processus d’élaboration de la Constitution le 13 février 2012. Elle a créé à cet effet six commissions permanentes, chacune étant responsable de la rédaction de chapitres spécifiques de la future Constitution. Les commissions ont auditionné à plusieurs reprises des experts tunisiens et internationaux, des membres du gouvernement, des représentants d’institutions et de la société civile ainsi que des universitaires, mais elles  se sont chargé elles- mêmes de la rédaction des articles sans le concours d’experts constitutionnalistes.
[5] Chaque Commission regroupe 22 membres, élus à la proportionnelle des groupes (132/217 membres au total). Ces Commissions sont les suivantes :
·         La Commission du préambule, des principes fondamentaux et de la révision de la Constitution ;
·         la Commission des droits et libertés ;
·         la Commission du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et des relations entre eux ;
·         la Commission de la justice judiciaire, administrative, financière et constitutionnelle ;
·         la Commission des instances Constitutionnelles ;
·         la Commission des collectivités publiques régionales et locales.
Chacune des six commissions est chargée de rédiger les articles de la Constitution qui relèvent de sa compétence, avant de soumettre son projet au Comité mixte de coordination et de rédaction, qui peut renvoyer à la commission son projet pour réexamen avant de le soumettre à la plénière.

[6] L’ANC a été saisie de pas moins de 40 projets de Constitution
[7] Le 10 août 2012, les six commissions avaient toutes rendu leurs travaux au Comité de coordination  
[8] Le projet de brouillon comporte un préambule, 171 articles répartis en neuf chapitres, certains chapitres étant eux-mêmes subdivisés en sections.
[9] "Autorité publique indépendante" créée en vertu du D-L n° 6 du 18 février 2011 portant création d’une Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique
[10]Cf. JORT, N°97 des 20 et 23/12/2011, p : 3111  

lundi 1 octobre 2012

حول قياس دستوري فاسد





في خضم المجادلات الدائرة منذ قرابة السنة في تونس حول المجلس الوطني التأسيسي المنتخب في 23 أكتوبر 2011 وحول خاصة التباطؤ الواضح المسجل في اضطلاعه بالمهمة التي انتخب من أجلها، أي وضع دستور للبلاد في أجل سنة من تاريخ انتخابه، يلجأ العديد من المعلقين للقياس عما حدث بين سنة 1956 وسنة 1959 من طول مدة عمل المجلس القومي التأسيسي المنتخب في 25 مارس 1956 والذي لم ينته من إعداد دستور البلاد إلا في غرة جوان 1959، أي أكثر من ثلاث سنوات من تاريخ انتخابه.
 وقد بنى الكثير انطلاقا من هذه التجربة التأسيسية الأولى، قياسا دستوريا فاسدا مفاده أن ما وقع إبان استقلال البلاد يمكن تكراره إثر ثورة 2011، متناسين عنوة ان الظروف الحالية غير تلك الظروف التاريخية العصيبة التي ميزت البلاد في فترة بناء الدولة للتخلص من براثن الاستعمار الغاشم وتحمل تبعات الحرب الاستعمارية بالجزائر، وغاضين خاصة الطرف عن حقيقة تباطؤ المجلس القومي التأسيسي المزعوم في أداء مهمته، موهمين المواطنين التونسيين، عن قصد، أن عدم الوفاء بالالتزام المقطوع من قبل أحد عشر حزبا في 15 سبتمبر 2011 في وثيقة المسار الانتقالي له ما يبرره من الحجج المستندة للتاريخ الدستوري التونسي.
وفي الحقيقة فقد تذكر هؤلاء شيئا (طول مدة إعداد دستور 1959) وغابت عنهم أشياء كثيرة :
أولا: خلافا لما جاء في الأمر الرئاسي )عدد 1086 لسنة 2011 المؤرخ في 3 أوت 2011 ) المتعلق بدعوة الناخبيين لانتخاب أعضاء المجلس الوطني التأسيسي، فإن الأمر العلي المؤرخ في 29 ديسمبر 1955 المتعلق بإحداث مجلس قومي تأسيسي لم يتضمن في أي مادة من مواده تحديدا زمنيا لمهمة المجلس، وعليه فإن كل قياس بين الأمر العلي المذكور والأمر الرئاسي لسنة 2011 لا أساس له من الصواب وهو من باب السفسطة القانونية لا غير التي يؤتى بها لغرض التضليل وحجب الحقيقة.
