Les évènements qu’ont
connus la place et le palais du gouvernement à la Kasbah ont été à l’origine d’une
très grande préoccupation des citoyens quant à la pérennité de l’Etat et quant
à sa capacité d’assurer, face aux dangers intérieurs et extérieurs qui menacent
notre patrie, l’ordre et la tranquillité publics.
En effet, lorsque les
forces de « l’ordre » (polices, garde nationale, douanes, agents de
l’administration pénitentiaire, voire agents de la protection civile),
détentrices du pouvoir de contrainte légitime de l’Etat, se mettent à
s’attaquer aux institutions, à faire régner le désordre et la désobéissance aux
lois de la République, il y a de quoi avoir froid au dos.
La question qui passe désormais
par tous les esprits : qui veillera désormais notre ordre ?
Rappelons tout d’abord,
que depuis 2011, les mouvements protestataires et revendicatifs des différents
corps des forces de sécurité intérieure (FSI), sous diverses formes (port de
brassards rouges, manifestations, marche sur le palais présidentiel, sit-in),
ne se sont jamais arrêtés. Dans certains cas, le bras de fer avec les
gouvernements a atteint des degrés inouïs de violence, à la limite de la mutinerie. Tel a été le cas notamment au
mois de septembre 2011, lorsque des agents de « l’ordre » ont investi
le palais de la Kasbah et y ont pratiquement pris le Premier ministre, M. Béji
Caid Essebsi et plusieurs de ses collaborateurs, en otage. Le même scénario rocambolesque
vient de se renouveler, avec une participation beaucoup plus importante, ce triste
25 février 2016.
Rappelons ensuite, que
jusqu’à 2011, les FSI n’avaient aucun droit syndical. C’est le Premier
ministre, Béji Caid Essebsi et son ministre de l’intérieur, Habib Essid, qui
leur ont reconnu ce droit conformément aux standards internationaux et aux
conventions internationales pertinentes. C’est ainsi, qu’en vertu du décret-loi
42-2011 du 25 mai 2011, modifiant et complétant la loi n° 82-70 du 6 août 1982,
portant statut général des forces de sécurité intérieure l’interdiction faite
aux FSI d’avoir des syndicats a été abrogée. En effet, en vertu de ce texte
révolutionnaire : « Les
agents des forces de sûreté intérieure ont le droit à l’action syndicale et de
constituer, à cet effet, des syndicats professionnels indépendants de tous
autres syndicats professionnels et de leurs unions ». En vertu de ce même
texte : « Il est interdit aux agents des forces de sûreté intérieure,
dans l’exercice de l’action syndicale, de recourir à la grève ou d’entraver, de
quelque manière que ce soit, la marche du travail ».
La Constitution du 27 janvier 2014, est venue conforter ce
droit syndical conféré aux FSI mais également réaffirmer, dans son article 36,
l’interdiction faite aux FSI et aux douaniers de faire grève.
Il reste que le droit syndical,
droit fondamental de l’homme, n’est cependant pas synonyme d’anarchie. Ce
dernier est règlementé et obéit à des conditions de forme et de fond
mentionnées notamment dans le code du travail et surtout dans la Convention N°
87 de l’Organisation internationale du travail adoptée à New York le 9 juillet
1948, entrée en vigueur le 4 juillet
1950 et ratifiée par la Tunisie depuis le 18 juin 1957. L’article 8 de cette
Convention fondamentale dispose : « les travailleurs, les employeurs et leurs organisations
respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités
organisées, de respecter la légalité ». Pour sa part, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose dans
son article 8 § 1 d : « le droit de grève (est) exercé
conformément aux lois de chaque pays ». Dans le § 2, il est précisé que
« Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales
l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
la fonction publique ». Quant à la Cour européenne des droits de l’homme,
elle a, dans son arrêt du 21 avril 2015, (Junta Rectora Del Ertzainen Nazional
Elkartasuna c/ Espagne) admis
l’interdiction du droit de grève aux forces de sécurité est valable. Elle
a estimé que l’interdiction
poursuit un but légitime, « à savoir la défense de
l’ordre, eu égard aux fonctions spécifiques attribuées à ce corps de police et
aux conséquences éventuelles en cas d’interruption de ses activités ».
La mesure est également jugée comme étant nécessaire dans une société
démocratique, dès lors que l’interdiction ne s’étend pas à l’ensemble des
fonctionnaires, mais vise uniquement les membres des forces et corps de sécurité,
en tant que garants du maintien de la sécurité publique. La nature spécifique
des activités de ces fonctionnaires les distingue d’autres catégories de
fonctionnaires, ce qui justifie la restriction.
Quid maintenant du droit de manifestation ?
Nul ne
doute que le droit de manifester est une liberté fondamentale garantie par la
Constitution et par les instruments internationaux des droits de l’homme. Il ne
s’agit cependant pas, comme toujours, d’une liberté absolue. Son exercice
obéit, également, à des conditions de forme et de fond. En Tunisie, c’est la
loi 69-4 du 24 janvier 1969, qui
règlemente les manifestations et attroupements sur la voie publique. Les manifestations
sont soumises à un régime de déclaration préalable. En vertu de l’article 9 :
« Sont
soumis obligatoirement à la déclaration préalable tous cortèges, défilés, et
d’une façon générale, toute manifestation sur la voie publique, quel qu’en soit
le caractère ». À Tunis, la déclaration sera remise dans les délais de 3 à
15 jours, à la Direction de la Sûreté nationale qui en délivrera récépissé
D’après l’article 10 : « la déclaration … doit indiquer les lieux de
rassemblement et l’itinéraire, ainsi que les banderoles ou les drapeaux qui
seraient portés ». Signalons enfin, que « tout attroupement non armé
susceptible de troubler la tranquillité publique » est interdit et peut
être dispersé manu militari.
En
examinant les conditions de la manifestation initiée le 25 février dernier par
le syndicat national des forces d’intervention, il est clair que l’ensemble du
mouvement s’est situé en dehors de toute légalité. Cela est d’autant plus
navrant venant d’une organisation censée connaître mieux que quiconque les
dispositions législatives en vigueur. Il
est réellement malheureux qu’on soit arrivé à une telle situation au nom de
l’exercice d’un droit syndical mal compris et mal digéré.
Tous les organes de presse,
les stations de radio et de télévision et plusieurs commentateurs de la chose
publique ont certes condamné ce qui s’est passé le 25 février 2016, à la
Kasbah. Cependant plusieurs l’ont fait avec beaucoup de pudeur et de
précaution.
Au moment où la Tunisie est
confrontée aux dangers du terrorisme, au non respect de la loi par toutes
sortes de trafiquants et autres, où une dilution grave du civisme
s’institutionnalise, un sursaut national s’impose. Pour reprendre le grand
leader nationaliste Ali Belhaouene : « Le pays est malade, et ce n’est
pas en buvant de l’eau que la fièvre s’estompera »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire