jeudi 21 décembre 2017

Le 43 ème veto américain au Conseil de sécurité contre un projet de résolution sur la Palesti


© EPA
Malgré le vote favorable de 14 de ses membres, le Conseil de sécurité de l’ONU a été, encore une fois, bloqué par un veto américain opposé à un projet de résolution, présenté par l'Egypte, sur le statut de Jérusalem, en raison d'un veto des Etats-Unis[1]. Il s’agit là du 43ème veto utilisé par les Etats-Unis contre un projet de résolution, relatif à la situation au Proche Orient de manière générale, et à la question palestinienne de manière particulière[2]. Le premier veto américain sur ces questions remonte au 10 septembre 1972 : il a été opposé à un projet de résolution condamnant Israël pour violation du cessez le feu de 1967 et l’attaque de l’armée israélienne contre le sud Liban. 
Dans le projet rejeté le 18 décembre 2007, il était affirmé que :
« [t]oute décision et action qui visent à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem n'ont aucun effet juridique, sont nulles et non avenues et doivent être rapportées en application des résolutions [du Conseil de sécurité sur la question]».En fait, ce projet de résolution n’avait rien d’original et ne faisait que reprendre, quasiment dans les mêmes termes plusieurs résolutions antérieures du CS, dont les résolution n°476 (1980) et 478 (1980) du, adoptée avec l’abstention des EU.
Le projet de résolution demandait également à tous les États de s'abstenir d'établir des missions diplomatiques à Jérusalem, en application de la résolution 478 (1980). Le texte exigeait des Etats qu'ils respectent les résolutions du Conseil concernant la Ville sainte et s'abstiennent de reconnaître les actions et les mesures qui y sont contraires.
Chargé par la Charte « [d]'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation », et doté de « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales » et habilité par tous les membres de l’ONU à agir « en leur nom », le Conseil de sécurité se trouve ainsi bloqué et incapable d’assurer ses charges constitutionnelles.
Est-ce à dire que la partie est terminée et qu’il n’y a plus rien à faire sinon d’établir un constat d’échec. Le recours à l’Assemblée générale est-il envisageable ?
Rappelons tout d’abord les dispositions pertinentes de la Charte. L'article 12§1 de la Charte dispose que :
«Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande».
Il ressort de cet article que bien que la Charte n'ait pas institué de hiérarchie entre les organes principaux des Nations Unies, il est généralement admis que l'article 12§1 établit la prééminence du Conseil sur l'Assemblée générale dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales. Cependant, cette disposition n’établit aucune restriction quant à l’étendue des compétences de l'Assemblée. Elle lui interdit seulement de présenter des recommandations sur un différend ou une situation tant que le Conseil remplit à leur égard «les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte», «à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande».
C’est sur la base de cette interprétation des dispositions pertinente de la Charte qu’a été adoptée la célèbre résolution n°377 (V) du 3 novembre 1950, « Union pour le maintien de la paix », connue plus généralement sous la dénomination « résolution Achesson » du nom du Secrétaire au département d’Etat américain, Dean Achesson, qui en a été l’inspirateur.
Dans son préambule, énonce les principes sur lesquels se fonde l'Assemblée pour affirmer ses compétences. C’est ainsi que l’AG :
               « Réaffirmant qu’il est important que le Conseil de sécurité s’acquitte de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, et qu’il est du devoir des membres permanents d’essayer de parvenir à l’unanimité et de ne recourir qu’avec modération au veto ;
               Persuadée que, si le Conseil de sécurité manque à s’acquitter des fonctions qui lui incombent au nom de tous les Etats membres […], il n’en résulte pas que les Etats membres soient relevés de leurs obligations, ni l’Organisation de sa responsabilité aux termes de la Charte en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales 
 1 - Décide que, dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et où, du fait que l'unanimité n'a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de Sécurité manque à s'acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'Assemblée examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s'il s'agit d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, l'emploi de la force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Si l'Assemblée ne siège pas à ce moment, elle pourra se réunir en session extraordinaire d'urgence dans les vingt-quatre heures qui suivront la demande présentée à cet effet ».
Ainsi, le blocage du CS ne met pas un terme à la nécessité pour l’ONU de continuer le processus de prise de décision. C’est à l’organe plénier de l’Organisation mondiale que revient alors la tâche de combler la carence du CS, soit en se réunissant immédiatement si elle est en session, soit en convoquant une session extraordinaire d’urgence dans les vingt-quatre heures qui suivront la demande présentée à cet effet.
La pratique de l’AG est abondante, bien que mesurée en la matière[3]. La dixième session extraordinaire d’urgence réservée à la question des territoires palestiniens occupés s’est ouverte en 1997 et est restée ouverte à ce jour.
Ainsi, en dépit du fait que le CS n’ait pas pu se prononcer sur la proclamation Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y déplacer l’ambassade américaine, c’est à l’AG de se prononcer sur cette question. La dixième session extraordinaire d’urgence a été convoquée à se tenir de nouveau à cet effet pour le jeudi 21 décembre 2017. L’adoption d’une résolution par l’AG marquera la réponse de la quasi-unanimité de la Communauté internationale au défi du Président américain.