ثانيا : خلافا لما يتردد بتواتر متعمد فإن الأمر العلي لسنة 1955 لم يكن له من العلو إلا الشكل، إذ يعلم الجميع أن كل ما نص عليه هذا الأمر أملي إملاء من طرف الزعماء الدستوريين على الحكومة وعلى البلاط الملكي. ومعلوم أنه لما حاول ابن الباي آنذاك (الأمير الشاذلي باي) إدخال تنقيحات على الأمر تتعلق خاصة بالمحافظة على امتيازات العائلة المالكة وتأخير عرض المشروع على "الطابع السعيد"، اندلعت أزمة بين القصر والحزب الدستوري انتهت بفوز هذا الأخير إذ أصدر الباي الأمر المذكور رغما عنه وهو واثق أنه أمضى على وثيقة نهايته ونهاية العهد الحسيني. وعليه فإن دور الباي كان شكليا لا غير وسلطته لا يمكن ربطها بأي شكل من أشكال الشرعية. على عكس ذلك فإن أمر 2011 صدر عن سلطة تتمتع بشرعية توافقية ووظيفية انتصبت إثر حصول إجماع حول إنهاء العمل بدستور1959 والاعتماد على مؤسسات انتقالية هدفها تنظيم انتخابات المجلس الوطني التأسيسي. وقد تم تأكيد ما جاء بالأمر من تحديد زمني وموضوعي لمهمة المجلس الوطني التأسيسي باتفاق 15 سبتمبر 2011 حول المسار الانتقالي فجاءت الإرادة السياسية مؤكدة للقاعدة القانونية ومضفية عليها التزاما معنويا وأخلاقيا داعما للشرعية التوافقية. وإذا اعتقد البعض ان الأمر المذكور فاقد لكل شرعية فإن ذلك يؤدي إلى انتفاء الشرعية عن كل ما ترتب عنه من نتائج وأولها وبالذات انتخابات 23 أكتوبر 2011.
ثالثا: يدعي الكثير أن المجلس القومي التأسيسي لم يلتزم بالمحددات التي جاء بها الأمر العلي المذكور وخاصة ما قد اقتضاه فيما يتعلق بشكل النظام وما قد يكون فرضه على المجلس من إعداد دستور ملكي، مضيفين أن التزام المجلس بالأمر العلي ما كان ليتيح للمجلس القومي التأسيسي إلغاء الملكية وإعلان الجمهورية . والموقف من هذه المسألة لا يخلو أيضا من تضليل ومن وقوف عند ظواهر الأمور. فالأمر العلي المذكور حدد مهمة المجلس ب"سن دستور لمملكتنا"، وذكر كلمة "مملكتنا" لا تأثير له على شكل النظام بل يشير إلى الإطار المكاني الذي دعي المجلس لإعداد دستور له، وهو المملكة التونسية التي عوضت الإيالة التونسية إثر اتفاقيات الحكم الذاتي الموقعة في 3 جوان 1955. فاستعمال كلمة "مملكتنا" في الأمرالعلي مرادف لاستعمال كلمة "البلاد" في أمر 2011 ولذلك فإن المجلس لم يخرج عن الإطار القانوني المحدث له.
رابعا: يردد الكثير، ودون رجوع للتاريخ والوثائق، ان إعداد دستور غرة جوان 1959 اقتضى ثلاث سنوات ونيف من العمل التأسيسي وهذا هو عين المغالطة ألتاريخية. فالمجلس القومي التأسيسي الذي افتتح أشغاله رمزيا في 8 أفريل 1956، أياما معدودات إثر الإمضاء على بوتوكول 20 مارس 1956، لم يخصص لعمله التأسيسي البحت سوى 19 جلسة من مجموع 52 جلسة عقدها بين 1956 و 1959. ففي سنة 1956 خصص المجلس جلستين لا غير لمناقشة الدستور. ولم يخصص المجلس سنة 1957 أي جلسة للدستور. وخلافا لما يظن البعض فإن مرد ذلك لم يكن لعدم استيفاء اللجان الخمسة عملها، بل لما طرأ من أحداث على الساحة الداخلية من انتهاكات الجيش الفرنسي المتواجد على الأراضي التونسية أو القادم من الجزائر للسيادة الوطنية أدت إلى إيلاء العناية والأولوية لجلاء القوات الفرنسية عن الثكنات التي كانت تحتلها في مواقع مختلفة من الوطن وخاصة بالجنوب التونسي. فاللجان التأسيسية قامت بما أنيط بعهدتها في الآجال المعقولة سواء في بداية عملها حول مشروع الملكية الدستورية أو إثر إعلان الجمهورية في 25 جويلية 1957، ناهيك أن مشروع الملكية الدستورية كان جاهزا منذ 9 جانفي 1957 (ثمانية أشهر بعد الانتخابات) في حين نشر مشروع الجمهورية الرئاسية المعروض على الجلسة العامة بالرائد الرسمي لمداولات يوم 27 جانفي 1958 (ستة أشهر لا غير بعد إعلان الجمهورية) وقدم المرحوم علي البلهوان تقريره العام في للجلسة العامة في نفس اليوم.
