jeudi 15 septembre 2016

A propos des pouvoirs du Bureau de l'ARP

Dès son investiture, le nouveau gouvernement tunisien conduit par M. Youssef Chahed, a demandé à l'ARP, qui se trouve en période de vacances, de tenir une session extraordinaire en vue de l'adoption un certain nombres de projets de loi déjà soumis à l'ARP par le gouvernement sortant.
Malgré la clarté de l'article 57§3 de la Constitution du 27 janvier 2014, et de l'article 6§3 du Règlement intérieur de l'ARP, le bureau de l'Assemblée a tergiversé quant à cette demande et a mis du temps pour fixer la date de la session pour enfin se décider à la tenir les 16 et 17 septembre prochains.
Malheureusement, l'ARP qui a hérité des mauvaises procédures de l'ANC a fait perdre beaucoup de temps pour passer à l'exécution immédiate de son programme adoptée par la même ARP lorsqu'elle vota la confiance au gouvernement. Il faut rappeler ici, que lorsque le Président de la République ou la Chef du gouvernement ou un certain nombre de députés demandent la tenue d'une session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé, il n'appartient pas au bureau de l'ARP d'en juger l'opportunité. Il est en la matière dans un cas de compétence lié. la seule possibilité ouverte au Bureau est de fixer la date de la session.

lundi 5 septembre 2016

Sécurité routière Il est temps de décréter la tolérance zéro




Sur les routes tunisiennes, autoroutes et  routes nationales, routes régionales et routes urbaines,  rues et pistes, depuis des années, une « véritable guerre civile », selon les statistiques officielles de l’Observatoire national de la sécurité routière (ONSER), emporte en moyenne, 4 à 5 vies humaines par jour et fait environ 1500 morts et 11.000 blessés par an! « Avec près de 8.000 accidents, […] 1,8 millions de véhicules, les routes tunisiennes sont considérées comme parmi les plus dangereuses du monde : à titre de comparaison, les pays d’Europe comptent environ 8 ou 9 morts pour 100.000 véhicules (9 en France, 8,9 en Allemagne, 6,9 en Suisse, etc.) contre un ratio de 87 en Tunisie. Il est donc 10 fois plus dangereux de rouler en Tunisie qu’en Europe… » [1]

Il va sans dire que ces carnages chaque jour réitérés engendrent bien des dégâts  matériels, privés et publics. Si l'Association tunisienne pour la prévention routière indique que les accidents de la route causent à l'Etat des pertes allant jusqu'à 700 millions de dinars par an, le Comité général des assurances déclare que : « La cause principale des problèmes de l’assurance tunisienne est à rechercher dans le déficit structurel de la branche automobile, de loin la plus importante en volume »[2].


Il n’est pratiquement plus une  plus une famille tunisienne épargnée par ce fléau, chacune comptant au moins une victime d’un accident survenu sur la voie publique (décès, handicap perpétuel, handicap temporaire, longue hospitalisation, choc psychologique, etc.). Loin de porter les enseignements attendus, le chaos routier augmente de jour en jour. Emprunter la voie publique devient une véritable gageure. La route est un vrai champ de bataille comme l’indique, ci-après, le tableau récapitulatif des accidents de la route sur les années 2012, à 2015[3] :

2012
2013
2014
2015
Tués
1623
1505
1565
1407
Blessés
14144
13539
12354
10882

Face à ce fléau national, les autorités publiques n’ont pas agi efficacement, ont toujours toléré  l’irrespect absolu du code de la route et se sont contentées, de jeter de la poudre aux yeux des citoyens. L’ONSR précité se contente de compter les victimes, au mieux de faire des spots à la télévision ou de placer quelques banderoles sur certains passages routiers. Quant aux associations concernées, notamment l’Association de prévention routière, elle semble désintéressée de la question et l’on peut se demander ce qu’elle prévient au juste ? Un accident faisant des dizaines de victimes survient-il ? Les autorités et l’opinion publique s’émeuvent « le temps d’un soupir » ; les autorités sécuritaires promettent alors d’intensifier la « sensibilisation » des utilisateurs des différents véhicules et engins et autres usagers de la voie publique, et à les instruire des précautions nécessaires à prendre ; mais rien ne change, les engagements ne sont que vœux pieux, la route continue à faucher automobilistes et piétons.

Il faut noter, toutefois, que chaque année, au début du mois de juillet, ou à l’occasion d’évènements comme le jour de l’an, les Aïds, la rentrée scolaire, est annoncée une multiplication de brigades, des contrôles, etc. Ces mesures restent, hélas, d’une efficacité toute relative ; le nombre de victimes demeurant le même.