1 Avant l'administration de Nixon, les Etats-Unis n'avaient jamais utilisé son pouvoir de veto au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Il a été utilisé pour la première fois le 17 mars 1970 contre la Rhodésie du Sud. 

[2] Centre d’actualités des Nations Unies. Moyen-Orient : le Conseil de sécurité échoue à adopter une résolution sur Jérusalem. http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=40677&Cr=J%E9rusalem&Cr1=#.WjlRExnhBPY



-         [3] A ce jour dix sessions extraordinaires d’urgence ont été convoquées :
-        9e session - Territoires arabes occupés (29 janvier au 5 février 1982) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        8e session – Namibie (13 - 14 septembre 1981 ; Convoquée par le Zimbabwe.
-        7e session – Palestine (22 au 29 juillet 1980 ; 20 au 28 juillet 1982 ; 25 - 26 juin 1982 ; 16 au 19 août 1982 ; 24 septembre 1982). Convoquée par le Sénégal.
-        6e session – Afghanistan (10 au 14 janvier 1980) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        5e session - Moyen-Orient (17 au 18 juin 1967) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        4e session - Question du Congo (17 au 19 septembre 1960) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        3e session - Moyen-Orient (8 au 21 août 1958) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        2e session – Hongrie. (4 au 10 novembre 1956) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.
-        1e session - Moyen-Orient (1 au 10 novembre 1956) ; Convoquée par le Conseil de sécurité.