بناء على كل ما سبق، (ويمكن الرجوع إلى الكتاب الذي نشر في نطاق الجمعية التونسية للقانون الدستوري سنة 1986 والذي جمعت فيه أعمال الملتقي حول المجلس القومي التأسيس الملتئم بقصر المؤتمرات بتونس من 29 إل 31 ماي 1984 على كل الجزئيات والوثائق التي نشرت لأول مرة) يتضح أن كل قياس على ما وقع بين 1956 و 1959 لا يستقيم لا قانونا ولا منطقا وهو مبني في غالب الأحيان على مقارنات سطحية وعدم اطلاع على الوثائق وعلى مجريات العمل التأسيسي لسنة 1959. لذلك وجب الكف عن ترديد مثل هذه المغالطات وإيجاد الحلول التوافقية المثلى للانتهاء من إعداد الدستور في أسرع الآجال وتدارك ما فات من تضييع للوقت للخروج بالبلاد من هذه الفترة الانتقالية التي كلما تمددت تفاقمت سلبياتها السياسية والاقتصادية.

mercredi 29 août 2012

Lettre à mes ami(e)s marocain(e)s (Leaders, N° 16, sept 2012, p: 46)

Cher(e)s Ami(e)s. Le 29 juillet 2011, le Président de la république, Foued M’bazaa, me remet les lettres de créance m’accréditant en tant qu’Ambassadeur de Tunisie au Maroc. Ma nomination crée quelque remous. A Tunis, certains y voient, non sans malveillance, récompense injustifiée ; au Maroc, elle bénéficie d’un préjugé favorable. Le 5 septembre 2011, je débarque dans votre pays. Vous m’y accueillez avec amitié, m’offrant votre hospitalité légendaire. Votre sollicitude et la sympathie que vous me témoignez me donnent l’agréable impression d’être dans mon propre pays, d’avoir seulement laissé une de ses villes pour une autre. J’ai quitté la Tunisie pour entamer une nouvelle expérience toute professionnelle ; je me devais d’œuvrer à la consolidation des relations politiques, économiques, et culturelles entre nos pays, voire à leur unification. Leur proximité naturelle, leur histoire et leur parenté culturelle justifient pareille ambition. Déjà alors que nous survolons une partie de la Tunisie, le nord de l’Algérie et du Maroc, je constate la continuité géographique du Maghreb. Quelques jours auront suffi pour que je retrouve « l’esprit » de cette région, ce ciment qui nous unit depuis des siècles et que nous nous devons d’affermir. Je découvre un pays attaché à ses traditions mais aussi résolu à épouser le temps présent. Si pareil constat prédispose à l’intégration, c’est la qualité de ses relations humaines, les amitiés qui se sont tissées et qui se sont développées, allégeant la difficile séparation avec les miens, qui m’ont aidé à saisir ce que la culture marocaine pouvait m’enseigner. Au Maroc, j’ai découvert mon appartenance non pas seulement au monde arabe et à la Méditerranée mais aussi à l’Afrique. Le 7 septembre 2011, je présente, comme le veut le protocole diplomatique, la copie figurée de mes lettres de créance au Ministre des affaires étrangères et de la coopération, M. Taieb Fessi Fehri, j’ai comme la révélation d’être en présence d’un ami de très longue date. Quelques jours plus tard, je suis informé que la cérémonie de présentation des lettres de créance au Roi Mohamed VI était fixée au 19 septembre, au Palais royal de Rabat. Etonné moi-même par la célérité avec laquelle je suis accueilli, je ressens, je l’avoue, une grande satisfaction. Le Roi me recommanda d’œuvrer pour l’ouverture de « nouvelles relations entre la Tunisie et le Maroc ». En peu de mots, il définit les contours et l’étendue de la tâche qui m’attend et laisse entendre que durant la période précédente les relations tuniso-marocaines n’étaient pas exemptes de tensions et de malentendus. Je découvre auprès des responsables marocains la même détermination à œuvrer à la consolidation des relations tuniso-marocaines et une volonté de réanimer l’Union maghrébine en hibernation depuis une décade. Quand j’ai pris mes fonctions d’ambassadeur, le peuple marocain venait d’adopter la nouvelle constitution (referendum du 1er juillet 2011) dont l’élaboration a été annoncée avec par le Roi Mohamed VI dans son discours du 19 mars, discours dans lequel il accédait aux vœux exprimés par le mouvement du 20 février. J’ai eu le privilège d’assister aux élections législatives anticipées du 23 novembre 2011 qui ont amené au gouvernement une coalition formé de quatre partis politiques dirigés, comme le prévoit la Constitution, par le chef du parti qui a emporté le plus grand