dimanche 4 juin 2017

Opinion individuelle du Juge Rafaâ Ben Achour

Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
Avis consultatif du 26 mai 2017
Socio-economic Rights and Accountability Project (SERAP)

Opinion individuelle du Juge Rafaâ Ben Achour


1.     Je suis dans l’ensemble d’accord avec le raisonnement et les motifs développés par la Cour pour considérer que le demandeur d’avis (SERAP) « [m]ène ses activités non seulement au Nigéria, mais dans la région ouest-africaine et sur le continent tout entier [et qu’il] répond ainsi à la description dune organisation africaine, au sens de l’article 4 du Protocole » (§51) ; mais que cependant « SERAP, n’étant pas doté du statut d’observateur après de l’Union africaine et n’ayant pas signé de Protocole d’accord avec celle-ci […], il n’est pas reconnu par l’Union et n’a donc pas qualité pour saisir la Cour d’une demande d’avis consultatif » (§65).
2.     La Cour n’avait pas le choix et ne pouvait faire autrement. Elle était ‘ligotée’ par les termes explicites de l’article 4(1) de son Protocole[1] et par la pratique restrictive de l’Union en matière d’octroi de la qualité d’observateur auprès d’elle aux ONG.
3.     Il aurait été souhaitable que la saisine de la Cour soit plus ouverte en matière consultative et que les conditions imposées aux ONG soient moins rigides. La Cour avait formulé semblable souhait dans son avis consultatif du 5 décembre 2014 (Comité africain d’experts sur les droits et le bien être des enfants ). Dans le paragraphe 94 dudit avis, la Cour « [f]ait en outre observer que cette décision des organes politiques [insertion du Comité d’experts parmi les organes pouvant saisir la Cour dans le Protocole de 2008, portant fusion entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice de l’UA] confirme d’une part l’avis de la Cour, à savoir qu’il est hautement souhaitable que le Comité soit habilité à saisir la Cour ». dans le même sens, la Cour affirme dans le point 3 (iii) du dispositif de son avis que « L[a] Cour est d’avis que le Comité devrait être habilité à saisir la Cour en vertu de l’article 5(1) du Protocole ».
4.     Cependant mon accord avec les motifs invoqués par la Cour dans l’avis SERAP n’emporte pas mon agrément avec le dispositif dudit avis.
5.     Selon moi, la Cour a donné son avis (négatif) sur la première des deux questions posées par SERAP dans sa demande d’avis, question qui consiste à savoir « si SERAP est une organisation africaine reconnue par l’UA ».
6.     Il est vrai, comme le relève très justement la Cour, que cette question se ramène à l’examen de la compétence de la Cour à donner un avis consultatif. Dans le paragraphe 39 la Cour affirme «[ l]’examen de la compétence de la Cour l’amène à répondre à la première question soulevée par SERAP concernant sa qualité pour saisir la Cour d’une demande d’avis consultatif ».
7.     En toute logique, le dispositif de l’avis aurait du avoir une formulation différente de celle consistant en une ’déclaration’ rigide d’incompétence rationae personne.
8.     A mon avis, la Cour aurait du terminer son avis en réaffirmant ce qu’elle avait développé dans les motifs, à savoir que :
i.                SERAP est une organisation africaine au sens de l’article 4(1) du Protocole
ii.              SERAP n’est pas reconnue par l’UA
iii.             La Cour ne peut en conséquence répondre à la deuxième question posée par SERAP de savoir « si la pauvreté extrême, systématique et généralisée constitue une violation de certaines dispositions de la Charte africaine, notamment l’article 2 qui interdit la discrimination fondée sur ‘toute autre situation’ » pour défaut de qualité du demandeur d’avis.
9.     Cette position trouve des fondements solides dans la jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) et dans celle de son héritière, la Cour internationale de justice (CIJ).
10. Concernant la CPJI, l’auguste Cour a eu à rejeter une demande d’avis à une seule reprise. Il s’agit de l’avis du 23 juillet 1923, Statut de la Carélie orientale[2]. Dans cet avis, la Cour ne déclare pas qu’elle n’a pas compétence. Elle explique que son refus discrétionnaire de donner l’avis consultatif demandé a été motivé par les facteurs suivants:
1. le fait que la question posée dans la requête pour avis consultatif avait trait à un différend entre deux États (Finlande et Russie) ;
2. le fait que répondre à la question équivalait à trancher ce différend ;
3. le fait que l'un des États parties au différend au sujet duquel a été demandé un avis consultatif, la Russie, n'était ni partie au Statut de la C.P.J.I., ni, à l'époque, membre de la Société des Nations, et avait refusé de donner son consentement ;
4. le fait que la Société des Nations n'avait pas compétence pour traiter d'un différend impliquant des États non membres qui refusaient son intervention, et ce, en vertu du principe fondamental selon lequel aucun État ne saurait être obligé de soumettre ses différends avec les autres États, soit à la médiation, soit à l'arbitrage, soit enfin à n'importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement ;
5. le fait qu’à la suite du refus russe la Cour ne pouvait établir contradictoirement les faits, et se trouvait donc devant l'absence concrète de « renseignements matériels nécessaires pour lui permettre de porter un jugement sur la question de fait » posée dans la demande d’avis consultatif.
11. De son côté, la CIJ a toujours estimé qu’ « [e]n principe, la réponse à une demande d’avis ne doit pas être refusée »[3] et « [q]u’il faudrait des raisons décisives pour déterminer la Cour à opposer un refus à une demande d’avis consultatif »[4].  Parmi les raisons décisives invoquées par la Cour figurent le caractère non juridique des questions[5], les questions qui concerneraient des affaires relevant essentiellement de la compétence nationale[6], ou encore les questions qui devraient conduire à « trancher au fond un litige pendant »[7], etc.
12. Comme la CPJI, la CIJ a refusé à une seule reprise de donner suite à une demande d’avis consultatif. Il s’agit de l’avis sur la demande de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la licéité de l’utilisation des armes nucléaires dans les conflits armés[8]. Dans sa demande, l’OMS priait la Cour de se prononcer sur la question suivante : «[C]ompte tenu des effets des armes nucléaires sur la santé et l'environnement leur utilisation par un Etat au cours d'une guerre ou d'un autre conflit armé constituerait-elle une violation de ses obligations au regard du droit international, y compris la Constitution de l'OMS? ». Se référant à l’article 2 de la Constitution de l’OMS[9] qui énumère les 22 fonctions conférées à l’Organisation, la Cour relève que « [A]ucun de ces points ne vise expressément la licéité d'une quelconque activité dangereuse pour la santé; et aucune des fonctions de l'OMS n'y est rendue tributaire de la licéité des situations qui lui imposent d'agir » (§20). Plus loin la Cour ajoute à propos de l’article 2 de la Constitution de l’OMS relatif aux moyens conférés à l’Organisation pour atteindre ses buts que « [l]es dispositions de l'article 2 peuvent être lues comme habilitant l'organisation à traiter des effets sur la santé de l'utilisation d'armes nucléaires, ou de toute autre activité dangereuse, et à prendre des mesures préventives destinées à protéger la santé des populations au cas où de telles armes seraient utilisées ou de telles activités menées » (§21). Cependant, la Cour constate que « La question posée en l'espèce à la Cour porte, toutefois, non sur les effets de l'utilisation d'armes nucléaires sur la santé, mais sur la licéité de l'utilisation de telles armes compte tenu de leurs effets sur la santé et l'environnement. Or, quels que soient ces effets, la compétence de l'OMS pour en traiter n'est pas tributaire de la licéité des actes qui les produisent. En conséquence, il n'apparaît pas à la Cour que les dispositions de l'article 2 de la Constitution de l'OMS, interprétées suivant les critères sus-indiqués, puissent être comprises comme conférant compétence à l'Organisation pour traiter de la licéité de l'utilisation des armes nucléaires, et, dès lors, pour poser à la Cour une question à ce sujet » (§21)[10]. Et la Cour de conclure «Etant parvenue à la conclusion que la demande d'avis consultatif présentée par l'OMS ne porte pas sur une question qui se pose (dans le cadre de [l']activité» de cette organisation conformément au paragraphe 2 de l'article 96 de la Charte, la Cour constate qu'une condition essentielle pour fonder sa compétence en l'espèce fait défaut et qu'elle ne peut, par suite, donner l'avis sollicité. En conséquence, la Cour n'a pas à examiner les arguments qui ont été développés devant elle concernant l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de donner un avis » (§31). 
13. Ainsi, comme la Cour de céans, la CIJ conclut à son incompétence à donner l’avis. Cependant, dans le dispositif de l’avis, la Cour « [D]it qu'elle ne peut donner[11] l'avis consultatif qui lui a été demandé aux termes de la résolution WHA46.40 de l'Assemblée mondiale de la Santé en date du 14 mai 1993 ». C’est ce que la CAfDHP aurait du dire concernant SERAP
14. En conclusion, il ne reste qu’à formuler l’espoir de voir l’Union africaine procéder à un amendement de l’article 4(1) du Protocole dans le sens de l’ouverture des possibilités de saisine de la CAfDHP et d’assouplissement des conditions requises des ONG pour que leur demande d’avis rentre dans le champ de compétence de la Cour ; ou alors, la voie de l’amendement étant incertaine, d’accorder ses critères d’octroi du statut d’observateur aux ONG avec ceux de la Commission de Banjul.
15. Enfin, remarquons, que malgré leur refus des demandes d’avis dans les cas de la Carélie orientale et de la licéité de l’utilisation des armes nucléaires, la CPJI comme la CIJ n’ont pas hésité à intituler leurs deux décisions de refus d’avis consultatif. En effet, C’est la nature de la demande qui détermine la nature de la décision et sa qualification non l’issue réservée à la demande[12].

