Summary
Slavery dates
back to early days of history and it is the first human rights violation that
has preoccupied the international community. There were several bilateral and
multilateral instruments containing provisions prohibiting slavery,
nevertheless, they were not really effective. It was untill the then League
of Nations which had played a major role in the abolition of slavery. Indeed,
it was after the Second World War that slavery became a principle of
Customary International Law or jus
cogens. Since the Second World War
to date, there has been an increase, not only in the international legal
instruments prohibiting slavery, but also in the definition of the concept of
"slavery", which can take many forms in our contemporary context .
One of these forms, commonly referred to as "modern slavery",
covers different forms of slavery, including vulnerable groups, namely women
and children. In this article, we
first define the notion of slavery; we then present the international legal
framework for the prohibition of slavery and its content and we finalize by
focusing on the application of the standards in jurisprudence.
Sommaire
L’esclavage
remonte à la période de l’Antiquité et constitue la première atteinte aux
droits de l’homme qui a préoccupé la communauté internationale. Plusieurs
instruments bilatéraux et multilatéraux contenaient des dispositions qui
interdisaient l’esclavage, mais ces derniers ne furent pas réellement
efficaces. La Société des Nations qui a joué un rôle majeur dans l’abolition
de l’esclavage mais ce n’est que suite à la Deuxième Guerre Mondiale que
l’esclavage devint un principe de droit international coutumier voire de jus cogens[1]. Depuis on constate non
seulement une augmentation des instruments juridiques internationaux
interdisant l’esclavage, mais également, une évolution dans la définition de
la notion « d’esclavage » qui, peut prendre plusieurs formes dans
notre contexte contemporain. L’une de ces formes communément appelé
« esclavage moderne », couvre différentes formes d’esclavage
touchant notamment les groupes vulnérables, à savoir les femmes et les
enfants. Dans cet article, nous définissons d’abord la notion d’esclavage.
Nous présentons ensuite, le cadre juridique international de l’interdiction
de l’esclavage et son contenu. Enfin, nous nous traitons de l’application des
normes par la jurisprudence.
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Introduction
L’esclavage
remonte à la période de l’Antiquité et constitue la première atteinte aux
droits de l’homme qui a préoccupé la communauté internationale. Dès lors, on a
constaté une volonté du mouvement abolitionniste de mettre fin à la traite
transatlantique des esclaves[2].
Plusieurs instruments bilatéraux et multilatéraux contenaient des dispositions
qui interdisaient l’esclavage, mais ces derniers ne furent pas réellement
efficaces[3].
C’est alors la Société des Nations qui a joué un rôle majeur dans l’abolition
de l’esclavage en attirant l’attention de la communauté internationale sur
cette problématique. En effet, c’est suite à la Deuxième Guerre Mondiale que
l’esclavage devint un principe de droit international coutumier voire de jus cogens[4].
Depuis la Deuxième Guerre Mondiale à ce jour, on constate non seulement une augmentation des instruments juridiques internationaux interdisant l’esclavage, mais également, une évolution dans la définition de la notion « d’esclavage » qui, peut prendre plusieurs formes dans notre contexte contemporain. L’une de ces formes communément appelé « esclavage moderne », couvre différentes formes d’esclavage touchant notamment les groupes vulnérables, à savoir les femmes et les enfants.
Dans
cet article, nous définirons d’abord la notion d’esclavage. Nous présenterons ensuite,
le cadre juridique international de l’interdiction de l’esclavage et son
contenu (instruments juridiques). Enfin, nous nous intéresserons à l’application
des normes par la jurisprudence.
I.
Définitions
La première définition de l’esclavage est
formulée par la Convention relative à l’esclavage[5]
comme suit :
«
1. L'esclavage est l'état ou la condition
d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou
certains d'entre eux ;
2.