nombre de sièges (le PJD), M. Abdelilah Ben Kirane. Cette une révolution tranquille menée en symbiose entre le Roi et le peuple n’est pas sans rappeler la révolution du peuple menée le Roi Mohamed V et les nationalistes marocains contre la colonisation. J’ai passé dix mois parmi vous et je me suis attelé, au cours de cette période, à restaurer les relations entre nos deux pays pour les ramener au niveau qu’exigent notre histoire commune, notre religion, notre langue, notre unité géographique, nos échanges humains et nos aspirations au bien être de nos peuples. Pendant dix mois je me suis attaché, avec l’aide de tous et de toutes, à ce que la fraternité ne soit pas un simple slogan mais une réalité. La multiplication des visites de responsables à tous les niveaux en est un indice. Les visites du Président Marzouki au Maroc et celles des chefs de gouvernement Ben Kirane et Jébali respectivement en Tunisie et au Maroc ont constitué des moments inoubliables de communion entre nos deux peuples. Dix mois ne sont qu’un instant dans l’histoire de nos deux pays mais elles m’ont permis d’éprouver le sentiment d’avoir accompli mon devoir de citoyen maghrébin et d’avoir contribué aux exigences de nos peuples. Chaleureusement accueilli à mon arrivée, je suis décoré par le Roi en personne, lorsque rappelé, par le Ministère de tutelle, je dois quitter le pays que j’ai adopté en moins d’un an. Le 29 juillet 2012, le Roi m’accorde le Wissam alaouite, m’honorant, honorant mon pays et m’engageant, par là-même, à être un ambassadeur permanent de la fraternité tuniso-marocaine. Ce sera ma manière de remercier mes ami(e)s marocain(e)s. Le 31 juillet, je quitte la Maroc heureux d’avoir passé ce laps de temps chez vous, me remémorant, ému, cette expression magique que vous avez répétée des dizaines de fois, au moment des adieux « ما سخيناش بيك ». Amicalment votre Rafâa Ben Achour

Qu’adviendra-t-il de l’ANC, le 22 octobre 2012. (La presse, 04/09/2012, p: 9

La démocratie constitutionnelle, et le régime représentatif qu’elle a généré, reposent, entre autres principes cardinaux, sur le principe du renouvellement périodique du mandat des représentants et sur celui de la limitation de la durée des mandats. Il n’y a point en démocratie d’élus à vie ou de mandat à durée indéterminée. Tout mandat représentatif a par définition une fin prédéterminée et connue d’avance et s’il est renouvelable, les échéances sont également connues d’avance. Dans ce sens, notre regretté maître, Abdelfatteh Amor, écrivait à juste titre : « [L]’avènement du constitutionnalisme a entraîné la consécration de la technique de la mise en cause périodique du mandat des gouvernants ou du moins de la plupart d’entre eux » . Ainsi, dans la doyenne des constitutions modernes, la Constitution des Etats-Unis d’Amérique de 1787, les pères fondateurs ont opté non seulement pour le principe du renouvellement périodique du mandat des élus, mais ont, en outre, consacré la brièveté des mandats, voire même la limitation des possibilités de leur renouvellement. C’est ainsi que le mandat des députés de la Chambre des représentants n’excède pas deux ans, alors que celui du Président des Etats-Unis a une durée de quatre ans, renouvelable une seule fois (un maximum de 8 ans). En Tunisie, la défunte constitution de 1959, avait opté pour une période de cinq ans tant pour le mandat des députés que pour celui du Président de la République. En 1975, une violation grave du principe fut commise, lorsque la constitution fut amendée pour proclamer le Président Habib Bourguiba « [à) titre exceptionnel et en considération des services éminents rendus par [ lui ], […] Président de la République à vie » (Article 39 tel qu’amendé par la loi constitutionnelle 75 – 13 du 19 mars 1975). Plus tard, la révision constitutionnelle du 1er juin 2002, fit éclater le verrou introduit par la révision constitutionnelle du 25 juillet 1988, qui limitait la possibilité de réélection à « deux fois consécutives » et allongea la limite d’âge supérieure de candidature de 70 à 75 ans. Ces exemples de manipulations de la Constitution sont considérés comme étant des portes ouvertes à la