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[1] « A la demande d’un Etat membre de l’OUA, de l’OUA, de tout organe de l’OUA ou d’une organisation africaine reconnue par l’OUA, la Cour peut donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme, à condition que l’objet de l’avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission ».
[2] CPJI. Avis consultatif, Statut de la Carélie orientale, 23 juillet 1923, Série B, n°5.
[3] CIJ, Avis consultatif du 3 mars 1950 , Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un Etat membre aux Nations unies, Rec. 1950, P. 71
[4] CIJ, Avis consultatif du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires, Rec. P. 235, § 14 ; Avis consultatif du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Rec. 2004, p. 156 – 157, § 44.
[5] CIJ, Avis consultatif du 20 juillet 1962, Certaines dépenses des Nations Unies, Rec. 1962, p.155.
[6] CIJ, Avis consultatif du 3 mars 1950 déjà cité, p. 70
[7] CIJ, Avis consultatif du 15 décembre 1989, Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations unies, Rec. P. 177 -221.
[8] CIJ, Avis consultatif du 8 juillet 1996 déjà cité.
[9] La Constitution de l'OMS a été adoptée et ouverte à signature le 22 juillet 1946; elle est entrée en vigueur le 7 avril 1948 et a été amendée en 1960, 1975, 1977, 1984 et 1994
[10] Non soulignés dans le texte.
[11] Idem
[12] Voir en sens contraire, l’opinion du juge Matusse sous cet avis.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL DE LA PROHIBITION DE L’ESCLAVAGE