En réalité, le problème de la sécurité routière a toujours été traité, comme dans d’autres secteurs, de manière démagogique et populiste. Ainsi, par exemple, le port obligatoire de la ceinture de sécurité a été maintes fois différé. On se souvient même d’une réunion dirigée par l’ex-président lui-même avec des chauffeurs de taxis qui contestaient cette obligation. Souvenons-nous également des radars que l’on avait installés sur certaines voies et qui, saccagés par des « citoyens3, n’ont jamais été rétablis. L’institution du permis à points a été annulée, comme a été annulée une série de mesures. Pourquoi ? Tout cela pour ne mécontenter aucune catégorie d’usagers. Les moyens de transports en commun publics et privés ainsi que les taxis, louages et poids lourds échappent, quant à eux, aux règles élémentaires de la sécurité, les conducteurs rivalisant en performances de non respect du code de la route et roulant à tombeaux ouverts.

Après la révolution, rien n’a changé : l’anarchie la plus complète règne sur la voie publique, sous le regard, soit complaisant, si ce n’est complice, soit totalement désarmé des forces de sécurité. Quant à l’incivilité des comportements, il vaut mieux ne pas en parler !

Plusieurs pays ont été ou sont confrontés à ce fléau. Cependant, certains d’entre eux, ceux  qui estiment que la sécurité routière est partie intégrante de la sécurité publique ont pris le taureau par les cornes. Ils ne se sont pas contentés de sensibilisation et de phraséologie. Ils ont agi et ont inscrit la lutte contre le fléau de l’insécurité routière parmi les priorités nationales. En Angleterre, Tony Blair (Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 27 juin 2007) en avait fait un des points cardinaux de son programme électoral. Il a largement réussi à l’appliquer et est arrivé à réduire de manière drastique le nombre des tués sur la route. Entre 2005 et 2009, le nombre de tués sur la voie publique au Royaume Uni a baissé de 30% passant de 3068 à 2337[4]. En 1990, ce nombre était de 5217. Bref, ce fléau est tellement sérieux que l’OMS le considère également parmi ses priorités comme l’indique l’encadré ci-après :

Les Accidents de la route d’après l’Aide mémoire N° 358 de l’OMS
(Octobre 2015)

·       - Les accidents de la route entraînent 1,25 million de décès par an environ.
·       -Les accidents de la route sont la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans.
·       - 90% des décès sur les routes surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, qui possèdent environ la moitié du parc mondial de véhicules.
·       - La moitié des tués sur les routes sont des «usagers vulnérables» (piétons, cyclistes et motocyclistes).
·       - Si rien n’est fait, les accidents de la route deviendront, selon les projections, la septième cause de mortalité d’ici à 2030.
·       - Le programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies a fixé une cible ambitieuse pour la sécurité routière, à savoir diminuer de moitié le nombre total des morts et des blessés dus aux accidents de la route d’ici à 2020

La lutte contre le fléau de l’insécurité routière avec son cortège de malheurs n’est ni une affaire de la sensibilisation, ni de spots à la TV, ni de statistiques ; c’est une politique publique de tolérance zéro des infractions routières, aussi minimes soient-elle, qu’il convient d’adopter.

Le drame, qui vient de se produire à Kasserine et qui a fait 16 tués et 60 blessés, devrait inciter le nouveau gouvernement à couper court avec le laxisme et le laisser-faire face aux infractions routières. Il ne s’agit pas pour le moment de refaire le code de la route ou de l’amender. Il s’agit de l’appliquer et de l’appliquer totalement et strictement sans laisser passer la moindre infraction. A cet effet, la police et la garde nationales, les ministères concernés (transports et équipement, etc.) devraient adresser à leurs agents et services concernés non seulement les consignes strictes et précises de sévérité, mais également réprimer toutes les formes de corruption dont nul n’ignore l’étendue et l’impact sur la prévention routière. Les infractions, mêmes les plus graves, ne sont ni relevées et ni réprimées.

La tolérance zéro sur dans l’application du code de la route est non seulement le seul remède contre cette guerre routière mais également un élément central pour le rétablissement de la crédibilité de l’Etat et de la puissance publique. Faute de quoi, on continuera à pleurer nos tués de la voie publique, et à nous lamenter sur la déliquescence  de l’autorité de l’Etat.







[1] Comité général des assurances (CGA) & Groupe de la Banque mondiale, Réforme de l’assurance de la responsabilité civile en Tunisie :état des lieux et recommandations, version août 2015, disponible sur : http://www.cga.gov.tn/fileadmin/contenus/pdf/Rapport-RC-Automobile-Tunisie-2015.pdf
[2]Idem.
[3] Chiffres de l’ONSR, disponibles sur : http://onsr.nat.tn/onsr/index.php?page=11ar