lundi 13 janvier 2020

Le droit à l’autodétermination en tant que droit humain fondamental de l’homme et des peuples à la lumière de l’avis de la CIJ sur l’archipel des Chagos


*Résumé : Dans son avis consultatif, rendu le 28 février 2019, à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies, sur « les effets juridiques de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 », la CIJ a apporté une nouvelle contribution de taille à la définition, à la nature et à la portée du droit à l’autodétermination.

Après avoir rappelé l’évolution de ce doit, la Haute juridiction internationale a affirmé que le droit à l’autodétermination a un champ d’application étendu en tant que « droit humain fondamental » (I). Elle a par ailleurs, précisé les modalités d’exercice de ce droit qui doit manifester la « volonté libre et authentique du peuple concerné ». Il en ressort, en confirmation de la
position connue en droit international public, que tout détachement d’une partie d’un territoire autonome, est incompatible avec le droit à l’autodétermination (II).

 * Summary: In its advisory opinion, issued on February 28, 2019, at the request of the United Nations General Assembly, on the "Legal Effects of the Separation of the Chagos Archipelago of Mauritius in 1965", the ICJ brought a major new contribution to the definition, nature and scope of the right to self-determination.
After recalling the evolution of this right, the High International Court affirmed that the right to self-determination has a wide scope as a "fundamental human right" (I). It has also specified the procedures for exercising this right, which must demonstrate the "free and genuine will of the people concerned". It comes out, in confirmation of the position known in public international law, that any detachment of part of an autonomous territory is incompatible with the right to self-determination (II).


Le droit à l’autodétermination, ou droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est un « principe politique d’inspiration démocratique »[1] qui a pour objectif de permettre à chaque population de « disposer d’elle-même », c’est-à-dire, de déterminer son propre statut politique, économique, social et culturel en toute liberté et en toute indépendance selon son libre choix.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes apparaît de ce point de vue comme un droit fondamental de l’homme et des peuples, selon l’heureuse expression choisie pour l’intitulé de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.
Il s’agit d’un principe de consécration relativement récente en droit international. Il a surtout servi de base au mouvement d’émancipation des peuples assujettis à la domination coloniale. Dans son arrêt de 30 juin 1995, (Affaire du Timor oriental), la Cour internationale de justice l’a considéré comme l’un « [d]es principes essentiels du droit international contemporain […] opposable erga omnes ».
Ce droit trouve son origine dans un principe apparu au milieu du XIXème siècle : Le principe des nationalités[2] . D'après le principe des nationalités, chaque nation a le droit de se constituer en État indépendant. Cependant, ce même principe a parfois servi de fondement à certaines politiques impérialistes et expansionnistes comme le pangermanisme, c’est-à-dire, droit pour l'Allemagne de grouper dans un État grand-allemand toutes les populations de langue allemande.
Le principe des nationalités a reçu une consécration politique dans les XIV points du Président Américain Wilson développés lors de l'implication des États-Unis dans la première guerre mondiale. En vertu du point 5 : « [U]n ajustement libre, ouvert, absolument impartial de tous les territoires coloniaux, se basant sur le principe qu'en déterminant toutes les questions au sujet de la souveraineté, les intérêts des populations concernées soient autant pris en compte que les revendications équitables du gouvernement dont le titre est à déterminer ».[3]
Le principe des nationalités a engendré au lendemain de la deuxième guerre mondiale le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce sont les articles 1er § 2 et 55 de la Charte de l'ONU qui le mentionnent. En effet, au titre des buts et principes énoncés par la Charte, nous trouvons celui de « développer entre les Nations des relations amicales fondées sur le principe de l'égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d'eux- mêmes ».
Depuis, plusieurs autres textes internationaux, notamment de droits de l’homme, ont repris et affermi le principe. On peut citer :
-        la résolution fondatrice de l'Assemblée générale de l'ONU n° 1514 (XV) du 14/12/1960 intitulée "Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux". Aux termes de cette résolution : « Tous les peuples ont le droit de libre détermination, en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel ».
-        les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme adoptés le 16 décembre 1966 et entrés en vigueur en 1976. L’article 1er commun aux deux Pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux et culturels opère la transformation de ce droit politique en véritable droit de l’homme et surtout en droit des peuples opposable à tous : « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».
-        la résolution 2621 (XXV) du 12/10/70 de l’Assemblée générale de l’ONU qui établit un programme d’action pour l’application intégrale de la résolution 1514.
-        la résolution N° 2625 (XXV) du 24/10/1970 de l’Assemblée générale de l’ONU qui érige le droit à l’auto-détermination en principe de droit international relatif aux relations amicales et à la coopération entre Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
-        La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 qui dispose en son article 20 § 1er que : « Tout peuple a droit à l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et er inaliénable à l'autodétermination. ll détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu'il a librement choisie ».
De son côté, la CIJ a confirmé le caractère de règle de droit international coutumier du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa jurisprudence aussi bien en matière contentieuse qu’en matière consultative. Elle l’a fait notamment dans les décisions suivantes :
-        Arrêt du 30 juin 1995 (Timor oriental, Portugal c. Australie) ;
-        Avis du 21 juin 1971 (Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du sud en Namibie nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité) ;
-        Avis du 16 octobre 1975 (Sahara occidental) ;
-        Avis du 9 juillet 2004 (Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé) ;
Mais bien que formulé et réaffirmé à plusieurs reprises, l’acceptation du droit à l’autodétermination n'est pas dépourvue de toute ambiguïté quant à son contenu et sa mise en œuvre pratique n'a fait l'unanimité qu'en matière de décolonisation. La multiplicité des proclamations du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contraste avec sa réalisation. La jouissance du droit dans la pratique se heurte, surtout dans le cas des États déjà formés, au principe de l’intégrité territoriale.[4] Les États se montrent très réticents à l'égard de ce principe et adoptent une pratique qui tend constamment à le canaliser. Ceux d'entre eux qui se trouvent confrontés à des problèmes de minorités en rejettent purement et simplement l’acception retenue par la doctrine et la jurisprudence.[5] Pour ces États, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne saurait servir de fondement à la sécession, étant entendu que reconnaître un tel droit aux minorités serait une porte ouverte à la déstabilisation de l'État et à son démembrement. L'ONU elle-même s'en est occupée de manière bien timide.[6]