Summary
Slavery dates back to early days of history and it is the first human rights violation that has preoccupied the international community. There were several bilateral and multilateral instruments containing provisions prohibiting slavery, nevertheless, they were not really effective. It was untill the then League of Nations which had played a major role in the abolition of slavery. Indeed, it was after the Second World War that slavery became a principle of Customary International Law or jus cogens.  Since the Second World War to date, there has been an increase, not only in the international legal instruments prohibiting slavery, but also in the definition of the concept of "slavery", which can take many forms in our contemporary context . One of these forms, commonly referred to as "modern slavery", covers different forms of slavery, including vulnerable groups, namely women and children.  In this article, we first define the notion of slavery; we then present the international legal framework for the prohibition of slavery and its content and we finalize by focusing on the application of the standards in jurisprudence.

Sommaire

L’esclavage remonte à la période de l’Antiquité et constitue la première atteinte aux droits de l’homme qui a préoccupé la communauté internationale. Plusieurs instruments bilatéraux et multilatéraux contenaient des dispositions qui interdisaient l’esclavage, mais ces derniers ne furent pas réellement efficaces. La Société des Nations qui a joué un rôle majeur dans l’abolition de l’esclavage mais ce n’est que suite à la Deuxième Guerre Mondiale que l’esclavage devint un principe de droit international coutumier voire de jus cogens[1]. Depuis on constate non seulement une augmentation des instruments juridiques internationaux interdisant l’esclavage, mais également, une évolution dans la définition de la notion « d’esclavage » qui, peut prendre plusieurs formes dans notre contexte contemporain. L’une de ces formes communément appelé « esclavage moderne », couvre différentes formes d’esclavage touchant notamment les groupes vulnérables, à savoir les femmes et les enfants. Dans cet article, nous définissons d’abord la notion d’esclavage. Nous présentons ensuite, le cadre juridique international de l’interdiction de l’esclavage et son contenu. Enfin, nous nous traitons de l’application des normes par la jurisprudence.




Introduction

L’esclavage remonte à la période de l’Antiquité et constitue la première atteinte aux droits de l’homme qui a préoccupé la communauté internationale. Dès lors, on a constaté une volonté du mouvement abolitionniste de mettre fin à la traite transatlantique des esclaves[2]. Plusieurs instruments bilatéraux et multilatéraux contenaient des dispositions qui interdisaient l’esclavage, mais ces derniers ne furent pas réellement efficaces[3]. C’est alors la Société des Nations qui a joué un rôle majeur dans l’abolition de l’esclavage en attirant l’attention de la communauté internationale sur cette problématique. En effet, c’est suite à la Deuxième Guerre Mondiale que l’esclavage devint un principe de droit international coutumier voire de jus cogens[4].

Depuis la Deuxième Guerre Mondiale à ce jour, on constate non seulement une augmentation des instruments juridiques internationaux interdisant l’esclavage, mais également, une évolution dans la définition de la notion « d’esclavage » qui, peut prendre plusieurs formes dans notre contexte contemporain. L’une de ces formes communément appelé « esclavage moderne », couvre différentes formes d’esclavage touchant notamment les groupes vulnérables, à savoir les femmes et les enfants.

Dans cet article, nous définirons d’abord la notion d’esclavage. Nous présenterons ensuite, le cadre juridique international de l’interdiction de l’esclavage et son contenu (instruments juridiques). Enfin, nous nous intéresserons à l’application des normes par la jurisprudence.

