vendredi 23 mars 2018

Le mode de scrutin proportionnel Ni excès, ni défaut


Dans son discours à l’occasion de la célébration du 62ème anniversaire de l’indépendance, le président de la République a souligné la nécessité de réviser le système électoral en vigueur d’abord,  pour l’élection des membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC) en 2011, ensuite, pour l’élection de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) en 2014.
Indéniablement, le Président a vu juste en lançant cette initiative et en chargeant un groupe de travail d’élaborer les différentes options possibles pour réviser la loi électorale.
Il convient de rappeler que le mode de scrutin actuel avait eu l’avantage indéniable d’assurer la représentation de toutes les familles politiques au sein de l’ANC. Son maintien, cependant, pour les législatives de 2014, a abouti à des résultats négatifs dont la non-émergence d’une majorité conséquente et harmonieuse à même de soutenir le gouvernement et de faire passer sans peine ses projets de loi, comme c’est le cas dans la plupart des régimes parlementaires, notamment le régime parlementaire britannique,  modèle et référence en la matière.
Parmi les résultats les plus négatifs de l’adoption du système de la représentation proportionnelle au plus forts restes, citons le désenchantement ressenti par les Tunisiens, déçus par les débats de l’ARP et lassés par les discussions byzantines et les querelles interminables allant parfois, au-delà des confrontations verbales, à des accrochages physiques. Ce qui les afflige surtout, c’est l’incapacité de l’Assemblée de prendre les décisions nécessaires et vitales. Ce que nous avons vécu dernièrement soit pour l’élection des membres de l’ISIE soit plus récemment des quatre membres de la Cour constitutionnelle à désigner par l’ARP, en est une patente illustration. Autant de facteurs qui ont plombé la mise en place des institutions constitutionnelles, en plus du blocage de l’action du gouvernement.
Il faudrait reconnaître cependant au scrutin proportionnel un avantage certain qui ne saurait être occulté, à savoir d’assurer la plus large représentativité possible des familles politiques, à condition que cela ne soit pas au détriment de l’efficacité gouvernementale et n’affecte en rien sa capacité à prendre les décisions qu’exige la situation.
Nous avons recommandé, il y a quelques temps, lors de la célébration du 3ème anniversaire de la promulgation de la Constitution, de réformer le régime politique ou, du moins, de réviser le mode de scrutin pour l’élection de l’assemblée législative. Cette révision est, de notre avis, le minimum à entreprendre afin de conférer davantage d’efficience à l’Assemblée, d’abord, mais aussi au gouvernement. Cette proposition a été réitérée maintes fois, la dernière à la faveur du colloque organisé par l’Unité de recherches en Droit constitutionnel comparé, le 15 février 2018.
Pour éviter toute surenchère et dépasser les calculs politiciens, nous avons recommandé de ne pas renoncer totalement au système de la représentation proportionnelle, compte tenu de la fragilité de l’édifice démocratique naissant en Tunisie, et afin d’éviter la victoire d’un seul parti à une majorité écrasante au risque de marginaliser totalement l’opposition. Le fondement de notre pensée est d’éviter un mode de scrutin majoritaire, qu’il s’agisse de listes ou uninominal, à un tour ou deux, parce que ce mode incarne, pour les Tunisiens, l’idée d’une domination totale à la fois de l’appareil législatif que de la machine gouvernementale. A cela s’ajoute la structure même des partis politiques nés après la Révolution, structure qui demeure fragile n’ayant pas encore atteint le degré de maturité des partis dans les démocraties occidentales. Même ces partis font face à des mutations fondamentales comme constaté lors des récentes élections législatives en France (érosion des partis traditionnels sur lesquels a été fondée la Vème République), ou en Allemagne (montée de l’extrême droite et érosion du SPD enregistrant son score le plus faible), et tout récemment en Italie (ascension fulgurante du « mouvement 5 étoiles » qui raflé la majorité relative devant les partis traditionnels).