      Dans cette contribution, il s’agit pour nous de revisiter ce droit en tant que droit fondamental de l’homme à la lumière de l’avis de la CIJ sur l’Archipel des Chagos. Dans cet avis, rendu le 28 février 2019, à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies, la CIJ apporte une nouvelle contribution de taille à la définition, à la nature et à la portée du droit à l’autodétermination. Après avoir rappelé l’évolution de ce doit, la Haute juridiction internationale affirme que le droit à l’autodétermination a un champ d’application étendu en tant que « droit humain fondamental » (I). Elle précise ensuite, les modalités d’exercice de ce droit qui doit manifester la « volonté libre et authentique du peuple concerné » dont la méconnaissance constitue un acte international illicite (II).

I.      Le droit à l’autodétermination a un champ d’application étendu en tant que « droit humain fondamental »
     
      Dans sa demande d’avis consultatif du 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations unies (ci-après l’AG) pose à la Cour les deux questions suivantes :
« a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ? ;
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?».
     
      Dans la détermination du droit applicable au processus de décolonisation de Maurice, la Cour affirme qu’elle « est consciente que le droit à l’autodétermination, en tant que droit humain fondamental, a un champ d’application étendu ».[7] Il s’agit là d’une affirmation d’importance dans la mesure où pour la CIJ, le droit à l’autodétermination est non seulement un droit humain, c’est-à-dire un droit attaché à la personne humaine (A), mais également un droit humain fondamental (B)