La traite des esclaves comprend tout acte de
capture, d'acquisition ou de cession d'un individu en vue de la réduire en
esclavage ; tout acte d'acquisition d'un esclave en vue de le vendre ou de
l’échanger ; tout acte de cession par vente ou échange d'un esclave acquis en
vue d'être vendu ou échangé, ainsi que, en général, tout acte de commerce ou de
transport d'esclaves. »[6]
Nous constatons
que cette définition ne traite que de l’esclavage proprement dit (traditionnel)
et n’englobe pas les formes modernes de l’esclavage que nous connaissons
aujourd’hui. C’est en 1956, dans la Convention
supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves
et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage[7],
que la notion d’esclavage s’est vue amplifier de sorte à intensifier les efforts, tant nationaux
qu'internationaux, qui visent à abolir l'esclavage, la traite des esclaves et
les institutions et pratiques analogues à l'esclavage. C’est dans
cette Convention qu’ont été exposé les différentes formes d’esclavage susmentionnées,
et définies comme suit :
«
a) La servitude pour dettes, c'est-à-dire
l'état ou la condition résultant du fait qu'un débiteur s'est engagé à fournir
en garantie d'une dette ses services personnels ou ceux de quelqu'un sur lequel
il a autorité, si la valeur équitable ce ces services n'est pas affectée à la
liquidation de la dette ou si la durée de ces services n'est pas limitée ni
leur caractère défini ;
b) Le servage, c'est-à-dire la condition de
quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de
travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette
autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services
déterminés, sans pouvoir changer sa condition ;
c) Toute institution ou pratique en vertu de
laquelle :
i) Une femme est, sans qu'elle ait le droit de refuser,
promise ou donnée en mariage moyennant une contrepartie en espèces ou en nature
versée à ses parents, à son tuteur, à sa famille ou à toute autre personne ou
tout autre groupe de personnes;
ii) Le mari d'une femme, la famille ou le clan de celui-ci
ont le droit de la céder à un tiers, à titre onéreux ou autrement;
iii) La femme peut, à la mort de son mari, être transmise
par succession à une autre personne ;
d) Toute institution ou pratique en vertu de
laquelle un enfant ou un adolescent de moins de dix-huit ans est remis, soit
par ses parents ou par l'un d'eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre
paiement ou non, en vue de l'exploitation de la personne, ou du travail dudit
enfant ou adolescent »[8].
Dès lors, plusieurs instruments
internationaux ont fait leur apparition l’un à la suite de l’autre. Dans ce
sens, l’Organisation
internationale du travail (OIT) a joué un grand rôle en ce qui a trait au
travail forcé, à la traite des êtres humains à l’esclavage et au travail des
enfants.
Examinons à présent les différents instruments
internationaux composant le cadre légal de l’interdiction de l’esclavage.
II.
Le cadre normatif
A/ Les instruments universels
Les principaux instruments universels interdisant
l’esclavage sont les suivants :
i.
La Convention relative à
l’esclavage Signée à Genève, le 25 septembre 1926, entrée en
vigueur le 9 mars 1927 ;
ii.
La Convention de l’OIT (n° 29) sur le
travail forcé, adoptée à Genève par la14ème session de la Conférence
Internationale du travail le 28 juin 1930,
entrée en vigueur le 01 mai 1932 ;
iii.
La Déclaration universelle des
droits de l’homme du 10 décembre1948 ;
iv.
La Convention relative à la
répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la
prostitution d’autrui approuvée par l'Assemblée
générale dans sa résolution 317 (IV) du 2 décembre 1949, entrée en vigueur le
25 juillet 1951 ;
v.
Le Protocole
amendant la Convention relative à l’esclavage signée à Genève
le 25 septembre 1926, approuvé par l'Assemblée générale dans sa résolution
794(VIII) du 23 octobre 1953 ,
entré en vigueur le 7 décembre 1953 ;
vi.
Convention supplémentaire
relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l'esclavage adoptée par une conférence de
plénipotentiaires réunie en application des dispositions de la résolution
608(XXI)
du Conseil économique et social en date du 30 avril 1956,
entrée en vigueur le 30 avril 1957 ;
vii.
Le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques adopté par l'Assemblée générale
de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur
le 23 mars 1976 ;
viii.
Pacte international aux droits
économiques, sociaux et culturels adopté par l'Assemblée générale
de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, entrée en vigueur
le 23 mars 1976 ;
ix.
Le Statut de Rome de la Cour
pénale internationale du 17 juillet (1998), entré en vigueur le 1er juillet
2002 ;
x.
Le
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité́
transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants du 15 novembre 2000, entré en vigueur le 25 décembre 2003 ;
Comme susmentionné, la Convention
relative à l’esclavage de 1926 ne fut pas le premier instrument international à
interdire l’esclavage, mais le premier instrument efficace s’y rapportant.
