Dans son discours à l’occasion de
la célébration du 62ème anniversaire de l’indépendance, le président
de la République a souligné la nécessité de réviser le système électoral en
vigueur d’abord, pour l’élection des
membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) en 2011, ensuite, pour
l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en 2014.
Indéniablement, le Président a vu
juste en lançant cette initiative et en chargeant un groupe de travail
d’élaborer les différentes options possibles pour réviser la loi électorale.
Il convient de rappeler que le
mode de scrutin actuel avait eu l’avantage indéniable d’assurer la représentation
de toutes les familles politiques au sein de l’ANC. Son maintien, cependant,
pour les législatives de 2014, a abouti à des résultats négatifs dont la non-émergence
d’une majorité conséquente et harmonieuse à même de soutenir le gouvernement et
de faire passer sans peine ses projets de loi, comme c’est le cas dans la
plupart des régimes parlementaires, notamment le régime parlementaire
britannique, modèle et référence en la matière.
Parmi les résultats les plus
négatifs de l’adoption du système de la représentation proportionnelle au plus
forts restes, citons le désenchantement ressenti par les Tunisiens, déçus par
les débats de l’ARP et lassés par les discussions byzantines et les querelles
interminables allant parfois, au-delà des confrontations verbales, à des
accrochages physiques. Ce qui les afflige surtout, c’est l’incapacité de
l’Assemblée de prendre les décisions nécessaires et vitales. Ce que nous avons
vécu dernièrement soit pour l’élection des membres de l’ISIE soit plus
récemment des quatre membres de la Cour constitutionnelle à désigner par l’ARP,
en est une patente illustration. Autant de facteurs qui ont plombé la mise en
place des institutions constitutionnelles, en plus du blocage de l’action du
gouvernement.
Il faudrait reconnaître cependant
au scrutin proportionnel un avantage certain qui ne saurait être occulté, à
savoir d’assurer la plus large représentativité possible des familles
politiques, à condition que cela ne soit pas au détriment de l’efficacité
gouvernementale et n’affecte en rien sa capacité à prendre les décisions
qu’exige la situation.
Nous avons recommandé, il y a
quelques temps, lors de la célébration du 3ème anniversaire de la
promulgation de la Constitution, de réformer le régime politique ou, du moins,
de réviser le mode de scrutin pour l’élection de l’assemblée législative. Cette
révision est, de notre avis, le minimum à entreprendre afin de conférer
davantage d’efficience à l’Assemblée, d’abord, mais aussi au gouvernement.
Cette proposition a été réitérée maintes fois, la dernière à la faveur du
colloque organisé par l’Unité de recherches en Droit constitutionnel comparé,
le 15 février 2018.
Pour éviter toute surenchère et
dépasser les calculs politiciens, nous avons recommandé de ne pas renoncer
totalement au système de la représentation proportionnelle, compte tenu de la
fragilité de l’édifice démocratique naissant en Tunisie, et afin d’éviter la
victoire d’un seul parti à une majorité écrasante au risque de marginaliser
totalement l’opposition. Le fondement de notre pensée est d’éviter un mode de
scrutin majoritaire, qu’il s’agisse de listes ou uninominal, à un tour ou deux,
parce que ce mode incarne, pour les Tunisiens, l’idée d’une domination totale à
la fois de l’appareil législatif que de la machine gouvernementale. A cela
s’ajoute la structure même des partis politiques nés après la Révolution,
structure qui demeure fragile n’ayant pas encore atteint le degré de maturité
des partis dans les démocraties occidentales. Même ces partis font face à des mutations
fondamentales comme constaté lors des récentes élections législatives en France
(érosion des partis traditionnels sur lesquels a été fondée la Vème
République), ou en Allemagne (montée de l’extrême droite et érosion du SPD
enregistrant son score le plus faible), et tout récemment en Italie (ascension
fulgurante du « mouvement 5 étoiles » qui raflé la majorité relative devant
les partis traditionnels).