A.    Le droit à l’autodétermination en tant que droit humain
Les droits humains sont généralement définis en tant que droits inaliénables intrinsèques à la qualité humaine des individus ou des groupes. De ce point de vue, le droit à l’autodétermination est certainement un droit humain dans la mesure où il vise à libérer un groupe humain de l’avilissement et de la sujétion à une domination exercée au nom d’une supériorité de civilisation. Le droit à l’autodétermination permet à un peuple de déterminer, selon son libre arbitre, son statut politique, économique social et culturel. C’est ce qui ressort de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale de l’ONU en date du 14 décembre 1960, portant Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Déjà, dans le préambule de la Déclaration, l’AG de l’ONU, avait établi une certaine corrélation entre le droit à la décolonisation et les droits humains.[8] En effet, l’auguste Assemblée se déclare « Consciente de ce que les peuples du monde se sont, dans la Charte des Nations Unies, déclarés résolus à proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, et à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Mieux, l’article 1er de la Déclaration est on ne peut plus clair puisqu’il proclame que « La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme ». L’article 1er commun aux deux Pactes de 1966 a donné à cette proclamation de principe une valeur conventionnelle.
     Reconnu en tant que droit humain, le droit à l’autodétermination rejoint ainsi les droits de l’homme classiques tels que proclamés par les textes nationaux fondateurs, notamment, la Déclaration des droits de l’Etat de Virginie du 12 juin 1776 et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 3 novembre 1789.
Dans l’avis consultatif sur l’Archipel des Chagos, la CIJ constate et confirme cette valeur juridique, mais étant donné que la question qui lui est posée ne concerne que le statut territorial de Chagos, la Haute juridiction passe très vite sur cet aspect de droit humain. Ceci n’a pas empêché la CIJ à ’affirmer qu’il s’agit par ailleurs d’un droit humain fondamental.