vendredi 15 décembre 2017

Le statut d’Al Qods (Jérusalem) du point de vue du droit international

Suite à la proclamation Trump relative à la Reconnaissance d’Al Qods (Jérusalem) comme capitale d’Israël et sa décision d’y transférer l’ambassade des Etats-Unis, il y a lieu d’interroger le droit international public sur le statut de cette ville sainte et sur les conséquences de la proclamation du président américain.
Le statut d’Al Qods dans le plan de partage de 1947 : un corpus separatum
Dans son Plan de Partage de la Palestine de 1947[1], « La Ville de Jérusalem sera constituée en corpus separatum sous un régime international spécial et sera administrée par les Nations Unies. Le Conseil de tutelle sera désigné pour assurer, au nom de l'Organisation des Nations Unies, les fonctions d'Autorité chargée de l'administration ». La ville sainte jouit ainsi d’un statut spécial destiné à « préserver les intérêts spirituels et religieux sans pareils qu'abrite la Ville des trois grandes croyances monothéistes [...], christianisme, judaïsme et islam ». Le plan de partage envisageait, la création d’un secteur de Jérusalem démilitarisé constituant une entité distincte sous l’égide du Conseil de tutelle des Nations Unies, qui devait élaborer un statut pour Jérusalem et désigner un gouverneur. Une assemblée devait être élue au suffrage universel par la population adulte, et ce statut devait rester en vigueur 10 ans, puis être dûment examiné par le Conseil de tutelle, la participation des citoyens étant assurée par une consultation par référendum[2].
 Par sa résolution 194 (III) du 11 décembre 1948[3] reprise par la résolution 303 (IV) du 9 décembre 1949, l’Assemblée générale a réaffirmé le principe de l’internationalisation et celui des droits existants. Les États arabes, refusant de reconnaître Israël, ne l’ont pas accepté. Israël, de son côté, n’a pas tenu compte de la résolution et a pris l’initiative d’étendre sa juridiction sur la partie de la ville de Jérusalem qu’il avait occupée. Le 23 janvier 1950, il a déclaré que Jérusalem était sa capitale et installé les services du gouvernement dans la partie occidentale de la ville. La Jordanie a, de son côté, décidé d’officialiser son contrôle de la vieille ville ; toutefois, la législation jordanienne a indiqué que cette mesure ne préjugeait pas du règlement final de la question palestinienne.
Les hostilités qui ont suivi ont empêché l’application de la résolution. En effet, suite à la proclamation de l’Etat d’Israël, ce statut est ignoré par le nouvel Etat. Al Qods (Jérusalem) est partagée en deux parties : une partie occidentale contrôlée par Israël et une partie orientale (qui inclut toute la vieille ville) contrôlée par la Jordanie, séparées par un no man's land. La plupart des lieux saints sont alors sous contrôle jordanien.
Les conséquences de l’occupation d’Al Qods Est en 1967
En 1967, à la suite de la guerre des Six Jours, Israël contrôle l'ensemble de Jérusalem. Dès lors, l’accès à l'Esplanade des Mosquées est régulièrement rendu difficile aux musulmans, dans les moments de tension. Dans sa résolution n°242 du 22 novembre 1967[4], le Conseil de sécurité de l’ONU :
« Affirme que l'accomplissement des principes de la Charte exige l'instauration d'une paix juste et durable « au Proche-Orient qui devrait comprendre l'application des deux principes suivants :
« a. Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit ; 12
« b. Fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, à l'abri de menaces ou d'actes de violence ».
Dans plusieurs résolutions ultérieures, le Conseil :
-        « [Affirme] que l’acquisition de territoire par la conquête militaire est inadmissible »[5] ;
-        « Censure dans les termes les plus énergiques toutes les mesures prises pour modifier le statut de la ville de Jérusalem »[6]
-        « Considère que  toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens ou autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou de toute partie de ceux-ci n’ont aucune valeur en droit »[7].
Toutes ces résolutions, souvent unanimes, ne trouveront aucun écho auprès de l’occupant israélien.
Pour sa part, l’Assemblée générale des Nations Unies affirmera les mêmes positions que le CS notamment dans ses résolutions n° 2253 (ES-V) du 4 juillet 1967, et 2254 (ES-V) du 17 juillet 1967[8], 56/3 du 3 décembre 2001. Dans sa résolution 58/220 du 3 décembre 2003, l’AG «  Rappelle qu’elle a établi que toute mesure prise par Israël en vue d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration à la ville sainte de Jérusalem était illégale et, de ce fait, nulle et non avenue et sans validité aucune » et « Déplore que certains États aient transféré leur mission diplomatique à Jérusalem, au mépris de la résolution 478 (1980) du Conseil de sécurité, et demande de nouveau à ces États de se conformer aux dispositions des résolutions applicables de l’Organisation, conformément à la Charte des Nations Unies ». Ces positions seront réitérées dans plusieurs autres résolutions de l’AG[9].
