Sur les routes tunisiennes, autoroutes et routes nationales, routes régionales et routes
urbaines, rues et pistes, depuis des
années, une « véritable guerre
civile », selon les statistiques officielles de l’Observatoire national de la sécurité
routière (ONSER), emporte en moyenne, 4 à 5 vies
humaines par jour et fait environ 1500 morts et 11.000 blessés par an! « Avec
près de 8.000 accidents, […] 1,8 millions de véhicules, les routes tunisiennes
sont considérées comme parmi les plus dangereuses du monde : à titre de
comparaison, les pays d’Europe comptent environ 8 ou 9 morts pour 100.000
véhicules (9 en France, 8,9 en Allemagne, 6,9 en Suisse, etc.) contre un ratio
de 87 en Tunisie. Il est donc 10 fois plus dangereux de rouler en Tunisie qu’en
Europe… » [1]
Il va sans dire que ces carnages chaque jour réitérés engendrent
bien des dégâts matériels, privés et
publics. Si l'Association
tunisienne pour la prévention routière indique que les accidents de la route
causent à l'Etat des pertes allant jusqu'à 700 millions de dinars par an, le
Comité général des assurances déclare que : « La
cause principale des problèmes de l’assurance tunisienne est à rechercher dans
le déficit structurel de la branche automobile, de loin la plus importante en
volume »[2].
Il n’est pratiquement plus une plus une famille tunisienne épargnée par ce
fléau, chacune comptant au moins une victime d’un accident survenu sur la voie
publique (décès, handicap perpétuel, handicap temporaire, longue
hospitalisation, choc psychologique, etc.). Loin de porter les enseignements
attendus, le chaos routier augmente de jour en jour. Emprunter la voie publique
devient une véritable gageure. La route est un vrai champ de bataille comme
l’indique, ci-après, le tableau récapitulatif des accidents de la route sur les années 2012,
à 2015[3] :
2012
|
2013
|
2014
|
2015
|
|
Tués
|
1623
|
1505
|
1565
|
1407
|
Blessés
|
14144
|
13539
|
12354
|
10882
|
Face à ce fléau national, les autorités publiques n’ont pas agi
efficacement, ont toujours toléré l’irrespect
absolu du code de la route et se sont contentées, de jeter de la poudre aux
yeux des citoyens. L’ONSR précité se contente de compter les victimes, au mieux
de faire des spots à la télévision ou de placer quelques banderoles sur
certains passages routiers. Quant aux associations concernées, notamment l’Association
de prévention routière, elle semble désintéressée de la question et l’on peut se
demander ce qu’elle prévient au juste ? Un accident faisant des
dizaines de victimes survient-il ? Les autorités et l’opinion publique
s’émeuvent « le temps d’un soupir » ; les autorités sécuritaires
promettent alors d’intensifier la « sensibilisation » des
utilisateurs des différents véhicules et engins et autres usagers de la voie
publique, et à les instruire des précautions nécessaires à prendre ; mais
rien ne change, les engagements ne sont que vœux pieux, la route continue à
faucher automobilistes et piétons.
Il faut noter, toutefois, que chaque année, au début du mois de
juillet, ou à l’occasion d’évènements comme le jour de l’an, les Aïds, la
rentrée scolaire, est annoncée une multiplication de brigades, des contrôles,
etc. Ces mesures restent, hélas, d’une efficacité toute relative ; le
nombre de victimes demeurant le même.
En réalité, le problème de la sécurité routière a toujours été
traité, comme dans d’autres secteurs, de manière démagogique et populiste. Ainsi,
par exemple, le port obligatoire de la ceinture de sécurité a été maintes fois
différé. On se souvient même d’une réunion dirigée par l’ex-président lui-même
avec des chauffeurs de taxis qui contestaient cette obligation. Souvenons-nous
également des radars que l’on avait installés sur certaines voies et qui,
saccagés par des « citoyens3, n’ont jamais été rétablis. L’institution du
permis à points a été annulée, comme a été annulée une série de mesures. Pourquoi ?
Tout cela pour ne mécontenter aucune catégorie d’usagers. Les moyens de
transports en commun publics et privés ainsi que les taxis, louages et poids
lourds échappent, quant à eux, aux règles élémentaires de la sécurité, les
conducteurs rivalisant en performances de non respect du code de la route et
roulant à tombeaux ouverts.
Après la révolution, rien n’a changé : l’anarchie la plus
complète règne sur la voie publique, sous le regard, soit complaisant, si ce
n’est complice, soit totalement désarmé des forces de sécurité. Quant à
l’incivilité des comportements, il vaut mieux ne pas en parler !
Plusieurs pays ont été ou sont confrontés à ce fléau. Cependant, certains
d’entre eux, ceux qui estiment que la
sécurité routière est partie intégrante de la sécurité publique ont pris le
taureau par les cornes. Ils ne se sont pas contentés de sensibilisation et de
phraséologie. Ils ont agi et ont inscrit la lutte contre le fléau de
l’insécurité routière parmi les priorités nationales. En Angleterre, Tony Blair
(Premier ministre du
Royaume-Uni de 1997 à 27 juin 2007) en avait fait
un des points cardinaux de son programme électoral. Il a largement réussi à
l’appliquer et est arrivé à réduire de manière drastique le nombre des tués sur
la route. Entre 2005 et 2009, le nombre de tués sur la voie publique au Royaume
Uni a baissé de 30% passant de 3068 à 2337[4]. En
1990, ce nombre était de 5217. Bref, ce fléau est tellement sérieux que l’OMS
le considère également parmi ses priorités comme l’indique l’encadré
ci-après :
Les
Accidents de la route d’après l’Aide mémoire N° 358 de l’OMS
|
La
lutte contre le fléau de l’insécurité routière avec son cortège de malheurs
n’est ni une affaire de la sensibilisation, ni de spots à la TV, ni de
statistiques ; c’est une politique
publique de tolérance zéro des infractions routières, aussi minimes
soient-elle, qu’il convient d’adopter.
Le
drame, qui vient de se produire à Kasserine et qui a fait 16 tués et 60
blessés, devrait inciter le nouveau gouvernement à couper court avec le laxisme
et le laisser-faire face aux infractions routières. Il ne s’agit pas pour le
moment de refaire le code de la route ou de l’amender. Il s’agit de l’appliquer
et de l’appliquer totalement et strictement sans laisser passer la moindre
infraction. A cet effet, la police et la garde nationales, les ministères
concernés (transports et équipement, etc.) devraient adresser à leurs agents et
services concernés non seulement les consignes strictes et précises de
sévérité, mais également réprimer toutes les formes de corruption dont nul
n’ignore l’étendue et l’impact sur la prévention routière. Les infractions,
mêmes les plus graves, ne sont ni relevées et ni réprimées.
La
tolérance zéro sur dans l’application du code de la route est non seulement le
seul remède contre cette guerre routière mais également un élément central pour
le rétablissement de la crédibilité de l’Etat et de la puissance publique.
Faute de quoi, on continuera à pleurer nos tués de la voie publique, et à nous
lamenter sur la déliquescence de l’autorité de l’Etat.
[1] Comité général des
assurances (CGA) & Groupe de la Banque mondiale, Réforme de l’assurance de la responsabilité civile en
Tunisie :état des lieux et recommandations, version août 2015,
disponible sur : http://www.cga.gov.tn/fileadmin/contenus/pdf/Rapport-RC-Automobile-Tunisie-2015.pdf
[2]Idem.
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