B.     Le droit à l’autodétermination en tant que droit humain fondamental
      La notion de droit fondamental de l’homme trouve son origine dans la Charte des NU.[9] En effet, il est affirmé dans le paragraphe 2 du Préambule que les peuples des NU sont résolus « à proclamer à nouveau [leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme ».
      Dans le sillage de la Charte, la Déclaration des Nations unies dur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux affirme haut et fort que : « La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme ». Expression récurrente dans plusieurs résolutions des Nations unis dont la résolution 2625 du 24 octobre 1970, l’expression a revêtu une signification juridique particulière.
      Désormais, on fait la distinction entre droits humains d’une part, et droits humains fondamentaux, d’autre part. Ces derniers seraient les droits bénéficiant d’une garantie renforcée. Ils sont définis comme étant « les droits essentiels […] pour assurer un ordre international de liberté, de justice et de paix ». La notion prête en réalité à confusion notamment avec une notion voisine, celles de droits de l’homme indérogeables,[10] introduite par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales[11] et reprise par le PIDCP[12]. Ces droits dits indérogeables sont définis comme étant des « droits de l’homme de caractère impératif auxquels il n’est pas permis de déroger en aucune circonstance pas même en cas de crise ou de menace de guerre ou de danger public exceptionnel, de proclamation d’un état d’exception ».[13]
      Même si le droit à l’autodétermination n’est mentionné dans aucun instrument international des droits de l’homme comme étant un droit indérogeable, il n’est pas incongru de le considérer ainsi, dans la mesure où il est, au niveau de tout un peuple, la condition d’existence de ce dernier, sa condition d’accès à la personnalité juridique internationale. L’article 20 de la Charte africaine dispose dans ce sens que « tous les peuples ont droit à l’existence ». Pour sa part, l’article 1er § 3 du PIDC le laisse d’ailleurs entendre quand il stipule que « Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies ». La CIJ est allée dans ce sens dans son arrêt du 30 juin 1965, Timor oriental, dans lequel elle affirme « qu’il n’y a rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies est un droit opposable erga omnes ».[14] Dans l’avis qui nous intéresse, la Cour confirme la même position en ces termes « Le respect du droit à l’autodétermination étant une obligation erga omnes, tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé ».
      Certains auteurs, vont même jusqu’à considérer  que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes constitue une règle de droit général impératif (jus cogens) , dans la mesure où ce droit figure sur la liste d’exemples des règles impératives établie par la Commission de droit international dans son rapport sur le droit des traités.[15]
      Dans ce même avis sur l’Archipel des Chagos, la CIJ confirme sa jurisprudence constante en la matière en se déclarant « consciente que le droit à l’autodétermination, en tant que droit humain fondamental, a un champ d’application étendu ». Compte tenu du libellé des questions qui lui étaient posées, la Cour ne pouvait pas aller au-delà de cette reconnaissance et admet que « cependant, afin de répondre à la question posée par l’Assemblée générale, elle se limitera, dans le cadre du présent avis consultatif, à l’analyse du droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation ». Cela montre que le droit à l’autodétermination, non seulement, englobe le droit à la décolonisation mais le dépasse en incluant l’autodétermination du statut politique, économique social et culturel.
II.    Les modalités d’exercice du droit humain à l’autodétermination
      Les modalités d’exercice des droits de l’homme sont multiples. Si au plan interne, l’exercice de certains droits et libertés obéit soit à un régime préventif, soit à un régime répressif, et passe par le respect et l’accomplissement de certaines procédures administratives (déclaration préalable, autorisation, etc.) et judiciaires[16], notamment en cas de violation, les modalités d’exercice du droit à l’autodétermination sont spécifiques et s’exercent désormais sous le contrôle de l’Assemblée générale des Nations unies surtout après la désuétude du régime international de tutelle.[17]
      Dans son avis du 25 février 2019, la Cour rappelle les modalités de mise en, œuvre du droit à l’autodétermination, telles qu’elles ont été posées par le principe VI de la Déclaration 1541 (XV) du 15 décembre 1966[18]. D’après cette résolution « on peut dire qu’un territoire non autonome a atteint la pleine souveraineté :
a) Quand il est devenu un Etat indépendant ;
b) Quand il est librement associé à un Etat indépendant ; ou
c) Quand il est intégré à un Etat indépendant »
      La Cour « rappelle que, si l’exercice de l’autodétermination peut se réaliser au travers de l’une des options prévues par la résolution 1541 (XV), il doit être l’expression de la volonté libre et authentique du peuple concerné ».
      L’expression de la volonté libre et authentique du peuple concerné n’obéit pas à un mode unique et déterminé par avance pour tous les cas, mais la consultation du peuple soumis au joug colonial demeure un mécanisme obligatoire, avec cependant la possibilité d’exceptions imposées par les circonstances particulières si elle existent.[19] La Cour cite à cet effet le paragraphe 59 de son avis sur le Sahara occidental qui déclare que : « La validité du principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée par le fait que dans certains cas l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions s’expliquent soit par la considération qu’une certaine population ne constituait pas un «peuple» pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction qu’une consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales ».
      Appliquant ces principes à l’Archipel des Chagos détaché par la puissance coloniale britannique de Maurice au moment de l’accession de cet Etat à l’indépendance en 1968, contrairement au droit des populations soumise à une domination coloniale à leur intégrité territoriale, la Cour déclare de manière ferme que « [l]es peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante. Il en découle que tout détachement par la puissance administrante d’une partie d’un territoire non autonome, à moins d’être fondé sur la volonté librement exprimée et authentique du peuple du territoire concerné, est contraire au droit à l’autodétermination ». Il en résulte de manière claire que tout détachement d’un territoire constitue un acte international illicite qui engage la responsabilité de la puissance coloniale administrante[20]. Le Royaume-Uni est donc dans l’obligation « de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos, ce qui permettra à Maurice d’achever la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination ».
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      A la veille de la célébration du soixantième anniversaire de l’adoption de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, des deux Pactes sur les droits de l’homme, il est curieux de voir persister des situations anachroniques avec l’évolution de la société internationale et surtout avec la consécration du respect des droits de l’homme comme norme de droit international. Des puissances coloniales continuent, non seulement à occuper illicitement des territoires détachés d’Etats dont l’indépendance a été reconnue et universellement acceptée, mais également à dénier à des populations leur droit fondamental de s’autodéterminer.
      En 2019 encore, des puissances comme le Royaume-Uni et les Etats Unis, ont pu soutenir l’insoutenable dans le prétoire des la CIJ à La Haye et prétendre que le droit fondamental à l’autodétermination des peuples ne s’applique pas obligatoirement aux territoires non autonomes.
      Par ce nouvel avis consultatif sur les effets juridique de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, la CIJ n’a fait que réaffirmer des principes et des normes impératives de droit international connus et très largement admis. Même s’il n’innove pas, l’avis a le mérite de rappeler ces principes et ces normes et d’affirmer que le déni du droit fondamental à l’autodétermination constitue un déni des droits humains et don un acte internationalement illicite.




[1] Dictionnaire de droit international, Sous la direction de Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2001, p : 379.
[2]  Cf. REDSLOB (R). “ Le principe des nationalités”. R.C.A.D.I. 1931.