Quant aux Etats-Unis, ils ont toujours soutenu la position onusienne sur Jérusalem. Le 14 juillet 1967, leur Représentant permanent, Arthur Goldberg, déclarait devant l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale que les Etats-Unis considèrent Jérusalem est occupée par Israël à la suite de la guerre des 6 jours, comme une zone occupée soumise à la loi de l’occupation militaire, et qu’il n’y est pas permis à Israël d’apporter aucune modification[10].
La proclamation d’Al Qods capitale d’Israël ne modifie en rien son statut de ville occupée
En 1980, poursuivant la politique israélienne défiant la légalité internationale, la Knesset adopte le 30 juillet, la « loi fondamentale » sur Jérusalem. Elle proclame que « Jérusalem, entière et unifiée, est la capitale d’Israël »[11].
Avant même l’adoption formelle de ladite loi, et réagissant à la perspective de son adoption, le Conseil de sécurité de l’ONU adopta à la 2242ème séance, sa résolution n° 476 du 30 juin 1980, par 14 voix contre 0 avec une abstention (Etats-Unis). La résolution dispose :
« Réaffirmant que l’acquisition de territoire par la force est inadmissible. 
« Gardant présents à l’esprit le statut particulier de Jérusalem et, spécialement, la nécessité de protéger et de préserver la dimension spirituelle et religieuse unique des Lieux saints de cette ville. 
« Déplorant qu’Israël persiste à modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle et le statut de la Ville sainte de Jérusalem.
« Gravement préoccupé par les mesures législatives entamées par la Knesset israélienne en vue de modifier le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem.
« 1. Réaffirme la nécessité impérieuse de mettre fin à l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem ;
[…]
« 3. Confirme à nouveau que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, en vue de modifier le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem n’ont aucune validité en droit et constituent une violation flagrante des Conventions de Genève relatives à la protection des personnes civiles en temps de guerre et font en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient ;
« 4. Réaffirme que toutes les mesures qui ont modifié le caractère géographique, démographique et historique et le statut de la Ville sainte de Jérusalem sont nulles et non avenues et doivent être rapportées en application des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité ;
« 5. Demande instamment à Israël, la Puissance occupante, de se conformer à la présente résolution et aux résolutions précédentes du Conseil de sécurité et de cesser immédiatement de poursuivre la mise en œuvre de la politique et des mesures affectant le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem ».
Ignorant cette résolution, Israël n’a pas suspendu l’adoption par la Knesset de la « loi fondamentale » sur Jérusalem. De nouveau, le Conseil de sécurité réagira fermement à cette décision. Reprenant pratiquement les termes de sa résolution n° 476 (1980), le Conseil adopta à la 2245ème séance, la résolution n° 478 du 20 août 1980, toujours par 14 voix contre 0 avec une abstention (Etats-Unis). En vertu de cette résolution, le Conseil :
« 1. Censure dans les termes les plus énergiques l’adoption par Israël de la ‘’loi fondamentale’’ sur Jérusalem et son refus de se conformer aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité ;
« 2. Affirme que l’adoption de la ‘’loi fondamentale’’ sur Jérusalem constitue une violation du droit international et n’affecte pas le maintien en application de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem ;
[…]
« 5. Décide de ne pas reconnaître la ‘’loi fondamentale’’ et les autres actions d’Israël qui, du fait de cette loi, cherchent à modifier le caractère et le statut de Jérusalem et demande :
               a) A tous les Etats membres d’accepter cette décision
               b) Aux Etats qui ont établi des missions diplomatiques à Jérusalem de retirer ces missions de la Ville sainte ».
Pas plus que la résolution n° 476 (1980), la résolution n°478 (1980) n’a pas été également appliquée par Israël, cependant les Etats membres des Nations Unis se sont abstenus de déplacer les sièges de leurs missions diplomatiques, de Tel Aviv à Jérusalem, malgré l’adoption de la « loi fondamentale » sur Jérusalem et malgré le déplacement des sièges des institutions politiques israéliennes à Jérusalem.
