Les évènements dramatiques que vient de vivre notre pays pendant les derniers jours du mois de janvier 2016, sous forme de manifestations exprimant le ras-le-bol des sans-emplois, ou de destructions d’édifices publics (postes de police, ou de la garde nationale ou des douanes), d’occupation des hôtels des gouvernorats et des délégations, de pillage de recettes des finances ou d'établissements commerciaux, de blocage des voies publiques reposent dans toute son acuité le problème de la qualité et de la crédibilité de notre système éducatif et de formation professionnelle ; et par là de sa Réforme.
En effet, la révolution de décembre – janvier 2011, et les multiples soulèvements qui l'ont suivie depuis, à des intervalles plus ou moins réguliers, toujours dans les trois gouvernorats de Kasserine, Sidi Bouzid et Gafsa ont tous une même et unique explication : la faillite de notre système éducatif et de formation professionnelle.
Nul ne peut mettre en doute qu'en matière d'éducation, la Nation a consenti, dès les premières années de l'indépendance, un effort considérable qui l'a placé dans le peloton de tête des jeunes nations. L'enseignement était de qualité. Il était démocratique et performant. Les diplômés de l'école ou de l'université tunisiennes rivalisaient avec les diplômés des meilleures écoles ou universités étrangères. Les diplômés du système éducatif tunisien étaient immédiatement recrutés aux meilleurs postes aussi bien localement qu'à l'étranger.
Mais depuis plus de vingt ans, le système éducatif tunisien a été mis à genoux. Notre système éducatif n'est désormais ni démocratique ni de qualité. Un ensemble de réformettes ont été initiées dans un but strictement démagogique et populiste dont le seul but était le gonflement des taux de réussite (25% au baccalauréat, prise en compte de la meilleure note, conditions laxistes de rachat, etc.), l'appauvrissement des programmes, la multiplication exponentielle des filières de l'enseignement supérieur dans le but déclaré d'amélioration de l'”employabilité” mais dont le résultat a été une dégradation du niveau décriée partout et par tous. Les apprenants eux-mêmes avouent leurs grandes lacunes au niveau des compétences de base (parler, écrire et compter correctement). Les enseignants ne savent plus quelle méthode suivre et les plus jeunes parmi eux ont les mêmes problèmes que leurs élèves. Ils ont toutes les difficultés du monde à communiquer avec leurs étudiants (beaucoup utilisent désormais la langue parlée « Derija ») et maîtrisent peu leur matière (les cours sont parfois repris d’internet). La plupart sont des assistants contractuels à qui on confie des enseignements fondamentaux. Quant aux employeurs (publics et privés), ils crient au scandale et préfèrent ne pas recruter du tout malgré leurs besoins.
Aujourd'hui, cinq ans après la révolution, on continue de parler de réforme de l'éducation en agitant les mêmes slogans erronés d'”employabilité” et d'”adéquation de la formation au marché de l'emploi”, oubliant que l'enseignement universitaire n'est pas et ne peut pas être un enseignement professionnel. Ce dernier n'a pas pour lieu ni pour cadre l'université. La création des filières dites “professionnalisées” a révélé toutes ses limites. Aujourd'hui, le titulaire d'une licence professionnalisée n'a que peu de perspectives devant lui. La référence à « l’employabilité des diplômés », ne doit pas aboutir à la transformation de l’enseignement supérieur en un cycle supérieur de formation professionnelle. L’enseignement supérieur a pour mission première et naturelle la formation académique. Cette dernière est génératrice de compétences transversales et verticales qui devraient permettre à tout diplômé de s’adapter aux exigences de l’emploi à la fin du cursus universitaire. Croire que la professionnalisation poussée des diplômes est susceptible de résoudre le problème du chômage des diplômés est une erreur. La preuve nous est fourni par le fait que malgré la multiplication, depuis une dizaine d’années, des filières dites professionnalisées, où la formation dure de quatre à six semestres, « l’employabilité des diplômés » ne s’est guère améliorée et le problème du chômage des diplômés est posé avec une acuité chaque jour plus accentuée. Les filières dites professionnalisées n’ont de professionnalisé que la dénomination. Leur création ne se fonde sur aucune étude de marché sérieuse. A l’exception des ISET dont la création, financée par la BIRD, est l’aboutissement de plusieurs études de faisabilité, les établissements offrant des filières professionnalisées sont généralement créées dans la précipitation pour faire face au nombre de bacheliers à caser. Les programmes sont élaborés dans la hâte, très souvent après la décision de création de l’établissement et des filières. Les formations dispensées sont peu différentes des formations dispensées dans les grandes facultés des sciences, de droit, de lettres ou de sciences humaines.
