dimanche 26 août 2012

Entre le régime présidentiel et le régime parlementaire Quel choix pour la Tunisie ? La Presse de Tunisie 13/08/2012

L’idée selon laquelle le régime présidentiel consacrant la toute puissance du Président sur l’ensemble des institutions politiques – et serait à l’origine de la concentration des pouvoirs qu’a connue notre pays depuis 1959-, est fort répandue chez les juristes. Ils considèrent faussement que le régime parlementaire constitue le régime d’équilibre qui prévient tout risque d’omnipotence d’un pouvoir sur l’autre. Cette lecture témoigne d’une méconnaissance des principes fondamentaux de la théorie des régimes politiques. Une évidence est d’abord à rappeler : régime parlementaire et régime présidentiel se fondent l’un et l’autre sur la séparation des pouvoirs. Ils sont deux variantes d’un régime d’équilibre des pouvoirs. Créé par les « pères fondateurs américains », le régime présidentiel a été, notons-le bien, une tentative de correction du régime parlementaire britannique et visait un meilleur équilibre des pouvoirs et leur séparation. Construits historiquement, ils ont acquis au cours du temps valeur d’idéal type de la séparation des pouvoirs fondé selon le type sur un aménagement différencié des relations entre l’exécutif et le législatif. Ainsi, ce n’est pas tant l’objectif que les moyens d’assurer la séparation des pouvoirs qui les distingue. Le régime parlementaire repose sur une séparation dite souple des pouvoirs dont la spécificité est la collaboration fonctionnelle entre exécutif et législatif par l’intermédiaire d’un gouvernement responsable devant le parlement ainsi que leur révocabilité mutuelle. Le régime présidentiel repose quant à lui sur une séparation dite rigide des pouvoirs : en effet, l’indépendance fonctionnelle réciproque de l’exécutif et du législatif et leur irrévocabilité mutuelle en constituent la clef de voûte. Tout l’aménagement constitutionnel est destiné à éviter les blocages. Dans le régime présidentiel, il n’y a pas de chevauchements de compétences : le président de la république exerce tout le pouvoir exécutif, mais rien que le pouvoir exécutif. Il n’a pas l’initiative législative et ne peut pas légiférer par des actes de l’exécutif (décrets-lois ou ordonnances), les membres de l’administration n’ont pas accès au Congrès, etc. A l’inverse, le pouvoir législatif exerce tout le pouvoir législatif mais rien que le pouvoir législatif. Le domaine d’intervention du législateur n’est pas assigné mais ne peut déborder sur le domaine de l’exécutif. Par ailleurs, les rapports entre l’exécutif et le législatif obéissent au principe de l’irrévocabilité mutuelle. En conséquence, l’exécutif et le législatif ne peuvent pas mettre fin à leurs mandats respectifs. Le législatif ne peut mettre un terme au mandat de l’exécutif et l’exécutif ne peut dissoudre le législatif. Ainsi, les deux pouvoirs sont tenus de cohabiter pendant la durée de leurs mandats même si leurs appartenances politiques sont totalement opposées. Ce modèle est le plus conforme à la pensée de Montesquieu et à sa théorie de l’équilibre des pouvoirs. Il a été consacré par la Constitution américaine du 17 septembre 1787. Les pères fondateurs ont inventé la théorie des checks and balances selon laquelle la séparation rigide des fonctions implique un domaine bien défini et délimité à chacune des institutions sans, pour autant, que ceci soit un obstacle à la concertation entre elles. L’isolation de chacun des pouvoirs par rapport à l’autre au niveau fonctionnel est atténuée par l’existence de moyens d’action du président sur le Congrès, et réciproquement : si le président n’a pas le droit de dissoudre le Congrès, il dispose d’un droit de veto à l’égard des lois votées par le législatif. Quant au Congrès, s’il n’a pas droit à révoquer le président, il détient un faisceau de compétences lui permettant de conditionner la politique du président. Ainsi, le modèle rigide de séparation se trouve infléchi. Il s’agit, plutôt, dans ce modèle constitutionnel américain, d’un “rapport de forces” survolant l’isolement de chacun des pouvoirs dans son rôle. Ce rapport implique quelques points de rencontre entre les deux pouvoirs garantis par la Constitution et promus par la pratique. Les pouvoirs sont, en effet, reliés par un isthme qui subit leur pression conjuguée. L’irrévocabilité mutuelle a le mérite donc de créer un état d’équilibre entre ces pouvoirs, de telle sorte que la concertation semble nécessaire et l’action réciproque de l’un sur l’autre apparaît comme le credo de la collaboration. A la différence du régime présidentiel, le régime parlementaire établit une collaboration fonctionnelle des pouvoirs et une révocabilité mutuelle. L’exécutif intervient dans le domaine du législatif (initiative des lois, possibilité de délégation du pouvoir législatif, cumul du mandat législatif et des fonctions gouvernementales, accès aux chambres, etc.) et le législatif intervient dans le domaine de l’exécutif. Par ailleurs, et en vertu d’une souple séparation des pouvoirs, il est possible