Il ressort des deux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité quant au caractère et au statut de Jérusalem, que cette ville, indépendamment de son histoire et de sa symbolique religieuse est, d’un point de vue strictement juridique, un territoire occupé et que le régime juridique auquel elle devrait être soumise est celui prévu par la IVème Convention de Genève[12] relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949[13].
Alors que la communauté internationale et, en particulier, le Conseil de sécurité continuaient à suivre avec inquiétude l’évolution de la situation en ce qui concerne la question de Palestine, le Conseil a pris une mesure importante en adoptant, le 12 octobre 1990, sa résolution 672, à la suite des actes de violence commis par les forces de sécurité israéliennes à la mosquée Al-Aqsa. Le Conseil, après avoir condamné tout particulièrement les actes de violence commis par les forces de sécurité israéliennes, qui avaient fait des morts et des blessés, a engagé Israël à « s’acquitter scrupuleusement des obligations juridiques et des responsabilités lui incombant en vertu de la quatrième Convention de Genève relative à la protection de la population civile en temps de guerre, en date du 12 août 1949, qui est applicable à tous les territoires occupés par Israël depuis 1967 » .
L’applicabilité à Jérusalem de la quatrième Convention de Genève a été réaffirmée par le Conseil de sécurité dans sa résolution du 20 décembre 1990 dans laquelle il exprime sa grave préoccupation devant la détérioration de la situation « dans tous les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem » et demande à Israël de s’y conformer.
La dixième session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée générale[14], ouverte en 1997, est restée ouverte. A la reprise de février 1999, l’Assemblée générale a affirmé son soutien au processus de paix au Moyen-Orient sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du principe « terre contre paix ». Rappelant ses résolutions sur la question, notamment sa résolution 181 (II) et celles du Conseil de sécurité, l’Assemblée générale a réaffirmé que la communauté internationale, par l’intermédiaire de l’Organisation des Nations Unies, porte un intérêt légitime à la question de la ville de Jérusalem et à la protection du caractère spirituel et religieux unique de cette ville. Elle a réaffirmé également que toutes les mesures prises par Israël, puissance occupante, qui ont modifié ou visaient à modifier le caractère, le statut juridique et la composition démographique de Jérusalem étaient nulles et non avenues.
Pour sa part, la Cour internationale de Justice (CIJ) a, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de 1'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, affirmé clairement que :
« [s]elon le droit international coutumier […], un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie […].
Les territoires situés entre la Ligne verte […] et l'ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat ont été occupés par Israël en 1967 au cours du conflit armé ayant opposé Israël à la Jordanie. Selon le droit international coutumier, il s'agissait donc de territoires occupés dans lesquels Israël avait la qualité de puissance occupante. Les événements survenus depuis lors dans ces territoires n'ont rien changé à cette situation. L'ensemble de ces territoires […] (y compris Jérusalem-Est) demeurent des territoires occupés et Israël y a conservé la qualité de puissance occupante »[15].
En plus des nombreuses résolutions du CS et de l’AG citées ci-dessus, il y a lieu de mentionner que des instruments juridiques conventionnels liant Israël à l’Egypte, à la Jordanie[16] ou à l’Organisation de libération de la Palestine reconnaissent ce même statut à la Ville sainte. C’est ainsi que dans la lettre du 17 septembre 1978, annexée aux accords de Camp David quant au statut de Jérusalem, le Président américain Jimmy Carter écrit au Président égyptien Sadate :
«La position des Etats-Unis en ce qui concerne Jérusalem demeure celle qui a été exposée par l'Ambassadeur Goldberg à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 14 juillet 1967, et ultérieurement par l'Ambassadeur Yost, au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 1 er juillet 1969[17]. 
Dans le même sens, dans la « lettre d’Assurances » adressée aux Palestiniens, à la veille de la Conférence de Madrid, par le Président George Bush, ce dernier affirme :
 