Pour toutes ces raisons, nous
estimons que le système de la représentation proportionnelle n’a pas encore épuisé
son rôle historique pour ancrer la démocratie en Tunisie. Nous devons le
maintenir, comme un acquis auquel il convient cependant d’apporter les
améliorations plus que nécessaires. Le mode de représentation proportionnelle
au plus forts restes, actuellement en vigueur, est incapable aujourd’hui de
garantir le fonctionnement normal de la démocratie. Evidemment, la démocratie
ne saurait se réduire au système proportionnel. Les principes fondateurs de la
démocratie moderne reposent sur l’égalité de la représentation populaire, mais,
en même temps, l’efficience des institutions politiques, comme l’a confirmé la
Cour constitutionnelle allemande. Si l’Assemblée des représentants du peuple
incarne la représentation de la nation, elle constitue également un pouvoir qui
doit accomplir ses fonctions de législation et de contrôle en toute efficacité,
sans jamais constituer une entrave ou source de blocage.
Le bon fonctionnement de tout
régime démocratique repose en fait sur trois piliers :
1. L’impératif
de prendre des décisions,
2. La
représentativité des gouvernants, pouvoir exécutif et pouvoir législatif,
3. La
stabilité politique.
Partant de ces différentes
considérations, parfois contradictoires entre elles, nous affirmons que le
scrutin proportionnel est encore nécessaire. Mais, il doit être soutenu par une
sorte de prime à la majorité, sachant que la légère modification introduite sur
la loi électorale pour les prochaines élections municipales consistant à
établir un seuil minimum de 3% est sans signification réelle. Nous nous
réveillerons le lendemain des élections du 6 mai sur des conseils municipaux en
copie conforme avec l’actuelle ARP, c'est-à-dire sans majorité apparente.
La prime à la majorité consiste à
affecter un certain nombre de sièges de l’ARP au parti arrivé premier dans les
élections. Elle permet d’atteindre deux objectifs essentiels à tout régime
démocratique : la fidèle représentativité des forces politiques d’un côté,
et l’efficience institutionnelle, de l’autre.
Reste la question de la détermination
du seuil de la prime à la majorité. Tenant compte des spécificités de la
démocratie tunisienne naissante, ci-dessus mentionnée, et de la nature des
partis politiques tunisiens, il serait possible de convenir d’un taux qui ne
serait pas très élevé (toujours pour éviter toute domination ou le fameux
« Tghawel »). La prime pourrait
être de l’ordre de 30% du total des sièges. Ce nombre est à attribuer directement
au parti majoritaire. Cette distribution initiale étant faite, le restant des
sièges, soit 70%, est réparti sur la base du quotient électoral entre tous les
partis participant aux élections, tout en respectant les plus forts restes.
Ainsi, les voix des petits partis ne vont pas se volatiliser comme dans le
scrutin majoritaire .
Les réussites politiques tunisiennes
ont été accomplies grâce à la politique des étapes instituée par le fondateur
de la République, Habib Bourguiba. Le Président Béji Caïd Essebsi, en bon
disciple du Combattant suprême, a toujours affirmé son attachement à cette
politique des étapes et n’accepte guère de virer d’un bord à l’autre. Il vient
de réaffirmer qu’il y a l’important d’un côté et l’essentiel de l’autre. Or, il
est essentiel de préserver l’équité de la RP en la corrigeant par l’adoption de
la prime à la majorité.
Les propositions ci-dessus
exposées ne sont pas dictées par une quelconque appartenance partisane ou un choix
doctrinaire et idéologique. Elles sont dictées par une approche réaliste dictée
par ces tristes scènes que nous offrent nos débats parlementaires, et par l’angoisse
suscitée par la faible marge de manœuvre dont dispose le gouvernement dépourvu
d’une armure politique solide. Tout cela, au moment où l’immobilisme et
l’absence de décisions courageuses ne sont plus permis, au moment où notre pays
croule sous le poids des difficultés économiques, financières, sociales,
éducatives, sportives, touristiques et les menaces terroristes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire