http://fr.african-court.org/images/Cases/Orders/Ordonnance%20Req.%20003-2014%20Ingabire%20Victoire%20Umuhoza%20c.%20R%C3%A9publique%20du%20Rwanda.PDF
OPINION DISSIDENTE DU JUGE RAFÂA BEN ACHOUR
Je ne souscris pas à l’Ordonnance rendue
par la Cour dans la requête 003/2014 (Ingabire Victoire Umuhoza). J’estime en
effet, que d’une part, la Cour n’était pas obligée de rendre une ordonnance à
ce stade de la procédure et que, d’autre part, et à supposer le bien-fondé et
l’opportunité de l’Ordonnance, les motifs invoqués par la Cour ne me semblent
pas pertinents.
I - Il faut rappeler que la requête a été introduite devant la Cour le 3 octobre
2014, par Madame Ingabire Victoire Umohoza, sur la base de l’article 5(3) et de
l’article 34(6) du Protocole et sur la base de la déclaration d’acception de la
juridiction souscrite par le Rwanda le 22 janvier 2013.
Il va de soi qu’un État qui procède à une
telle déclaration dispose d’une compétence discrétionnaire pour faire, ou pour
ne pas en faire ladite déclaration, voire pour faire une déclaration assortie
de réserves temporelles, matérielles et territoriale[1].
La déclaration du Rwanda n’est assortie d’aucune
réserve ; par conséquent, au moment de l’introduction de la requête, il
n’y avait aucune limite à l’acceptation de la compétence de la Cour par rapport
aux requêtes individuelles. Dans cette affaire, le Rwanda a même répondu à la
requête, et ce le 23 janvier 2015. Dans sa réponse, le Rwanda n’a nullement
remis en cause la compétence de la Cour. Par la suite, et compte tenu des
éléments de l’affaire, la Cour a décidé de tenir une audience publique. Les
deux parties ont été informées le 4 janvier 2016, que la Cour allait tenir le 4 mars 2016 ladite
audience publique.
Quelques jours avant l’audience, soit le 1er
mars 2016, le Rwanda a notifié à la Cour le retrait de la déclaration. La
veille de l’audience publique, le Conseiller juridique de l’UA en informait
officiellement la Cour[2].
Dans cette notification, le Rwanda soutient que le retrait de sa déclaration
avait pour effet de suspendre toutes les affaires le concernant et qui étaient
pendantes devant la Cour. Il a également demandé à être entendue sur la
question de son retrait avant que la Cour ne se prononce sur les affaires dont
elle est saisie. Malgré cette notification, la Cour, a, à bon droit, tenu
l’audience publique précédemment décidée. Elle a écouté le représentant de la
requérante alors que l’État défendeur n’a pas comparu.
À ce stade, la Cour aurait dû prendre acte de cette
non-comparution et continuer la procédure. Ainsi que l’a noté la CIJ : « L’Etat qui
décide de ne pas comparaître doit accepter les conséquences de sa décision,
dont la première est que l’instance se poursuivra sans lui »[3].
Pour sa part, l’Institut de droit international, dans sa résolution sur
« la non-comparution devant la CIJ » est allé dans le même
sens : « La non-comparution d’un État devant la Cour ne
constitue pas, en soi, un obstacle à l’exercice des fonctions de cette
juridiction au titre de l’article 41 du Statut »[4]. Or, tel n’a pas été
l’attitude de la Cour. Elle n’a pas mis l’affaire en délibéré suite à
l’audience publique et a décidé de rendre une ordonnance qui accède en partie à
la demande de l’Eta défendeur en ordonnant « aux parties de déposer leurs
observations écrites sur le retrait par le Défendeur de la déclaration faite en
vertu de l’article 34(6) du Protocole ». Dans cet ordre, la Cour a inclus la
Requérante dans une relation exclusive entre elle et l’État défendeur. La
Requérante n’a rien à voir avec la Déclaration.
II - Il convient à présent de s’attarder
quelque peu sur la nature de la déclaration du Rwanda.
Il est unanimement admis, en jurisprudence
et en doctrine, que la déclaration d’acceptation de la juridiction est un acte
unilatéral de l’État, qui relève de sa compétence discrétionnaire[5].
S’agissant d’un engagement international, même unilatéral, il est soumis au
principe général « Pacta sunt
servanda » tel que codifié par la Convention de Vienne sur le droit
des traités de 1969[6]. À cet égard, la Cour aurait dû poursuivre la procédure, prendre
acte de la non comparution de l’Etat défendeur et tirer les conséquences qui
s’imposent en cas de non comparution. Même si les représentants de la
requérante ont formulé le souhait de se prononcer sur le retrait de la
déclaration du Rwanda, la Cour n’aurait pas dû permettre cela et exiger des
deux parties de fournir des observations écrites sur cette question et renvoyer
cela à sa 41ème session[7].
III - De même, dans son Ordonnance, la Cour
« décide que la décision sur les effets du retrait du Défendeur
sera rendue à sa 41e session ordinaire ».
À mon avis, la Cour n’a pas à prendre une
décision spécifique relativement à ce retrait. Elle doit le faire dans son
arrêt définitif ainsi que la CIJ l’a fait dans ses arrêts dans les
affaires : Détroit de Corfou[8],
Essais nucléaires[9] et
activités militaires et paramilitaires[10].
Pour toutes ces raisons, j’estime que l’Ordonnance
ne s’imposait pas et que les motifs qu’elle développe ne sont pas fondés en
droit.
[1] Cf. GHARBI
(Fakhri), « Le statut des déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour internationale de justice », Les Cahiers du Droit, vol.43, n°2, 2002, p. 213 – 274. Disponible
sur : http://id.erudit.org/iderudit/043707ar
[2] Formellement, la notification du retrait aurait due
être adressée à la Commission de l’UA et ce en vertu du parallélisme des
formes, puisque, en vertu l’article 37(2) du Protocole : « Les
déclarations faites en application de l’alinéa (6) ci-dessus sont déposées auprès du Secrétaire
général de l’OUA, qui transmet une copie aux Etats parties ».
[3] CIJ. Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27
juin 1986, Rec, 1986, p : 24, §
28
[4] I.D.I., rés. Sur la non-comparution devant la C.I.J.,
art. 5, session de Bâle, Annuaire,
1991, vol. 64, t. II, p.378.
[5] « Acte discrétionnaire par lequel un Etat
souscrit un engagement de juridiction obligatoire, attribuant unilatéralement
compétence à une juridiction pour des catégories de litiges définis à
l’avance », Entrée : « Déclaration facultative de juridiction
obligatoire », In, SALMON
(Jean), (Dir), Dictionnaire de droit
international public, Bruylant, 2001, p. 303
[6] Dans son préambule, la Convention de Vienne sur le
droit des traités (1969) constate que « les principes du libre consentement
et de la bonne foi et la règle pacta sunt
servanda sont universellement reconnus ». Ce principe est codifié par
l’article 26 de ladite Convention.
[7] Sur l’effet juridique dans
le temps du retrait de la déclaration, je m’abstiens pour le moment et me
prononcerais, éventuellement, lorsque la Cour se décidera sur cette question à
sa 41ème session.
[8] Affaire du
Détroit de Corfou, arrêt du 15 décembre 1949, Rec, 1949, pp. 4 et s.
[9] Affaire Essais nucléaire (Australie C. France et
Nouvelle-Zélande C. France, arrêts du 20 décembre 1974, Rec, 1974, pp. 253 et s
et 457 et s.
[10] Affaire déjà citée supra.
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