[3] Formulés par le président Wilson (1913-1921), dans un discours prononcé devant le Congrès, les Quatorze Points (8 janvier 1918) récapitulent les buts de guerre poursuivis par les États-Unis, neuf mois après leur entrée en guerre contre l’Allemagne (6 avril 1917). https://langloishg.fr/2018/01/02/les-quatorze-points-du-president-wilson-8-janvier-1918/
[4] CHRESTILA (Philippe). Le principe d’intégrité territoriale : d’un pouvoir discrétionnaire à une compétence liée, Paris l’Harmattan, 2002, 499p.
[5] Cf. BEN ACHOUR (Yadh). "Souveraineté étatique et protection internationale des minorités". R.C.A.D.I. 1994 (I). Vol 245. P 321 -461.
[6] L’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce de manière bien timide : ”Dans les États où existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre religion, et d’employer leur propre langue”.
[7] § 144 de l’avis.
[8] Voir dans le même sens : CIJ Arrêt du 27 juin 2001, LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis)  §89 : « La Cour a déjà établi que le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits individuels pour les personnes détenues, en sus des droits accordés à 1'Etat d'envoi, et que, par voie de conséquence, les «droits» visés au paragraphe 2 désignent non seulement les droits de 1'Etat d'envoi, mais aussi ceux des personnes détenues » (C’est nous qui soulignons).
[9] Cf. MORIN (Jaques-Yvan). Libertés et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant/AUF, 1999 ; MORIN (Jean-Yves). Défis des droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant/AUF, 2000.
[10] Cf. HAYIM (Delphine-Olivia). Le concept d’indérogeabilité en droit international : Une analyse fonctionnelle, Thèse présentée à l’Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement pour l’obtention du grade de Docteur en Etudes internationales Spécialisation en droit international, Genève 2012, Disponible sur : https://www.peacepalacelibrary.nl/ebooks/files/383349435.pdf
[11] Article 15 : « En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
2 La disposition précédente n'autorise aucune dérogation à l'article 2, sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7 ».
[12] Article 4 § 2 : « La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 [du Pacte] ».
[13] SALMON (Jean). Dictionnaire…, Déjà cité, p : 398.
[14] § 20 de l’arrêt, Rec 1995, p :  102.
[15] En ce sens, DAILLER (Patrick), FORTEAU (Mathias) et PELLET (Alain). Droit international public, Pais, LGDJ, 2009, 8ème édition, p : 578.
[16] Cf. ROBERT (Jacques) et DUFFAR (Jean). Droits de l’homme et libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 8ème édition, 2009.
[17] En 1945, la Charte des Nations Unies a institué un régime international de tutelle par son chapitre XII en vue de surveiller certains territoires qui ont fait l'objet d'accords particuliers de tutelle avec leurs puissances administrantes. Le régime de tutelle avait pour fin de favoriser le progrès politique, économique et social des territoires ainsi que leur évolution vers la capacité à s'administrer eux-mêmes ou vers l'indépendance. Il avait aussi pour objectif d'encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de développer le sentiment de l'interdépendance des peuples du monde. Au cours des premières années d’existence de l’ONU, 11 territoires ont été placés sous régime de tutelle. Depuis, ils ont tous accédé à l’indépendance ou ont conclu un accord de libre association avec un autre État. Le dernier territoire à l’avoir fait est le Territoire sous tutelle des Îles du Pacifique (Palaos), administré par les États-Unis. En 1994, le Conseil de sécurité a mis un terme à l’Accord de tutelle régissant ce territoire, après que la population se fut prononcée pour la libre association avec les États-Unis lors du plébiscite de 1993. Les îles Palaos ont accédé à l’indépendance en 1994 et ont adhéré à l’ONU la même année, devenant le 185e État Membre. Plus aucun territoire n’étant placé sous tutelle, le Conseil de tutelle a achevé sa mission historique. (https://www.un.org/fr/decolonization/its.shtml)
[18] Intitulée : « Principes qui doivent qui doivent guider les Etats membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’article 73 de la Charte des Nations Unies, leur est applicable ou non ».
[19] Par exemple, Hong Kong  en 1997, et Macao en 1999, ont été cédés à la Chine en l’absence de toute consultation de populations concernées en vertu respectivement des accords sino-britannique du 19 décembre 1984 et sino-portugais du 13 avril 1987.
[20] Cf. § 177 de l’avis.



Annuaire africain des droits de l'homme, 2019, vol