dictature et à la spoliation du droit du titulaire de la souveraineté, le peuple, d’exercer son droit inaliénable de votation démocratique. Après la révolution de la dignité et de la liberté, les mandats du Président intérimaire et du gouvernement provisoire étaient connus d’avance par le peuple. Dans un premier temps, les mandats présidentiel et gouvernemental devaient expirer le 24 juillet 2011, date à laquelle devait se dérouler l’élection présidentielle et, suite au changement de la feuille de route, l’élection d’une ANC. Mais cette date a été reportée dans un deuxième temps, au 23 octobre 2011, lorsque l’Isie, considéra que le délai du 24 juillet était matériellement irréalisable. Les autorités provisoires (Président et gouvernement) se sont engagés politiquement et juridiquement (articles 11 et 15 du décret-loi N° 2011-14 du 23 mars 2011) non seulement de ne pas se présenter aux élections de la Constituante mais surtout de mettre un terme à leur mandat le jour même de l’installation de l’ANC (article 1er du DL), promesse tenue, puisque dès le 23 novembre 2011, le Premier ministre provisoire présentait la démission de son gouvernement au Président intérimaire qui le chargea le d’expédier les affaires courantes jusqu’à l’entrée en fonction de la nouvelle équipe. Quant au mandat de la constituante, il est encadré par trois textes de nature différente : deux décrets présidentiels et une déclaration politique. Le premier texte est le décret N° 2011 -582 du 20 mai 2011, portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour le 24 juillet 2011. Dans son article 6 le décret dispose : « L'Assemblée nationale constituante se réunie, deux jours après la proclamation des résultats définitifs du scrutin par le comité central de l'instance supérieure indépendante des élections, et se charge d'élaborer une constitution dans un délai maximum d'un an à compter de la date de son élection ». Suite au report de la date des élections, à la demande de l’ISIE, ce texte a été abrogé par le décret N° 2011 -998 du 21/07/2011. Le deuxième texte est le décret N° 2011-1086 du 03/08/2011portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour le 23 octobre 2011. Dans son article 6, il reprend la même formule que celle citée ci-dessus et fixe le même délai à l’ANC pour élaborer la Constitution dans un délai maximum d’un an à compter de la date de son élection. Cette dernière disposition du décret n’a soulevé, à ce moment, aucune réaction et n’a engendré aucun recours en illégalité devant le Tribunal administratif. Sur la base de ce décret, les électeurs se sont rendus le 23 octobre 2011 aux urnes pour élire leurs représentants avec la ferme conviction que ces derniers n’étaient élus que pour une année et que ces derniers n’avaient pas un blanc seing. Le mandat avait un objet précis : l’élaboration de la Constitution. Il avait assigné aux élus un délai pour le faire, une année à partir du jour de l’élection. Aujourd’hui, on entend certaine voix s’élever ici et là pour soutenir que l’ANC n’est pas tenue par de telles limitations de la nature et de la durée de son mandat alléguant qu’elle est souveraine. En réponse, il faut préciser que si l’ANC est effectivement souveraine, elle ne détient, et contrairement à ce qu’on veut bien faire croire aux citoyens, qu’un pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire est toujours l’apanage du peuple. Pour paraphraser une affirmation célèbre du Conseil constitutionnel français, « l’ANC n’est souveraine que dans le respect de la volonté populaire ». Les constituants eux-mêmes reconnaissent que le dernier mot appartient au peuple lorsqu’ils prévoient la possibilité de soumettre le projet de constitution à référendum en cas d’absence de majorité qualifiée au second tour du vote de l’ANC. Ainsi, étant un pouvoir constituant dérivé, l’ANC est nécessairement limitée quant à son objet et quant à sa durée. Croire, ou faire croire le contraire, c’est oublier que la révolution n’a jamais eu l’intention de mettre en place un pouvoir délié de toute limite, fixant à son bon gré la nature et la durée de son mandat. A l’argument juridique, il y a lieu d’ajouter