« Les États-Unis comprennent l'importance que les Palestiniens attachent à la question de Jérusalem-Est. Nous voulons donc vous assurer que rien de ce que les Palestiniens font en choisissant les membres de leur délégation dans cette phase du processus n'affectera leur revendication à Jérusalem-Est ou ne sera préjudiciable ou préjudiciable à l'issue des négociations.

Les États-Unis s'opposent à l'annexion israélienne de Jérusalem-Est et à l'extension de la loi israélienne sur celle-ci et à l'extension des limites municipales de Jérusalem. Nous encourageons toutes les parties à éviter les actes unilatéraux qui exacerberaient les tensions locales ou rendraient les négociations plus difficiles ou empêcheraient leur issue finale ».[18]
Toujours dans le même sens, le traité de paix conclu entre Israël et la Jordanie le 26 octobre 1994. Ce traité fixe la frontière entre les deux Etats « par référence à la frontière sous le mandat [...] telle qu'elle est décrite en annexe 1 a) ..., sans préjudice aucun au statut de tout territoire placé sous le contrôle du gouvernement militaire israélien en 1967 (article 3, paragraphes 1 et 2). Quant à l'annexe 1, elle fournit les cartes correspondantes et ajoute que, en ce qui concerne «le territoire passé sous le contrôle du gouvernement militaire israélien en 1967 », la ligne ainsi tracée « est la frontière administrative » avec la Jordanie.
Enfin, plusieurs accords sont intervenus depuis 1993[19] entre Israël et l'organisation de libération de la Palestine (OLP) mettant diverses obligations à la charge de chacune des parties. En vertu de ces accords, Israël devait notamment transférer à des autorités palestiniennes certains pouvoirs et responsabilités exercés dans le territoire palestinien occupé par ses autorités militaires et son administration civile. De tels transferts ont eu lieu, mais, du fait d'événements ultérieurs, ils demeurent partiels, limités et largement violés par Israël.
A la lumière de tous ces instruments internationaux et du droit international général (coutumier), il est très clair que la Ville sainte de Jérusalem est considérée à ce jour comme un territoire occupé et qu’Israël n’a de compétences juridiques sur cette ville que celles qui sont attachées à sa qualité de puissance occupante. La proclamation de Jérusalem comme capitale de l’Etat n’est pas opposable à la communauté internationale dans son ensemble. Elle a été explicitement et constamment déclarée comme étant non conforme au droit international et considérée comme nulle et non avenu. Il s’agit d’un fait internationalement illicite. La présence d’institutions politiques israélienne dans cette ville ne change rien à cette qualification juridique et au statut juridique d’occupation réalisée suite à une conquête armée qualifiée d’inadmissible ». Le seul cadre juridique international applicable à la Ville sainte est celui de la IV ème Convention de Genève[20].
La proclamation Trump : un fait internationalement illicite
La décision annoncée par le Président des Etats-Unis le 6 décembre 2017 de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y transférer l’Ambassade des Etats-Unis est d’un point de vue juridique un simple fait qui n’a aucune conséquence juridique internationale quant au statut de Jérusalem. Dans sa proclamation, le Président américain déclare qu’il « est temps d'officiellement reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël». Pour lui, il s’agit là de la reconnaissance d’une simple « réalité » et ce «près plus de deux décennies de dérogations» à la loi américaine de 1995 imposant le déplacement de l'ambassade de Tel Aviv à Jérusalem. En droit la « réalité » dont parle le Président des Etats-Unis n’est qu’un fait accompli non générateur de droits et de situations juridiques opposables. Quant à la loi américaine de 1995 elle n’est pas non plus un titre juridique valable. En droit international, le droit interne est un simple fait. Dans un passage célèbre d’un arrêt de la Cour permanente de justice internationale (ancêtre de la CIJ), la Haute juridiction affirme dans ce sens : « Au regard du droit international et de la Cour qui en est l’organe, les lois nationales sont de simples faits, manifestation de la volonté et de l’activité des Etats au même titre que les décisions judiciaires ou les mesures administratives »[21]. Ce principe est confirmé par les articles de la Commission de droit international de l’ONU de 2001, relatifs à la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite, notamment l’article 4, intitulé « comportement des organes de l’Etat », qui énonce : « Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législatives, exécutives, judiciaires ou autres quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat. »[22].
***
De ce qui précède, il apparaît clairement que la parade à la proclamation Trump doit se fonder sur un argumentaire juridique sérieux et étoffé. Aussi compréhensibles soient elles les réactions émotionnelles ne conduisent nulle part. Comme l’avait préconisé le Président Bourguiba dans son célèbre discours prononcé à Jéricho devant les réfugiés palestiniens de 1948 le 3 mars 1965, deux ans avant l’occupation de Jérusalem, les Palestiniens d’abord, les Arabes ensuite doivent s’accrocher à la légalité internationale pour donner une assise solide à leur combat politique.