I.               Définitions
La première définition de l’esclavage est formulée par la Convention relative à l’esclavage[5] comme suit :
« 
1.     L'esclavage est l'état ou la condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux ;

2.     La traite des esclaves comprend tout acte de capture, d'acquisition ou de cession d'un individu en vue de la réduire en esclavage ; tout acte d'acquisition d'un esclave en vue de le vendre ou de l’échanger ; tout acte de cession par vente ou échange d'un esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, ainsi que, en général, tout acte de commerce ou de transport d'esclaves. »[6]
Nous constatons que cette définition ne traite que de l’esclavage proprement dit (traditionnel) et n’englobe pas les formes modernes de l’esclavage que nous connaissons aujourd’hui. C’est en 1956, dans la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage[7], que la notion d’esclavage s’est vue amplifier de sorte à intensifier les efforts, tant nationaux qu'internationaux, qui visent à abolir l'esclavage, la traite des esclaves et les institutions et pratiques analogues à l'esclavage. C’est dans cette Convention qu’ont été exposé les différentes formes d’esclavage susmentionnées, et définies comme suit :
« 
a)     La servitude pour dettes, c'est-à-dire l'état ou la condition résultant du fait qu'un débiteur s'est engagé à fournir en garantie d'une dette ses services personnels ou ceux de quelqu'un sur lequel il a autorité, si la valeur équitable ce ces services n'est pas affectée à la liquidation de la dette ou si la durée de ces services n'est pas limitée ni leur caractère défini ;

b)    Le servage, c'est-à-dire la condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition ;

c)     Toute institution ou pratique en vertu de laquelle :
i) Une femme est, sans qu'elle ait le droit de refuser, promise ou donnée en mariage moyennant une contrepartie en espèces ou en nature versée à ses parents, à son tuteur, à sa famille ou à toute autre personne ou tout autre groupe de personnes;

ii) Le mari d'une femme, la famille ou le clan de celui-ci ont le droit de la céder à un tiers, à titre onéreux ou autrement;

iii) La femme peut, à la mort de son mari, être transmise par succession à une autre personne ;

d)    Toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent de moins de dix-huit ans est remis, soit par ses parents ou par l'un d'eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l'exploitation de la personne, ou du travail dudit enfant ou adolescent »[8].
Dès lors, plusieurs instruments internationaux ont fait leur apparition l’un à la suite de l’autre. Dans ce sens, l’Organisation internationale du travail (OIT) a joué un grand rôle en ce qui a trait au travail forcé, à la traite des êtres humains à l’esclavage et au travail des enfants.
Examinons à présent les différents instruments internationaux composant le cadre légal de l’interdiction de l’esclavage.

II.             Le cadre normatif
A/ Les instruments universels
Les principaux instruments universels interdisant l’esclavage sont les suivants :

i.               La Convention relative à l’esclavage Signée à Genève, le 25 septembre 1926, entrée en vigueur le  9 mars 1927 ;

ii.              La Convention de l’OIT (n° 29) sur le travail forcé, adoptée à Genève par la14ème session de la Conférence Internationale du travail le 28 juin 1930, entrée en vigueur le 01 mai 1932 ;

iii.            La Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre1948 ;

iv.            La Convention relative à la répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui approuvée par l'Assemblée générale dans sa résolution 317 (IV) du 2 décembre 1949, entrée en vigueur le 25 juillet 1951 ;

v.              Le Protocole amendant la Convention relative à l’esclavage signée à Genève le 25 septembre 1926, approuvé par l'Assemblée générale dans sa résolution 794(VIII) du 23 octobre 1953 , entré en vigueur le 7 décembre 1953 ;

vi.            Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage adoptée par une conférence de plénipotentiaires réunie en application des dispositions de la résolution 608(XXI)
du Conseil économique et social en date du 30 avril 1956, 
entrée en vigueur le 30 avril 1957 ;

vii.           Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l'Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur le 23 mars 1976 ;

viii.         Pacte international aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l'Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur le 23 mars 1976 ;

ix.             Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet (1998), entré en vigueur le 1er juillet 2002 ;

x.              Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité́ transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants du 15 novembre 2000, entré en vigueur le 25 décembre 2003 ;


Comme susmentionné, la Convention relative à l’esclavage de 1926 ne fut pas le premier instrument international à interdire l’esclavage, mais le premier instrument efficace s’y rapportant.
L’esclavage peut prendre plusieurs formes dont notamment :
i.               Le servage ;
ii.              Le travail forcé ;
iii.            La servitude pour dettes ;
iv.            La traite des êtres humains ;
v.              La prostitution ;
vi.            Le mariage forcé et ventes de femmes en vue de mariage ;
vii.           Le travail des enfants et enfants dans un état de servitude
La Charte internationale des droits de l’homme[9] est venue renforcer les interdictions qui figurent dans la Convention relative à l’esclavage et la Convention supplémentaire[10].
C’est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme proclame que :
« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes »[11]. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, pour sa part, sans faire mention de l’esclavage, interdit le travail forcé par rapport au droit du travail « qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté » [12] .
Quant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il interdit l’esclavage, la traite des esclaves sous toutes ses formes, la servitude et le travail forcé[13] ou obligatoire[14].
Le Statut de Rome de la CPI[15] considère l’esclavage, l’esclavage sexuel et la prostitution forcée comme crimes contre l’humanité. Toutefois, il importe de mentionner que le Statut s’applique uniquement dans un contexte où les actes ont été « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre tout population civile »[16] .
La Convention pour la répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui[17] traite de l’esclavage sexuel d’un point de vue de prostitution. Elle dispose :
« Les Parties à la présente Convention conviennent de punir toute personne qui, pour satisfaire les passions d'autrui :
1) Embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution une autre personne, même consentante ;
2) Exploite la prostitution d'une autre personne, même consentante »[18].
Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité́ transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants[19] (Protocole contre la traite des personnes) est à ce jour l’instrument le plus récent qui contient une disposition relative à l’esclavage. De plus, il est le premier à définir la traite des personnes comme suit :
« Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, en recourant à la force, à la menace ou d’autres formes de contraintes, ou par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou en donnant ou en recevant des paiements ou des avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail forcé, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. »[20] 
La Convention relative aux droits de l’enfant[21], en lien avec l’esclavage, mentionne l’interdiction de la traite des enfants, de la prostitution infantile et du travail des enfants. Son article 34 on définit l'obligation de protéger les enfants contre « toutes les formes d'exploitation et de violence sexuelle » et exige des États qu’ils empêchent que les enfants soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales.
Le Protocole de l’OIT de 2014 relatif à la convention de 1930 sur le travail forcé énonce que tous les États membres ont le devoir de prendre des mesures pour prévenir le travail forcé ou obligatoire. Celles-ci doivent comprendre :
« 
a)       l’éducation et l’information des personnes, notamment celles considérées comme particulièrement vulnérables, afin d’éviter qu’elles ne deviennent victimes de travail forcé ou obligatoire ;