l’argument politique, et il est de poids. En effet, un troisième texte est venu s’ajouter aux deux décrets déjà cités, apportant confirmation que les limitations contenues dans les deux décrets ne peuvent être transgressées. Ce texte peut être considéré comme une sorte de modus vivendi. Il s’agit de la Déclaration sur le processus de transition, signée le 15 septembre 2011, par les plus hauts représentants, dont MM. Rached Ghannouchi et Mustapha Ben Jaafar, de onze des douze partis politiques membres de l’Instance de sauvegarde des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique qui avait élaboré et proposé au gouvernement provisoire tous les textes encadrant le processus électoral. Dans la déclaration, les signataires s’engagent à ce que « la durée du mandat de l’Assemblée Constituante n’excède pas une année au maximum afin que le pays puisse se consacrer aux questions fondamentales impérieuses, notamment, aux niveaux social et économique ». L’engagement est on ne peut plus clair. Il a été pris au moment où le débat sur la nécessité d’organiser un référendum limitant la durée de l’ANC à une année faisait rage. Le renier aujourd’hui ou faire semblant d’en ignorer l’existence équivaut à traiter la population de manière cavalière et c’est surtout faire preuve d’absence de toute éthique politique. Ainsi, juridiquement et politiquement le mandat de l’ANC et celui des autorités qui en sont issues arrivent à terme le 22 octobre 2012. Il ne s’agit là ni d’une fantaisie des esprits chagrins (Bidâa), ni de la prédiction de voyante. C’est le sens de l’engagement pris le 15/09/2011 et ce qu’impose l’analyse juridique et politique. Proroger les mandats au-delà de cette date ferait de l’ANC, de la présidence et du gouvernement provisoires des autorités de fait dont la légitimité a expiré. Pour conclure, nous ne pouvons que rappeler ces paroles divines : "يا أيها الدين آمنوا أوفوا بالعقود" (المائدة، 1). « Ho, les croyants remplissez les engagements » (Sourate N° 5 Al Maida, Verset 1) "قد أفلح المؤمنون [...] والذين هم لأماناتهم وعهدهم راعون [...] أولئك هم الوارثون، الذين يرثون الفردوس هم فيها خالدون" (المؤمنون، 8، 10 و 11) « Oui ils sont gagnants les croyants […] qui respectent leurs dépôts et leur pacte […] ce sont les héritiers qui héritent le Paradis-Firdaus pour y demeurer éternellement ». (Sourate N° 23, Al Mouminoun, Versets 8, 10 et 11)

dimanche 26 août 2012

Entre le régime présidentiel et le régime parlementaire Quel choix pour la Tunisie ? La Presse de Tunisie 13/08/2012

L’idée selon laquelle le régime présidentiel consacrant la toute puissance du Président sur l’ensemble des institutions politiques – et serait à l’origine de la concentration des pouvoirs qu’a connue notre pays depuis 1959-, est fort répandue chez les juristes. Ils considèrent faussement que le régime parlementaire constitue le régime d’équilibre qui prévient tout risque d’omnipotence d’un pouvoir sur l’autre. Cette lecture témoigne d’une méconnaissance des principes fondamentaux de la théorie des régimes politiques. Une évidence est d’abord à rappeler : régime parlementaire et régime présidentiel se fondent l’un et l’autre sur la séparation des pouvoirs. Ils sont deux variantes d’un régime d’équilibre des pouvoirs. Créé par les « pères fondateurs américains », le régime présidentiel a été, notons-le bien, une tentative de correction du régime parlementaire britannique et visait un meilleur équilibre des pouvoirs et leur séparation. Construits historiquement, ils ont acquis au cours du temps valeur d’idéal type de la séparation des pouvoirs fondé selon le type sur un aménagement différencié des relations entre l’exécutif et le législatif. Ainsi, ce n’est pas tant l’objectif que les moyens d’assurer la séparation des pouvoirs qui les distingue. Le régime parlementaire repose sur une séparation dite souple des pouvoirs dont la spécificité est la collaboration fonctionnelle entre exécutif et législatif par l’intermédiaire d’un gouvernement responsable devant le parlement ainsi que leur révocabilité mutuelle. Le régime présidentiel repose quant à lui sur une séparation dite rigide des pouvoirs : en effet, l’indépendance