Aujourd'hui, les trois ministères les plus concernés (éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle) devraient adopter une autre démarche novatrice et réellement réformatrice en rétablissant l'université dans ses droits d'enseignement véritablement supérieur (de haut niveau) devant fournir à l'étudiant un enseignement académique destiné à le doter de deux qualités cardinales : le sens critique et la capacité des résolutions des problèmes grâce à une méthode qui fait intervenir l'intelligence, l'imagination et le raisonnement logique. Le diplômé du supérieur ne vaut pas par les connaissances acquises lors du cursus universitaire. Celles-ci évoluent et changent à une vitesse vertigineuse. En plus, les connaissances acquises sont oubliées sitôt apprises. Cependant, les compétences que l'étudiant a pu développer durant ses années d'étude sont indélébiles. Il s'agit notamment des compétences de raisonnement logique, de cohérence, de rigueur, de présentation et d'exposition claires des problèmes, de proposition de solutions réalistes, d'adaptation aux changements des circonstances et des situations, de recherche et de documentation, de suivi des évolutions scientifiques, technologiques, littéraires et artistiques, juridiques, politiques, etc.
Les derniers évènements nous interpellent tous. Nous devons quitter les sentiers battus des réformettes pour engager avec courage et détermination une Réforme de notre système éducatif. Toutes les mesures prises jusque là par les différents gouvernements ne sont que des calmants. Seule la réforme éducative est susceptible de nous sortir de la crise endémique du chômage des jeunes et des diplômés, de mettre un terme au fléau de l'instabilité politique et d'enrayer le danger de la violence.
En effet, la révolution de décembre – janvier 2011, et les multiples soulèvements qui l'ont suivie depuis, à des intervalles plus ou moins réguliers, toujours dans les trois gouvernorats de Kasserine, Sidi Bouzid et Gafsa ont tous une même et unique explication : la faillite de notre système éducatif et de formation professionnelle.
Nul ne peut mettre en doute qu'en matière d'éducation, la Nation a consenti, dès les premières années de l'indépendance, un effort considérable qui l'a placé dans le peloton de tête des jeunes nations. L'enseignement était de qualité. Il était démocratique et performant. Les diplômés de l'école ou de l'université tunisiennes rivalisaient avec les diplômés des meilleures écoles ou universités étrangères. Les diplômés du système éducatif tunisien étaient immédiatement recrutés aux meilleurs postes aussi bien localement qu'à l'étranger.
Mais depuis plus de vingt ans, le système éducatif tunisien a été mis à genoux. Notre système éducatif n'est désormais ni démocratique ni de qualité. Un ensemble de réformettes ont été initiées dans un but strictement démagogique et populiste dont le seul but était le gonflement des taux de réussite (25% au baccalauréat, prise en compte de la meilleure note, conditions laxistes de rachat, etc.), l'appauvrissement des programmes, la multiplication exponentielle des filières de l'enseignement supérieur dans le but déclaré d'amélioration de l'”employabilité” mais dont le résultat a été une dégradation du niveau décriée partout et par tous. Les apprenants eux-mêmes avouent leurs grandes lacunes au niveau des compétences de base (parler, écrire et compter correctement). Les enseignants ne savent plus quelle méthode suivre et les plus jeunes parmi eux ont les mêmes problèmes que leurs élèves. Ils ont toutes les difficultés du monde à communiquer avec leurs étudiants (beaucoup utilisent désormais la langue parlée « Derija ») et maîtrisent peu leur matière (les cours sont parfois repris d’internet). La plupart sont des assistants contractuels à qui on confie des enseignements fondamentaux. Quant aux employeurs (publics et privés), ils crient au scandale et préfèrent ne pas recruter du tout malgré leurs besoins.