aux deux pouvoirs de se destituer mutuellement. Dans ce modèle, le gouvernement doit disposer de la confiance du Parlement, sans laquelle et sans le soutien de la majorité, il doit démissionner. Pour sa part, l’organe législatif est tenu en échec par la possibilité de dissolution attribuée au gouvernement. Les deux institutions dépendent ainsi l’une de l’autre pour subsister et préserver l’équilibre institutionnel. La révocabilité mutuelle mène, de la sorte, à une formule d’équilibre négatif. Ce modèle parlementaire relève beaucoup plus de la théorie que de la réalité. Il a été en effet totalement transformé par le phénomène majoritaire. La collaboration fonctionnelle s’est transformée en toute puissance du chef du gouvernement et à la réduction du législatif en simple pouvoir d’enregistrement et de ratification. En Grande Bretagne, la Chambre des Communes a perdu son pouvoir d’action sur le gouvernement. De fait, elle dépend plus de lui qu’il ne dépend d’elle. Le succès dans la conduite des affaires dépend essentiellement des rapports entre le gouvernement et le groupe parlementaire. Quant à la révocabilité mutuelle, elle n’assure pratiquement plus son rôle, car le gouvernement dispose toujours d’une majorité même dans les pays où la majorité est constituée par une coalition. La dénaturation connue par le régime parlementaire du fait du phénomène majoritaire n’a pas eu lieu aux Etats-Unis pour le régime présidentiel. La nature des partis politiques américains, la brièveté des mandats législatif et exécutif et la structure fédérale de l’Etat ont préservé les caractéristiques de ce régime si bien qu’aujourd’hui le régime présidentiel américain apparaît comme le régime le plus parlementaire car les prérogatives du législateur et l’indépendance du parlement sont mieux sauvegardées que dans le cadre du régime parlementaire. A la lumière de cette leçon que nous fournit le droit comparé, il y a lieu de prendre, en Tunisie, toutes les précautions à l’égard du régime parlementaire d’autant plus que les partis politiques tunisiens, pour la plupart récemment créés, n’ont pas eu le temps d’intérioriser la culture démocratique et notamment l’obligation de respecter le statut de l’opposition. Le fonctionnement de nos institutions provisoires depuis l’adoption de la loi constitutive relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics ne peut que nous conforter dans cette opinion. Aujourd’hui, fort de sa majorité, le gouvernement est tout puissant. Il ne court aucun risque de tomber suite à l’adoption d’une motion de censure. La seule tentative enregistré dans ce sens n’a même pas pu franchir le seuil de la recevabilité formelle. Le gouvernement dispose en droit et en pratique de tous les pouvoirs et peut tout faire alors que le président de la république est réduit à un rôle de figuration. La rocambolesque affaire de l’extradition de l’ex premier ministre libyen Mahmoudi en fournit une preuve patente. Les nominations tous azimut de fidèles au parti majoritaire de la Troïka en est une autre. Quant à l’ANC, détentrice des pouvoirs constituant, législatif et de contrôle, elle ne fait que ratifier les décisions du gouvernement, quand elle est sollicitée. On a encore à l’esprit encore la révocation du gouverneur de la BCT (M. K. Nabli) et la désignation de son successeur (C. Ayari). Il en est de même du rôle législatif de l’ANC. Cette dernière est quasi-absente. Depuis son installation elle n’a pratiquement adopté qu’un nombre insignifiant de lois. Par ailleurs, la transposition du régime présidentiel américain dans sa pureté est impossible. La structure de notre Etat (fortement centralisé), les caractéristiques de notre système partisan (partis politiques très nombreux, peu expérimentés et rigides, la faible culture démocratique) ainsi que l’histoire constitutionnelle récente, condamnent la transposition du régime présidentiel à l’échec et à l’indubitable évolution vers le présidentialisme. Seule la voie médiane, un régime qui emprunte à la fois au régime parlementaire et au régime présidentiel, est susceptible de concrétiser les aspirations du peuple à un régime politique stable, équilibré et démocratique. Il y a lieu de mettre en place un exécutif bicéphale équilibré avec un Président de la république élu directement par le peuple, doté de prérogatives d’arbitrage placé au-dessus de la mêlée partisane et un gouvernement chargé de mettre en place et de conduire la politique choisie sous le contrôle d’une part, d’un parlement démocratique et pluriel au sein duquel l’opposition jouit d’un véritable statut et, d’autre part, d’institutions indépendantes de contrôle (cour constitutionnelle, juridictions administratives et financières, etc.) et de régulation (en matière d’information, d’audiovisuel, d’élections, etc.). Le peuple tunisien est, par sa culture, son histoire et sa géographie, un peuple de compromis. Il ne peut se reconnaître que dans les solutions de compromis. Un régime politique de compromis est dans sa nature profonde.

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