fonctionnelle réciproque de l’exécutif et du législatif et leur irrévocabilité mutuelle en constituent la clef de voûte. Tout l’aménagement constitutionnel est destiné à éviter les blocages. Dans le régime présidentiel, il n’y a pas de chevauchements de compétences : le président de la république exerce tout le pouvoir exécutif, mais rien que le pouvoir exécutif. Il n’a pas l’initiative législative et ne peut pas légiférer par des actes de l’exécutif (décrets-lois ou ordonnances), les membres de l’administration n’ont pas accès au Congrès, etc. A l’inverse, le pouvoir législatif exerce tout le pouvoir législatif mais rien que le pouvoir législatif. Le domaine d’intervention du législateur n’est pas assigné mais ne peut déborder sur le domaine de l’exécutif. Par ailleurs, les rapports entre l’exécutif et le législatif obéissent au principe de l’irrévocabilité mutuelle. En conséquence, l’exécutif et le législatif ne peuvent pas mettre fin à leurs mandats respectifs. Le législatif ne peut mettre un terme au mandat de l’exécutif et l’exécutif ne peut dissoudre le législatif. Ainsi, les deux pouvoirs sont tenus de cohabiter pendant la durée de leurs mandats même si leurs appartenances politiques sont totalement opposées. Ce modèle est le plus conforme à la pensée de Montesquieu et à sa théorie de l’équilibre des pouvoirs. Il a été consacré par la Constitution américaine du 17 septembre 1787. Les pères fondateurs ont inventé la théorie des checks and balances selon laquelle la séparation rigide des fonctions implique un domaine bien défini et délimité à chacune des institutions sans, pour autant, que ceci soit un obstacle à la concertation entre elles. L’isolation de chacun des pouvoirs par rapport à l’autre au niveau fonctionnel est atténuée par l’existence de moyens d’action du président sur le Congrès, et réciproquement : si le président n’a pas le droit de dissoudre le Congrès, il dispose d’un droit de veto à l’égard des lois votées par le législatif. Quant au Congrès, s’il n’a pas droit à révoquer le président, il détient un faisceau de compétences lui permettant de conditionner la politique du président. Ainsi, le modèle rigide de séparation se trouve infléchi. Il s’agit, plutôt, dans ce modèle constitutionnel américain, d’un “rapport de forces” survolant l’isolement de chacun des pouvoirs dans son rôle. Ce rapport implique quelques points de rencontre entre les deux pouvoirs garantis par la Constitution et promus par la pratique. Les pouvoirs sont, en effet, reliés par un isthme qui subit leur pression conjuguée. L’irrévocabilité mutuelle a le mérite donc de créer un état d’équilibre entre ces pouvoirs, de telle sorte que la concertation semble nécessaire et l’action réciproque de l’un sur l’autre apparaît comme le credo de la collaboration. A la différence du régime présidentiel, le régime parlementaire établit une collaboration fonctionnelle des pouvoirs et une révocabilité mutuelle. L’exécutif intervient dans le domaine du législatif (initiative des lois, possibilité de délégation du pouvoir législatif, cumul du mandat législatif et des fonctions gouvernementales, accès aux chambres, etc.) et le législatif intervient dans le domaine de l’exécutif. Par ailleurs, et en vertu d’une souple séparation des pouvoirs, il est possible aux deux pouvoirs de se destituer mutuellement. Dans ce modèle, le gouvernement doit disposer de la confiance du Parlement, sans laquelle et sans le soutien de la majorité, il doit démissionner. Pour sa part, l’organe législatif est tenu en échec par la possibilité de dissolution attribuée au gouvernement. Les deux institutions dépendent ainsi l’une de l’autre pour subsister et préserver l’équilibre institutionnel. La révocabilité mutuelle mène, de la sorte, à une formule d’équilibre négatif. Ce modèle parlementaire relève beaucoup plus de la théorie que de la réalité. Il a été en effet totalement transformé par le phénomène majoritaire. La collaboration fonctionnelle s’est transformée en toute puissance du chef du gouvernement et à la réduction du législatif en simple pouvoir d’enregistrement et de ratification. En Grande Bretagne, la Chambre