Aujourd'hui, cinq ans après la révolution, on continue de parler de réforme de l'éducation en agitant les mêmes slogans erronés d'”employabilité” et d'”adéquation de la formation au marché de l'emploi”, oubliant que l'enseignement universitaire n'est pas et ne peut pas être un enseignement professionnel. Ce dernier n'a pas pour lieu ni pour cadre l'université. La création des filières dites “professionnalisées” a révélé toutes ses limites. Aujourd'hui, le titulaire d'une licence professionnalisée n'a que peu de perspectives devant lui. La référence à « l’employabilité des diplômés », ne doit pas aboutir à la transformation de l’enseignement supérieur en un cycle supérieur de formation professionnelle. L’enseignement supérieur a pour mission première et naturelle la formation académique. Cette dernière est génératrice de compétences transversales et verticales qui devraient permettre à tout diplômé de s’adapter aux exigences de l’emploi à la fin du cursus universitaire. Croire que la professionnalisation poussée des diplômes est susceptible de résoudre le problème du chômage des diplômés est une erreur. La preuve nous est fourni par le fait que malgré la multiplication, depuis une dizaine d’années, des filières dites professionnalisées, où la formation dure de quatre à six semestres, « l’employabilité des diplômés » ne s’est guère améliorée et le problème du chômage des diplômés est posé avec une acuité chaque jour plus accentuée. Les filières dites professionnalisées n’ont de professionnalisé que la dénomination. Leur création ne se fonde sur aucune étude de marché sérieuse. A l’exception des ISET dont la création, financée par la BIRD, est l’aboutissement de plusieurs études de faisabilité, les établissements offrant des filières professionnalisées sont généralement créées dans la précipitation pour faire face au nombre de bacheliers à caser. Les programmes sont élaborés dans la hâte, très souvent après la décision de création de l’établissement et des filières. Les formations dispensées sont peu différentes des formations dispensées dans les grandes facultés des sciences, de droit, de lettres ou de sciences humaines.
Aujourd'hui, les trois ministères les plus concernés (éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle) devraient adopter une autre démarche novatrice et réellement réformatrice en rétablissant l'université dans ses droits d'enseignement véritablement supérieur (de haut niveau) devant fournir à l'étudiant un enseignement académique destiné à le doter de deux qualités cardinales : le sens critique et la capacité des résolutions des problèmes grâce à une méthode qui fait intervenir l'intelligence, l'imagination et le raisonnement logique. Le diplômé du supérieur ne vaut pas par les connaissances acquises lors du cursus universitaire. Celles-ci évoluent et changent à une vitesse vertigineuse. En plus, les connaissances acquises sont oubliées sitôt apprises. Cependant, les compétences que l'étudiant a pu développer durant ses années d'étude sont indélébiles. Il s'agit notamment des compétences de raisonnement logique, de cohérence, de rigueur, de présentation et d'exposition claires des problèmes, de proposition de solutions réalistes, d'adaptation aux changements des circonstances et des situations, de recherche et de documentation, de suivi des évolutions scientifiques, technologiques, littéraires et artistiques, juridiques, politiques, etc.
Les derniers évènements nous interpellent tous. Nous devons quitter les sentiers battus des réformettes pour engager avec courage et détermination une Réforme de notre système éducatif. Toutes les mesures prises jusque là par les différents gouvernements ne sont que des calmants. Seule la réforme éducative est susceptible de nous sortir de la crise endémique du chômage des jeunes et des diplômés, de mettre un terme au fléau de l'instabilité politique et d'enrayer le danger de la violence.
Rafâa Ben Achour
Professeur émérite
http://www.leaders.com.tn/article/18994-la-necessaire-reforme-educative-pour-faire-face-au-mal-endemique-du-chomage
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