[1] Résolution n° 181 (II) du 29 novembre 1947 intitulée « Gouvernement futur de la Palestine ». Le partage crée deux États (État juif, État arabe) et érige Jérusalem en zone sous administration internationale). La résolution a été votée par 33 voix contre 13 avec 10 abstentions. Ont voté pour : États-Unis d’Amérique, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, République socialiste soviétique de Biélorussie, Canada, Costa Rica, Danemark, République dominicaine, Équateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Libéria, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, République populaire de Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, République socialiste soviétique d’Ukraine, Union sud-africaine, URSS, Uruguay et Venezuela.
 Ont voté contre : Afghanistan, Arabie saoudite, Cuba, Égypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie et Yémen.
Se sont abstenus : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Salvador, Empire d'Éthiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni, Yougoslavie.
[2] « Le Statut élaboré par le Conseil de tutelle, d'après les principes énoncés plus haut, entrera en vigueur le 1er octobre 1948 au plus tard. Il sera tout d'abord en vigueur pendant une période de dix ans, à moins que le Conseil de tutelle n'estime devoir procéder plus tôt à un nouvel examen de ces dispositions. A l'expiration de cette période, l'ensemble du Statut devra faire l'objet d'une révision de la part du Conseil de tutelle, à la lumière de l'expérience acquise au cours de cette première période de fonctionnement. Les personnes ayant leur résidence dans la Ville auront alors toute liberté de faire connaitre, par voie de referendum, leurs suggestions relatives à d'éventuelles modifications au régime de la Ville ».
[3] Résolution n° 194 (III) du 11 décembre 1948 : « Décide qu’en raison des liens qu’elle a avec trois religions  mondiales, la région de Jérusalem, y compris la municipalité actuelle de Jérusalem et les villages et centres environnants, dont le plus oriental sera Abu Dis; le plus méridional, Bethléem; le plus occidental, Ein Karim (y compris  l’agglomération de Motsa); et le plus septentrional, Shu'fat, devrait bénéficier d'un traitement particulier et distinct de celui des autres régions de la Palestine et devrait être placé sous le contrôle effectif des Nations Unies ».
[4] Adoptée lors de la 1382èmè séance à l’unanimité
[5] Résolutions numéros :
252 du 21 mai 1968, adoptée lors de la 1126è séance par 13 voix, contre 0 et 2 abstentions (Canada et Etats-Unis) ;
267 adoptée lors de la 1485è séance à l’unanimité ;
271 du 15 septembre 1969, adoptée lors la 1512è séance par 11 voix, contre et 4 abstentions (Colombie, Etats-Unis, Finlande et Paraguay) ; 
298 du 25 septembre 1971, adoptée lors de la 1582è séance par 14 voix pour, 0 contre et une abstention (Etats-Unis) ;
465 du 1er mars 1980 adoptée lors de la 2203è séance à l’unanimité.
[6] Résolutions n° 252 précitée.
[7] Résolution n° 465 (1980) précitée.
[8] Intitulées « Mesures prises par Israël pour modifier le statut de la ville de Jérusalem ».
[9] Par exemple : Résolutions : 62/84 du 12 décembre 2007 ; 64/94 du 10 décembre2009 ; 71/25 du 1er/12/2017.
[10] « w]ith regard to the specific measures taken by the Government of Israel on 28 June [“administrative action”, i.e. annexation of east Jerusalem – M.N.], I wish to make it clear that the United States does not accept or recognize these measures as altering the status  of Jerusalem…We insist that the measures taken cannot be considered as other than interim and provisional and not as prejudging the final and the permanent  status of Jerusalem.
We believe that the most fruitful approach to a discussion on the future of Jerusalem lies in dealing with the entire problem as one aspect of the broader arrangements that must be made to restore a just and durable peace in the area ».
 Cf. http://jcpa.org/article/the-status-of-jerusalem-in-americas-foreign-policy-legislation-and-jurisprudence/
[11] «Texte de la Loi fondamentale sur Jérusalem
1. Jérusalem, entière et unifiée, est la capitale d’Israël.
2. Jérusalem est le siège du président de l’Etat, de la Knesset, du gouvernement et de la Cour suprême.
3. Les Lieux Saints seront protégés contre la profanation et contre toute atteinte, ainsi que contre tout ce qui peut prévenir la liberté d’accès des croyants des différentes religions à leurs lieux sacrés, et tout ce qui peut heurter leurs sentiments à l’égard de ces lieux.
4.1. Le gouvernement veillera au développement, à la prospérité de Jérusalem et au bien-être de ses habitants en allouant des fonds spéciaux, notamment une subvention annuelle spéciale à la municipalité de Jérusalem (subvention de la capitale) avec l’approbation de la Commission des finances de la Knesset.
4.2. L’Etat accordera la priorité à Jérusalem pour ce qui concerne son développement dans les domaines économiques et autres.
4.3. Le gouvernement mettra en place un ou plusieurs organismes pour la mise en œuvre de ces dispositions.
5. Le territoire de Jérusalem comprend, pour cette loi fondamentale, entre autres, toutes les parties de la ville, intégrées dans la municipalité de Jérusalem depuis le 28 juin 1968.
6. La souveraineté sur Jérusalem ne passera pas aux mains d’une entité étrangère, étatique ou souveraine, ou une entité étrangère autre, aussi bien provisoirement que définitivement. Toute autorité touchant au territoire de Jérusalem est conférée selon le droit d’Israël, ou la municipalité de Jérusalem.
7. On ne peut changer les ordonnances des paragraphes 6 et 7 que par une nouvelle loi fondamentale avec une majorité spéciale des députés.
Itzhak Navon, président de l’Etat
Menahem Begin, Premier ministre