des Communes a perdu son pouvoir d’action sur le gouvernement. De fait, elle dépend plus de lui qu’il ne dépend d’elle. Le succès dans la conduite des affaires dépend essentiellement des rapports entre le gouvernement et le groupe parlementaire. Quant à la révocabilité mutuelle, elle n’assure pratiquement plus son rôle, car le gouvernement dispose toujours d’une majorité même dans les pays où la majorité est constituée par une coalition. La dénaturation connue par le régime parlementaire du fait du phénomène majoritaire n’a pas eu lieu aux Etats-Unis pour le régime présidentiel. La nature des partis politiques américains, la brièveté des mandats législatif et exécutif et la structure fédérale de l’Etat ont préservé les caractéristiques de ce régime si bien qu’aujourd’hui le régime présidentiel américain apparaît comme le régime le plus parlementaire car les prérogatives du législateur et l’indépendance du parlement sont mieux sauvegardées que dans le cadre du régime parlementaire. A la lumière de cette leçon que nous fournit le droit comparé, il y a lieu de prendre, en Tunisie, toutes les précautions à l’égard du régime parlementaire d’autant plus que les partis politiques tunisiens, pour la plupart récemment créés, n’ont pas eu le temps d’intérioriser la culture démocratique et notamment l’obligation de respecter le statut de l’opposition. Le fonctionnement de nos institutions provisoires depuis l’adoption de la loi constitutive relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics ne peut que nous conforter dans cette opinion. Aujourd’hui, fort de sa majorité, le gouvernement est tout puissant. Il ne court aucun risque de tomber suite à l’adoption d’une motion de censure. La seule tentative enregistré dans ce sens n’a même pas pu franchir le seuil de la recevabilité formelle. Le gouvernement dispose en droit et en pratique de tous les pouvoirs et peut tout faire alors que le président de la république est réduit à un rôle de figuration. La rocambolesque affaire de l’extradition de l’ex premier ministre libyen Mahmoudi en fournit une preuve patente. Les nominations tous azimut de fidèles au parti majoritaire de la Troïka en est une autre. Quant à l’ANC, détentrice des pouvoirs constituant, législatif et de contrôle, elle ne fait que ratifier les décisions du gouvernement, quand elle est sollicitée. On a encore à l’esprit encore la révocation du gouverneur de la BCT (M. K. Nabli) et la désignation de son successeur (C. Ayari). Il en est de même du rôle législatif de l’ANC. Cette dernière est quasi-absente. Depuis son installation elle n’a pratiquement adopté qu’un nombre insignifiant de lois. Par ailleurs, la transposition du régime présidentiel américain dans sa pureté est impossible. La structure de notre Etat (fortement centralisé), les caractéristiques de notre système partisan (partis politiques très nombreux, peu expérimentés et rigides, la faible culture démocratique) ainsi que l’histoire constitutionnelle récente, condamnent la transposition du régime présidentiel à l’échec et à l’indubitable évolution vers le présidentialisme. Seule la voie médiane, un régime qui emprunte à la fois au régime parlementaire et au régime présidentiel, est susceptible de concrétiser les aspirations du peuple à un régime politique stable, équilibré et démocratique. Il y a lieu de mettre en place un exécutif bicéphale équilibré avec un Président de la république élu directement par le peuple, doté de prérogatives d’arbitrage placé au-dessus de la mêlée partisane et un gouvernement chargé de mettre en place et de conduire la politique choisie sous le contrôle d’une part, d’un parlement démocratique et pluriel au sein duquel l’opposition jouit d’un véritable statut et, d’autre part, d’institutions indépendantes de contrôle (cour constitutionnelle, juridictions administratives et financières, etc.) et de régulation (en matière d’information, d’audiovisuel, d’élections, etc.). Le peuple tunisien est, par sa culture, son histoire et sa géographie, un peuple de compromis. Il ne peut se reconnaître que dans les solutions de compromis. Un régime politique de compromis est dans sa nature profonde.