mercredi 29 août 2012

Qu’adviendra-t-il de l’ANC, le 22 octobre 2012. (La presse, 04/09/2012, p: 9

La démocratie constitutionnelle, et le régime représentatif qu’elle a généré, reposent, entre autres principes cardinaux, sur le principe du renouvellement périodique du mandat des représentants et sur celui de la limitation de la durée des mandats. Il n’y a point en démocratie d’élus à vie ou de mandat à durée indéterminée. Tout mandat représentatif a par définition une fin prédéterminée et connue d’avance et s’il est renouvelable, les échéances sont également connues d’avance. Dans ce sens, notre regretté maître, Abdelfatteh Amor, écrivait à juste titre : « [L]’avènement du constitutionnalisme a entraîné la consécration de la technique de la mise en cause périodique du mandat des gouvernants ou du moins de la plupart d’entre eux » . Ainsi, dans la doyenne des constitutions modernes, la Constitution des Etats-Unis d’Amérique de 1787, les pères fondateurs ont opté non seulement pour le principe du renouvellement périodique du mandat des élus, mais ont, en outre, consacré la brièveté des mandats, voire même la limitation des possibilités de leur renouvellement. C’est ainsi que le mandat des députés de la Chambre des représentants n’excède pas deux ans, alors que celui du Président des Etats-Unis a une durée de quatre ans, renouvelable une seule fois (un maximum de 8 ans). En Tunisie, la défunte constitution de 1959, avait opté pour une période de cinq ans tant pour le mandat des députés que pour celui du Président de la République. En 1975, une violation grave du principe fut commise, lorsque la constitution fut amendée pour proclamer le Président Habib Bourguiba « [à) titre exceptionnel et en considération des services éminents rendus par [ lui ], […] Président de la République à vie » (Article 39 tel qu’amendé par la loi constitutionnelle 75 – 13 du 19 mars 1975). Plus tard, la révision constitutionnelle du 1er juin 2002, fit éclater le verrou introduit par la révision constitutionnelle du 25 juillet 1988, qui limitait la possibilité de réélection à « deux fois consécutives » et allongea la limite d’âge supérieure de candidature de 70 à 75 ans. Ces exemples de manipulations de la Constitution sont considérés comme étant des portes ouvertes à la dictature et à la spoliation du droit du titulaire de la souveraineté, le peuple, d’exercer son droit inaliénable de votation démocratique. Après la révolution de la dignité et de la liberté, les mandats du Président intérimaire et du gouvernement provisoire étaient connus d’avance par le peuple. Dans un premier temps, les mandats présidentiel et gouvernemental devaient expirer le 24 juillet 2011, date à laquelle devait se dérouler l’élection présidentielle et, suite au changement de la feuille de route, l’élection d’une ANC. Mais cette date a été reportée dans un deuxième temps, au 23 octobre 2011, lorsque l’Isie, considéra que le délai du 24 juillet était matériellement irréalisable. Les autorités provisoires (Président et gouvernement) se sont engagés politiquement et juridiquement (articles 11 et 15 du décret-loi N° 2011-14 du 23 mars 2011) non seulement de ne pas se présenter aux élections de la Constituante mais surtout de mettre un terme à leur mandat le jour même de l’installation de l’ANC (article 1er du DL), promesse tenue, puisque dès le 23 novembre 2011, le Premier ministre provisoire présentait la démission de son gouvernement au Président intérimaire qui le chargea le d’expédier les affaires courantes jusqu’à l’entrée en fonction de la nouvelle équipe. Quant au mandat de la constituante, il est encadré par trois textes de nature différente : deux décrets présidentiels et une déclaration politique. Le premier texte est le décret N° 2011 -582 du 20 mai 2011, portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour le 24 juillet 2011. Dans son article 6 le décret dispose : « L'Assemblée nationale constituante se réunie, deux jours après la proclamation des résultats définitifs du scrutin par le comité central de l'instance supérieure indépendante des élections, et se charge d'élaborer une constitution dans un délai maximum d'un an à compter de la date de son élection ». Suite au report de la date des élections, à la demande de l’ISIE, ce texte a été abrogé par le décret N° 2011 -998 du 21/07/2011. Le deuxième texte est le décret N° 2011-1086 du 03/08/2011portant convocation du corps électoral pour l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour le 23 octobre 2011. Dans son article 6, il reprend la même formule que celle citée ci-dessus et fixe le même délai à l’ANC pour élaborer la Constitution dans un délai maximum d’un an à compter de la date de son élection. Cette dernière disposition du décret n’a soulevé, à ce moment, aucune réaction et n’a engendré aucun recours en illégalité devant le Tribunal administratif. Sur la base de ce décret, les électeurs se sont rendus le 23 octobre 2011 aux urnes pour élire leurs représentants avec la ferme conviction que ces derniers n’étaient élus que pour une année et que ces derniers n’avaient pas un blanc seing. Le mandat avait un objet précis : l’élaboration de la Constitution. Il avait assigné aux élus un délai pour le faire, une année à partir du jour de l’élection. Aujourd’hui, on entend certaine voix s’élever ici et là pour soutenir que l’ANC n’est pas tenue par de telles limitations de la nature et de la durée de son mandat alléguant qu’elle est souveraine. En réponse, il faut préciser que si l’ANC est effectivement souveraine, elle ne détient, et contrairement à ce qu’on veut bien faire croire aux citoyens, qu’un pouvoir constituant dérivé. Le pouvoir constituant originaire est toujours l’apanage du peuple. Pour paraphraser une affirmation célèbre du Conseil constitutionnel français, « l’ANC n’est souveraine que dans le respect de la volonté populaire ». Les constituants eux-mêmes reconnaissent que le dernier mot appartient au peuple lorsqu’ils prévoient la possibilité de soumettre le projet de constitution à référendum en cas d’absence de majorité qualifiée au second tour du vote de l’ANC. Ainsi, étant un pouvoir constituant dérivé, l’ANC est nécessairement limitée quant à son objet et quant à sa durée. Croire, ou faire croire le contraire, c’est oublier que la révolution n’a jamais eu l’intention de mettre en place un pouvoir délié de toute limite, fixant à son bon gré la nature et la durée de son mandat. A l’argument juridique, il y a lieu d’ajouter l’argument politique, et il est de poids. En effet, un troisième texte est venu s’ajouter aux deux décrets déjà cités, apportant confirmation que les limitations contenues dans les deux décrets ne peuvent être transgressées. Ce texte peut être considéré comme une sorte de modus vivendi. Il s’agit de la Déclaration sur le processus de transition, signée le 15 septembre 2011, par les plus hauts représentants, dont MM. Rached Ghannouchi et Mustapha Ben Jaafar, de onze des douze partis politiques membres de l’Instance de sauvegarde des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique qui avait élaboré et proposé au gouvernement provisoire tous les textes encadrant le processus électoral. Dans la déclaration, les signataires s’engagent à ce que « la durée du mandat de l’Assemblée Constituante n’excède pas une année au maximum afin que le pays puisse se consacrer aux questions fondamentales impérieuses, notamment, aux niveaux social et économique ». L’engagement est on ne peut plus clair. Il a été pris au moment où le débat sur la nécessité d’organiser un référendum limitant la durée de l’ANC à une année faisait rage. Le renier aujourd’hui ou faire semblant d’en ignorer l’existence équivaut à traiter la population de manière cavalière et c’est surtout faire preuve d’absence de toute éthique politique. Ainsi, juridiquement et politiquement le mandat de l’ANC et celui des autorités qui en sont issues arrivent à terme le 22 octobre 2012. Il ne s’agit là ni d’une fantaisie des esprits chagrins (Bidâa), ni de la prédiction de voyante. C’est le sens de l’engagement pris le 15/09/2011 et ce qu’impose l’analyse juridique et politique. Proroger les mandats au-delà de cette date ferait de l’ANC, de la présidence et du gouvernement provisoires des autorités de fait dont la légitimité a expiré. Pour conclure, nous ne pouvons que rappeler ces paroles divines : "يا أيها الدين آمنوا أوفوا بالعقود" (المائدة، 1). « Ho, les croyants remplissez les engagements » (Sourate N° 5 Al Maida, Verset 1) "قد أفلح المؤمنون [...] والذين هم لأماناتهم وعهدهم راعون [...] أولئك هم الوارثون، الذين يرثون الفردوس هم فيها خالدون" (المؤمنون، 8، 10 و 11) « Oui ils sont gagnants les croyants […] qui respectent leurs dépôts et leur pacte […] ce sont les héritiers qui héritent le Paradis-Firdaus pour y demeurer éternellement ». (Sourate N° 23, Al Mouminoun, Versets 8, 10 et 11)

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