mercredi 18 mai 2016

Ordonnance de la Cour africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. 18 mars 2016. Requête N° 003/2014. Ingabire Victoire Umuhoza c/ Rwanda

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OPINION DISSIDENTE DU JUGE RAFÂA BEN ACHOUR

Je ne souscris pas à l’Ordonnance rendue par la Cour dans la requête 003/2014 (Ingabire Victoire Umuhoza). J’estime en effet, que d’une part, la Cour n’était pas obligée de rendre une ordonnance à ce stade de la procédure et que, d’autre part, et à supposer le bien-fondé et l’opportunité de l’Ordonnance, les motifs invoqués par la Cour ne me semblent pas pertinents.

I - Il faut rappeler que la requête  a été introduite devant la Cour le 3 octobre 2014, par Madame Ingabire Victoire Umohoza, sur la base de l’article 5(3) et de l’article 34(6) du Protocole et sur la base de la déclaration d’acception de la juridiction souscrite par le Rwanda le 22 janvier 2013.

Il va de soi qu’un État qui procède à une telle déclaration dispose d’une compétence discrétionnaire pour faire, ou pour ne pas en faire ladite déclaration, voire pour faire une déclaration assortie de réserves temporelles, matérielles et territoriale[1].

La déclaration du Rwanda n’est assortie d’aucune réserve ; par conséquent, au moment de l’introduction de la requête, il n’y avait aucune limite à l’acceptation de la compétence de la Cour par rapport aux requêtes individuelles. Dans cette affaire, le Rwanda a même répondu à la requête, et ce le 23 janvier 2015. Dans sa réponse, le Rwanda n’a nullement remis en cause la compétence de la Cour. Par la suite, et compte tenu des éléments de l’affaire, la Cour a décidé de tenir une audience publique. Les deux parties ont été informées le 4 janvier 2016,  que la Cour allait tenir le 4 mars 2016 ladite audience publique.

Quelques jours avant l’audience, soit le 1er mars 2016, le Rwanda a notifié à la Cour le retrait de la déclaration. La veille de l’audience publique, le Conseiller juridique de l’UA en informait officiellement la Cour[2]. Dans cette notification, le Rwanda soutient que le retrait de sa déclaration avait pour effet de suspendre toutes les affaires le concernant et qui étaient pendantes devant la Cour. Il a également demandé à être entendue sur la question de son retrait avant que la Cour ne se prononce sur les affaires dont elle est saisie. Malgré cette notification, la Cour, a, à bon droit, tenu l’audience publique précédemment décidée. Elle a écouté le représentant de la requérante alors que l’État défendeur n’a pas comparu.

À ce stade, la Cour aurait dû prendre acte de cette non-comparution et continuer la procédure. Ainsi que l’a noté la CIJ : « L’Etat qui décide de ne pas comparaître doit accepter les conséquences de sa décision, dont la première est que l’instance se poursuivra sans lui »[3]. Pour sa part, l’Institut de droit international, dans sa résolution sur « la non-comparution devant la CIJ » est allé dans le même sens : « La non-comparution d’un État devant la Cour ne constitue pas, en soi, un obstacle à l’exercice des fonctions de cette juridiction au titre de l’article 41 du Statut »[4]. Or, tel n’a pas été l’attitude de la Cour. Elle n’a pas mis l’affaire en délibéré suite à l’audience publique et a décidé de rendre une ordonnance qui accède en partie à la demande de l’Eta défendeur en ordonnant « aux parties de déposer leurs observations écrites sur le retrait par le Défendeur de la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole ». Dans cet ordre, la Cour a inclus la Requérante dans une relation exclusive entre elle et l’État défendeur. La Requérante n’a rien à voir avec la Déclaration.

II - Il convient à présent de s’attarder quelque peu sur la nature de la déclaration du Rwanda.

Il est unanimement admis, en jurisprudence et en doctrine, que la déclaration d’acceptation de la juridiction est un acte unilatéral de l’État, qui relève de sa compétence discrétionnaire[5]. S’agissant d’un engagement international, même unilatéral, il est soumis au principe général « Pacta sunt servanda » tel que codifié par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969[6].  À cet égard, la Cour  aurait dû poursuivre la procédure, prendre acte de la non comparution de l’Etat défendeur et tirer les conséquences qui s’imposent en cas de non comparution. Même si les représentants de la requérante ont formulé le souhait de se prononcer sur le retrait de la déclaration du Rwanda, la Cour n’aurait pas dû permettre cela et exiger des deux parties de fournir des observations écrites sur cette question et renvoyer cela à sa 41ème session[7].

III - De même, dans son Ordonnance, la Cour « décide que la décision sur les effets du retrait du Défendeur sera rendue à sa 41e session ordinaire ».

À mon avis, la Cour n’a pas à prendre une décision spécifique relativement à ce retrait. Elle doit le faire dans son arrêt définitif ainsi que la CIJ l’a fait dans ses arrêts dans les affaires : Détroit de Corfou[8], Essais nucléaires[9] et activités militaires et paramilitaires[10].

Pour toutes ces raisons, j’estime que l’Ordonnance ne s’imposait pas et que les motifs qu’elle développe ne sont pas fondés en droit.





[1] Cf. GHARBI (Fakhri), « Le statut des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice », Les Cahiers du Droit, vol.43, n°2, 2002, p. 213 – 274. Disponible sur :  http://id.erudit.org/iderudit/043707ar
[2] Formellement, la notification du retrait aurait due être adressée à la Commission de l’UA et ce en vertu du parallélisme des formes, puisque, en vertu l’article 37(2) du Protocole : «  Les déclarations faites en application de l’alinéa (6)  ci-dessus sont déposées auprès du Secrétaire général de l’OUA, qui transmet une copie aux Etats parties ».
[3] CIJ. Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, Rec, 1986, p : 24, § 28
[4] I.D.I., rés. Sur la non-comparution devant la C.I.J., art. 5, session de Bâle, Annuaire, 1991, vol. 64, t. II, p.378.
[5] « Acte discrétionnaire par lequel un Etat souscrit un engagement de juridiction obligatoire, attribuant unilatéralement compétence à une juridiction pour des catégories de litiges définis à l’avance », Entrée : « Déclaration facultative de juridiction obligatoire », In, SALMON (Jean), (Dir), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001, p. 303
[6] Dans son préambule, la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) constate que « les principes du libre consentement et de la bonne foi et la règle pacta sunt servanda sont universellement reconnus ». Ce principe est codifié par l’article 26 de ladite Convention.
[7] Sur l’effet juridique dans le temps du retrait de la déclaration, je m’abstiens pour le moment et me prononcerais, éventuellement, lorsque la Cour se décidera sur cette question à sa 41ème session.
[8] Affaire du Détroit de Corfou, arrêt du 15 décembre 1949, Rec, 1949, pp. 4 et s.
[9] Affaire Essais nucléaire (Australie C. France et Nouvelle-Zélande C. France, arrêts du 20 décembre 1974, Rec, 1974, pp. 253 et s et 457 et s.
[10] Affaire déjà citée supra.

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