[12] Les Etats parties à la IVè convention de Genève ont, lors de la conférence qu'ils ont tenue le 15 juillet 1999, adopté une déclaration aux termes de laquelle ils « ont réaffirmé que la quatrième convention de Genève était applicable au territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». En plus, le 5 décembre 200 1, les Hautes Parties contractantes, concernant notamment à l'article 1" de la quatrième convention de Genève de 1949, ont réaffirmé « l'applicabilité de la convention au territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est».
[13] Ratifiée par Israël le 6 juillet 1951.

[14] Intitulée « Mesures illégales prises par les autorités israéliennes à Jérusalem-Est occupée ainsi que dans le reste du Territoire palestinien occupé »

[15] Paragraphe 78
[16] Traité israélo jordanien du 26 octobre 1994
[17] https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201136/volume-1136-I-17813-French.pdf
[18] « * The U.S. understands how much importance Palestinians attach to the question of East Jerusalem. Thus we want to assure you that nothing Palestinians do in choosing their delegation members in this phase of the process will affect their claim to East Jerusalem or be prejudicial or precedential to the outcome of the negotiations.
* The U.S. is opposed to the Israeli annexation of East Jerusalem and extension of Israeli law on it and the extension of Jerusalem's municipal boundaries. We encourage all sides to avoid unilateral acts that would exasperate local tensions or make negotiations more difficult orpreempt their final outcome. ». The Madrid Peace Conference, Journal of Palestine Studies, Vol. 21, No. 2 (Winter, 1992), pp. 117-149, Published by : University of California Press on behalf of the Institute for Palestine Studies.

[19] Notamment l’accord d’Oslo signé à Washington le 13 septembre 1997.
[20] Cf. ONU, AG, Résolution 64/92 du 10 décembre 2009 « Applicabilité de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, au territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et aux autres territoires arabes occupés
[21] Arrêt du 25 mai 1926, Haute-Silésie polonaise
[22] Texte adopté par la CDI à sa cinquante-troisième session, en 2001, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre du rapport de la Commission sur les travaux de ladite session. Le texte est repris dans l’annexe à la résolution 56/83 de l’Assemblée générale en date du 12 décembre 2001.