Pour toutes ces raisons, nous estimons que le système de la représentation proportionnelle n’a pas encore épuisé son rôle historique pour ancrer la démocratie en Tunisie. Nous devons le maintenir, comme un acquis auquel il convient cependant d’apporter les améliorations plus que nécessaires. Le mode de représentation proportionnelle au plus forts restes, actuellement en vigueur, est incapable aujourd’hui de garantir le fonctionnement normal de la démocratie. Evidemment, la démocratie ne saurait se réduire au système proportionnel. Les principes fondateurs de la démocratie moderne reposent sur l’égalité de la représentation populaire, mais, en même temps, l’efficience des institutions politiques, comme l’a confirmé la Cour constitutionnelle allemande. Si l’Assemblée des représentants du peuple incarne la représentation de la nation, elle constitue également un pouvoir qui doit accomplir ses fonctions de législation et de contrôle en toute efficacité, sans jamais constituer une entrave ou source de blocage.
Le bon fonctionnement de tout régime démocratique repose en fait sur trois piliers :
1.     L’impératif de prendre des décisions,
2.     La représentativité des gouvernants, pouvoir exécutif et pouvoir législatif,
3.     La stabilité politique.
Partant de ces différentes considérations, parfois contradictoires entre elles, nous affirmons que le scrutin proportionnel est encore nécessaire. Mais, il doit être soutenu par une sorte de prime à la majorité, sachant que la légère modification introduite sur la loi électorale pour les prochaines élections municipales consistant à établir un seuil minimum de 3% est sans signification réelle. Nous nous réveillerons le lendemain des élections du 6 mai sur des conseils municipaux en copie conforme avec l’actuelle ARP, c'est-à-dire sans majorité apparente.
La prime à la majorité consiste à affecter un certain nombre de sièges de l’ARP au parti arrivé premier dans les élections. Elle permet d’atteindre deux objectifs essentiels à tout régime démocratique : la fidèle représentativité des forces politiques d’un côté, et l’efficience institutionnelle, de l’autre.
Reste la question de la détermination du seuil de la prime à la majorité. Tenant compte des spécificités de la démocratie tunisienne naissante, ci-dessus mentionnée, et de la nature des partis politiques tunisiens, il serait possible de convenir d’un taux qui ne serait pas très élevé (toujours pour éviter toute domination ou le fameux « Tghawel »). La prime pourrait être de l’ordre de 30% du total des sièges. Ce nombre est à attribuer directement au parti majoritaire. Cette distribution initiale étant faite, le restant des sièges, soit 70%, est réparti sur la base du quotient électoral entre tous les partis participant aux élections, tout en respectant les plus forts restes. Ainsi, les voix des petits partis ne vont pas se volatiliser comme dans le scrutin majoritaire .
Les réussites politiques tunisiennes ont été accomplies grâce à la politique des étapes instituée par le fondateur de la République, Habib Bourguiba. Le Président Béji Caïd Essebsi, en bon disciple du Combattant suprême, a toujours affirmé son attachement à cette politique des étapes et n’accepte guère de virer d’un bord à l’autre. Il vient de réaffirmer qu’il y a l’important d’un côté et l’essentiel de l’autre. Or, il est essentiel de préserver l’équité de la RP en la corrigeant par l’adoption de la prime à la majorité.
Les propositions ci-dessus exposées ne sont pas dictées par une quelconque appartenance partisane ou un choix doctrinaire et idéologique. Elles sont dictées par une approche réaliste dictée par ces tristes scènes que nous offrent nos débats parlementaires, et par l’angoisse suscitée par la faible marge de manœuvre dont dispose le gouvernement dépourvu d’une armure politique solide. Tout cela, au moment où l’immobilisme et l’absence de décisions courageuses ne sont plus permis, au moment où notre pays croule sous le poids des difficultés économiques, financières, sociales, éducatives, sportives, touristiques et les menaces terroristes.


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