b)       l’éducation et l’information des employeurs, afin d’éviter qu’ils ne se trouvent impliqués dans des pratiques de travail forcé ou obligatoire;

c)       des efforts pour garantir que :
i) le champ d’application et le contrôle de l’application de la législation pertinente en matière de prévention du travail forcé ou obligatoire, y compris la législation du travail en tant que de besoin, couvrent tous les travailleurs et tous les secteurs de l’économie ;
ii) les services de l’inspection du travail et autres services chargés de faire appliquer cette législation sont renforcés ;
d) la protection des personnes, en particulier des travailleurs migrants, contre d’éventuelles pratiques abusives ou frauduleuses au cours du processus de recrutement et de placement ;
e) un appui à la diligence raisonnable dont doivent faire preuve les secteurs tant public que privé pour prévenir les risques de travail forcé ou obligatoire et y faire face ;

f) une action contre les causes profondes et les facteurs qui accroissent le risque de travail forcé ou obligatoire »[22].
Il importe d’examiner les instruments régionaux, connexes aux instruments universels afin de mieux appréhender la question du cadre juridique international se rapportant à l’esclavage.
B/ Les instruments régionaux
-       La Convention américaine des droits de l’homme interdit l’esclavage et la servitude en ces termes :
« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. L'esclavage et la servitude ainsi que la traite des esclaves et la traite des femmes sont interdits sous toutes leurs formes.
2. Nul ne sera astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. Dans les pays où certains délits sont punis de détention accompagnée de travaux forcés, la présente disposition ne saurait être interprétée comme interdisant l'exécution d'une telle peine infligée par un juge ou un tribunal compétent. Cependant le travail forcé ne doit point préjudicier à la dignité ni à la capacité physique et intellectuelle du détenu.
3. Ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire aux effets du présent article :
 a. Tout travail ou tout service normalement requis d'une personne emprisonnée en exécution d'une sentence ou d'une décision formelle rendue par l'autorité judiciaire compétente. Un tel travail ou un tel service devra être effectué sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et les individus qui les fournissent ne seront pas mis à la disposition de particuliers, de sociétés ou de personnes morales privées ;
a.     Tout service de caractère militaire et, dans les pays où l'exemption d'un tel service est accordée aux objecteurs de conscience, tout service national qui en tient lieu aux termes de la loi ;
b.     Tout service requis dans les cas de danger ou de sinistres qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté, et
c.     Tout travail ou service faisant partie des obligations civiques normales ».[23]  
-       La Convention européenne des droits de l’homme prohibe l’esclavage et le travail forcé en ces termes :
« 
1.     Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
2.     Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.
3.      N’est pas considéré́ comme « travail forcé ou obligatoire » au sens du présent article :
a)  tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté́ conditionnelle ;
b)  tout service de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ;
c)  tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté́ ;
d)  tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales »[24].

-       La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples interdit également l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants :
« Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites »[25].
III.           Application des normes : la Jurisprudence
Comment les juridictions internationales, à savoir la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CJCEDEAO) appliquent-elles les normes se rapportant à l’esclavage[26].
a)    Cour interaméricaine des droits de l’homme
La Cour interaméricaine a eu à se prononcer sur un cas d’esclavage et de travail forcé dans l’affaire Massacres d’Ituango c. Colombie[27]. La Cour a fait usage de la définition de travail forcé tel qu’elle figure dans la Convention no.29 de l’OIT à savoir tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine.
La Cour a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention américaine des droits de l’homme qui mentionne l’interdiction du travail forcé s’agissant de de paysans et de bergers ayant été contraints, sous des menaces de mort, de travailler pendant plusieurs jours pour le groupe paramilitaire qui contrôlait la région. Ceci dit, la Cour a considéré que le travail forcé est une forme d’esclavage.
b)    Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme considère que la définition à l’article premier de la Convention relative à l’esclavage correspond au sens classique de l’esclavage tel qu’il a été pratiqué pendant des siècles[28]. Dans son raisonnement la Cour, part tout d’abord du particulier vers le général en cherchant à déterminer quand une pratique ne constitue pas un travail forcé ou obligatoire[29]., Elle vérifie ensuite, si on peut qualifier d’esclavage une telle pratique avant d’apprécier la qualification de servitude[30]. Cette démarche de la Cour s’appuie sur une interprétation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme à la lumière des conventions internationales pertinentes. Dans ses arrêts, notamment dans l’affaire Van Der Mussele[31], la Cour a interprété l’article 4 de sa  Convention à la lumière de la Convention no.29 de l’Organisation internationale du travail.
L’arrêt Siliadin c. France[32] du 26 juillet 2005 a marqué un tournant majeur dans la définition de l’esclavage domestique en ce sens qu’il a précisé la notion de servitude. Dans cette affaire qui concerne une Togolaise, mineure à l’époque, arrivée à Paris avec une ressortissante française d’origine togolaise (Mme D).
Un accord avait été passé avec les parents de la jeune Togolaise pour que cette dernière travaille chez dame D. En contrepartie, Mme D devait s’occuper de la scolariser. En réalité, la jeune fille a servi en tant que domestique non rémunérée par les époux D qui lui ont confisqué son passeport. Elle a par ailleurs servi comme domestique non-payée d’un autre couple, avec l’accord de Mme D. A une date non précisée, la requérante réussit à récupérer son passeport. Elle se confia par ailleurs à une voisine qui alerta le Comité contre l'esclavage moderne, lequel saisit le parquet du cas de la requérante. Le 28 juillet 1998, les services de police intervinrent au domicile des époux B. Ceux-ci furent poursuivis pour avoir, de juillet 1995 à juillet 1998, obtenu d'une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli, pour avoir soumis une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, et pour avoir engagé et conservé à leur service un étranger non muni d'une autorisation de travail. Après une très longue procédure judiciaire, la requérante s’adressa à la CEDH en alléguant que les dispositions pénales applicables en France ne lui avaient pas assuré une protection suffisante et effective contre la « servitude » à laquelle elle a été assujettie ou, à tout le moins, contre le travail « forcé ou obligatoire » exigé d'elle, au sens de l'article 4 de la Convention
Dans son raisonnement, la Cour est partie du plus bas seuil des qualifications requises pour par la suite, envisager les qualifications les plus hautes. Elle a considéré qu’ « il existe en effet une analogie frappante, et qui n'est pas fortuite, entre le paragraphe 3 de l'article 4 de la Convention européenne et le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention no 29 de l'OIT. Or le paragraphe 1 du même article précise qu'« aux fins » de cette dernière, l'expression « travail forcé ou obligatoire » désigne « tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de son plein gré »[33]. La Cour note qu'en l'espèce que « si la requérante n'était pas sous la menace d'une « peine », il n'en demeure pas moins qu'elle était dans une situation équivalente quant à la gravité de la menace qu'elle pouvait ressentir. En effet, adolescente, dans un pays qui lui était étranger, elle était en situation irrégulière sur le territoire français et craignait d'être arrêtée par la police. Les époux B. entretenaient d'ailleurs cette crainte et lui faisaient espérer une régularisation de sa situation (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère que la première condition est remplie, d'autant plus que, la Cour y insiste, la requérante était mineure. […] Quant à savoir si elle a accompli ce travail de son plein gré, il ressort clairement des faits établis qu'il ne saurait sérieusement être soutenu que tel était le cas. Il est au contraire flagrant qu'aucun autre choix ne lui était offert. […] Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante a, au minimum, été soumise à un travail forcé au sens de l'article 4 de la Convention alors qu'elle était mineure »[34].
La Cour a ensuite appliqué le raisonnement qui était le sien dans l’affaire Van Droogenbroeck c. Belgique du 9 juillet 1980. Il y avait alors défini la servitude en ces termes « [e]n plus de l'obligation de fournir à autrui certains services, la notion de servitude englobe l'obligation pour le serf de vivre sur la propriété́ d'autrui et l'impossibilité́ de changer sa condition »[35] (par.123). Ainsi, la Cour a conclu que la requérante a été tenue en état de servitude au sens de l’article 4 (par.129) et que « au vu de la jurisprudence existante sur la question, que la « servitude » telle qu'entendue par la Convention s'analyse en une obligation de prêter ses services sous l'empire de la contrainte et qu'elle est à mettre en lien avec la notion d'« esclavage » qui la précède (Seguin c. France (déc.), no 42400/98, 7 mars 2000) ».
c)     Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
Dans l'affaire Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Zukovic[36], du 22 février 2001, la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie s'est prononcée sur les éléments constitutifs de l'esclavage. Dans cette affaire, trois soldats serbes étaient accusés, entre autres, d’avoir réduits en esclavage des femmes musulmanes.
Les juges ont statué dans cette affaire, à la lumière de la définition de 1926 en vertu de laquelle : « sont révélateurs d’une réduction en esclavage les éléments de contrôle et de propriété, la limitation et le contrôle de l’autonomie, de la liberté de choix ou de circulation et, souvent, les bénéfices retirés par l’auteur de l’infraction. Le consentement ou le libre arbitre de la victime fait défaut », « Sont également symptomatiques l’exploitation, le travail ou service forcé ou obligatoire, (…), l’utilisation sexuelle, la prostitution et la traite des êtres humains. (…) Le fait d’acquérir ou de céder une personne contre une rémunération ou un avantage en nature n’est pas un élément constitutif de la réduction en esclavage»[37].
Ce jugement marque la conceptualisation de la notion de forme contemporaine d’esclavage[38]. Autrement dit, le concept d’esclavage au sens traditionnel a été repensé dans cette décision, de sorte à avoir une interprétation extensive qui s’applique à la forme contemporaine d’esclavage.
La Première chambre du TPI pou l’ex-Yougoslavie ajoute qu’une pratique peut remplir les critères remplis par la Convention de 1926 s’il y a « le contrôle des mouvements d’un individu, le contrôle de l’environnement physique, le contrôle psychologique, les mesures prises pour empêcher ou décourager toute tentative de fuite, le recours à la force, les menaces de recourir à la force ou à la contrainte, la durée, la revendication des droits exclusifs, les traitements cruels et les sévices, le contrôle de la sexualité ou le travail forcé »[39].
Nous pouvons comprendre de cette interprétation que les différentes situations d’esclavage se distinguent de par leurs modalités de mise en œuvre par rapport à la notion classique d’esclavage. Ceci dit, les conséquences de l’esclavage relève de l’esclavage tel que défini dans le droit international coutumier[40].
Il importe également de mentionner que le 12 juin 2002, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a statué en Chambre d’appel dans cette affaire en relevant que le concept traditionnel d’esclavage « a évolué pour englober diverses formes contemporaines de l’esclavage qui se fondent elles aussi sur l’exercice de l’un quelconque ou de l’ensemble des attributs du droit de propriété dans les diverses formes contemporaines d’esclavage, la victime n’est pas soumise à l’exercice du droit de propriété sous sa forme la plus extrême, comme c’est le cas lorsque l’esclave est considéré comme un bien meuble ; mais dans tous les cas, l’exercice de l’un quelconque ou de l’ensemble des attributs du droit de propriété entraîne, dans une certaine mesure, une destruction de la personnalité juridique. Cette destruction est plus grave dans le cas de l’esclave considéré comme bien meuble, mais il ne s’agit là que d’une différence de degré »[41] .
En ce sens, l’approche du tribunal permet de lutter plus efficacement contre les formes contemporaines de l’esclavage[42].
d)    Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CJCEDEAO) 
Dans l’affaire Hadijatou Mani Koraou c. Niger, Dame Hadijatou Mani  Koraou aurait été vendue et tenue en esclavage en vertu d’une tradition bien ancrée au Niger. Cette vente a eu lieu au titre de la « wahiya » par le chef du village qui consiste à acquérir une jeune fille pour servir de domestique et de concubine[43]. Il l’avait violée alors qu’elle n’avait que 13 ans et a commis des actes de violence à son égard en plus des corvées domestiques qu’elle avait à faire. C’est en août 2005 que cette dernière est devenue libre en vertu d’un « certificat d’affranchissement » qui mentionnait qu’elle était « libre et n’était désormais plus esclave de personne ».[44]
La Cour a affirmé que les différents éléments de fait caractérisent la situation de servilité de la requérante font ressortir tous les indicateurs de la Convention relative à l’esclavage de 1926 et telle qu’interprétée par la Chambre d’appel dans l’affaire Kunarac[45]. Toujours en citant cet arrêt du TPIY, la CJCEDEAO a affirmé que « ce sont des attributs du droit de propriété qui caractérisent la notion d’esclave »[46].
Dans cet arrêt, la Cour a relevé que « la mise hors la loi de l’esclavage est une obligation erga omnes qui s’impose à tous les organes de l’État [et que] le juge national saisi d’une affaire relative à l’état des personnes [...] doit lorsque l’affaire laisse apparaître un fait de servitude, soulever d’office ce cas de servitude et entamer la procédure de répression »[47]. Il en ressort que la Cour assimile la notion d’esclavage à celle de servitude[48].
Enfin, cet arrêt de la CJCEDEAO a une valeur symbolique dans la mesure où il a mis au grand jour l’esclavage entre africains qui émane de pratiques traditionnelles dont les États nient l’existence. Dès lors, l’affaire Hadijatou revêt une réelle importance de par son caractère nouveau en Afrique.
Conclusion
Il ressort des instruments internationaux, universels et régionaux ainsi que de la jurisprudence internationale, qu’il n’existe pas une réelle unanimité sur la prohibition de l’esclavage.
Toutefois, force est de constater que le cadre juridique a évolué de 1900 à ce jour pour englober les différentes formes d’esclavage. Il convient de relever la persistance des défis au niveau du droit international, comme par exemple l’adoption internationale de critères pour permettre de sanctionner l’esclavage domestique. De plus, la ratification du Protocole sur le travail forcé de l’Organisation internationale du travail par les États constituerait une avancée majeure dans la protection contre l’esclavage, et ce, sous toutes ses formes.

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[2] WEISSBORDT (David) et la Société anti-esclavagiste internationale, Abolir l’esclavage et ses formes contemporaines, Nations Unies, 2002, p.3.
[3] Op. Cit, note 1.
[4] BASSIOUNI (M. Cherif), « Enslavement as an International Crime », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 23, 1991, p. 445

[5] Convention de 1926 relative à l’abolition de l’esclavage, de la servitude, du travail forcé et des institutions et pratiques analogues (Convention de 1926 relative à l’esclavage), Recueil des Traités de la Société des Nations, vol. 60, p. 253; entrée en vigueur le 9 mars 1927.
[6] Ibid., art.1.
[7] Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage (la Convention supplémentaire), Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 226, p. 3; entrée en vigueur le 30 avril 1957.

[8] Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des instituions et pratiques analogues à l’esclavage (la Convention supplémentaire), Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 226, p. 3; entrée en vigueur le 30 avril 1957, art.1.
[9] La Déclaration universelle des droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
[10] WEISSBORDT (David) et la Société anti-esclavagiste internationale, Abolir l’esclavage et ses formes contemporaines, Nations Unies, 2002, p.7
[11] Déclaration universelle des droits de l’homme, art.4.
[12] Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art.6(1).
[13] La Convention sur le travail forcé donne la définition de la notion du « travail forcé » en ces termes :
« [T]out travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré.[13] »
[14]Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art.8.
[15] Statut de Rome, 17 juillet 1988, R.T.N.U vol. 2187 n° 38544 (entrée en vigueur le 1er juillet 2002)
[16] Statut de Rome, Préambule.
[17] Convention pour la répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui. Résolution 317 (IV) du 2 décembre 1949, Entrée en vigueur : le 25 juillet 1951.
[18] Convention relative à la répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui, art.1.
[19] Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, Nations Unies, Recueil de Traités, vol.2237, p.319, Doc. A/55/383.
[20] Ibid, art.23
[21] Convention relative aux droits de l’enfant, résolution 44/25 du 20 novembre 1989.
[22] Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé de 1930, PO29, Genève, 11 juin 2014, art.2.
[23] Convention américaine relative aux droits de l’homme, San José, 22 novembre 1969, art.6.
[24] Convention européenne des droits de l’homme, Rome, 4.XI.1950 art.4
[25] Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, art.5.
[26] Les juridictions non envisagées dans ce § n’ont pas encore, à notre connaissance, développé une jurisprudence sur le thème de l’esclavage.
[27] Cour interaméricaine des droits de l’homme, Massacres d’Ituango c. Colombie, 1er juillet 2006.
[28] ANDRIANTSIMBAZOVINA (Joël) « L’esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : une échelle pertinente des formes d’exploitation de l’être humain ? », Droits 2010/2 (n° 52), p.104
[29] Ibid, p. 102.
[30] Ibid.
[31] Cour européenne des droits de l’homme, Van der Mussele c. Belgique du 23 novembre 1983.
[32] Cour européenne des droits de l'Homme (C.E.D.H.), Deuxième section, Arrêt Siliadin c. France (26 juillet 2005) (Requête N° 73316/01). hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=001-69890...pdf

[33] § 116.
[34] § 118,119 et 120.
[35] § 123.
[36] Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie, Première Chambre, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vulkovic, Jugement du 22 février 2001, requête N° IT-96-23 & 23 T.

[37] Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie, op. cit.,  par. 543.
[38] Cavallo, M., 2006, Formes contemporaines d’esclavage, de servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir, Droits fondamentaux, n°6, p. 2.

[39] Op. cit., note 35.
[40] Vayeratta, Emilie De l’Esclavage moderne : La lutte contre l’esclavage domestique en droit international, Université de Lyon, Institut d’études politiques de Lyon, 2011, p.32.
[41] ANDRIANTSIMBAZOVINA (Joël), « L’esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : une échelle pertinente des formes d’exploitation de l’être humain ? », Droits 2010/2 (n° 52), p.113.
[42]Ibid.
[43] HAMULI KABUMBA (Yves), La répression internationale de l’esclavage : Les leçons de l’arrêt de la Cour de justice de la communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest dans l’affaire Hadijatou Mani Koraou c. Niger, 27 octobre 2008. Disponible en ligne : http://www.sqdi.org/wp-content/uploads/212-02-Hamuli.pdf, p.37.
[44] Hadijatou Mani Koraou c. Niger, ECW/CCJ/JUD/06/08, arrêt, 27 octobre 2008 (Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), en ligne: Refworld http://www.unhcr.org/refworld/docid/491168d42.html, par.76.

[45] Chambre d’Appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), dans l’affaire Ministère public c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Vukovic Zoran, Arrêt du 12 juin 2002, IT-96-23&23/1, § 119.
[46] Hadijatou, supra note 38, par.77.
[47] Ibid.
[48] Kabumba, supra note 37, p.52.
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