L’esclavage peut prendre plusieurs formes
dont notamment :
i.
Le servage ;
ii.
Le travail forcé ;
iii.
La servitude pour dettes ;
iv.
La traite des êtres humains ;
v.
La prostitution ;
vi.
Le mariage forcé et ventes de femmes en vue de
mariage ;
vii.
Le travail des enfants et enfants dans un état
de servitude
La Charte internationale des droits de l’homme[9]
est venue renforcer les interdictions qui figurent dans la Convention relative
à l’esclavage et la Convention supplémentaire[10].
C’est ainsi que la Déclaration universelle des droits de
l’homme proclame que :
« Nul ne sera tenu en esclavage ni en
servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes
leurs formes »[11].
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, pour sa part, sans faire mention de l’esclavage, interdit le travail
forcé par rapport au droit du travail « qui comprend le droit qu’a toute
personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement
choisi ou accepté » [12] .
Quant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, il interdit l’esclavage, la traite des esclaves sous toutes ses
formes, la servitude et le travail forcé[13]
ou obligatoire[14].
Le Statut de Rome de la CPI[15]
considère l’esclavage, l’esclavage sexuel et la prostitution forcée comme
crimes contre l’humanité. Toutefois, il importe de mentionner que le Statut
s’applique uniquement dans un contexte où les actes ont été « commis dans
le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre tout
population civile »[16]
.
La Convention
pour la répression de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la
prostitution d’autrui[17]
traite de l’esclavage sexuel d’un point de vue de prostitution. Elle dispose :
« Les Parties à la présente Convention
conviennent de punir toute personne qui, pour satisfaire les passions d'autrui
:
1) Embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution
une autre personne, même consentante ;
2) Exploite la prostitution d'une autre
personne, même consentante »[18].
Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la
criminalité́ transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la
traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants[19]
(Protocole contre la traite des personnes) est à ce jour l’instrument le
plus récent qui contient une disposition relative à l’esclavage. De plus, il
est le premier à définir la traite des personnes comme suit :
« Le recrutement, le
transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, en recourant
à la force, à la menace ou d’autres formes de contraintes, ou par enlèvement,
fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou en
donnant ou en recevant des paiements ou des avantages pour obtenir le
consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins
d’exploitation. L’exploitation comprend au minimum, l’exploitation de la
prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail
forcé, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le
prélèvement d’organes. »[20]
La Convention relative aux droits de l’enfant[21],
en lien avec l’esclavage, mentionne l’interdiction de la traite des enfants, de
la prostitution infantile et du travail des enfants. Son article 34 on définit l'obligation de protéger les enfants contre « toutes les formes d'exploitation et de
violence sexuelle » et exige des États qu’ils empêchent que les enfants
soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles
illégales.
Le Protocole de
l’OIT de 2014 relatif à la convention de 1930 sur le travail forcé énonce
que tous les États membres ont le devoir de prendre des mesures pour prévenir
le travail forcé ou obligatoire. Celles-ci doivent comprendre :
«
a)
l’éducation et l’information des personnes, notamment celles
considérées comme particulièrement vulnérables, afin d’éviter qu’elles ne
deviennent victimes de travail forcé ou obligatoire ;
b)
l’éducation et l’information des employeurs, afin d’éviter
qu’ils ne se trouvent impliqués dans des pratiques de travail forcé ou
obligatoire;
c)
des efforts pour garantir que :
i)
le champ d’application et le contrôle de l’application de la législation
pertinente en matière de prévention du travail forcé ou obligatoire, y compris
la législation du travail en tant que de besoin, couvrent tous les travailleurs
et tous les secteurs de l’économie ;
ii)
les services de l’inspection du travail et autres services chargés de faire
appliquer cette législation sont renforcés ;
d) la protection des
personnes, en particulier des travailleurs migrants, contre d’éventuelles
pratiques abusives ou frauduleuses au cours du processus de recrutement et de
placement ;
e) un appui à la diligence
raisonnable dont doivent faire preuve les secteurs tant public que privé pour
prévenir les risques de travail forcé ou obligatoire et y faire face ;
f)
une action contre les causes profondes et les facteurs qui accroissent le
risque de travail forcé ou obligatoire »[22].
Il importe d’examiner les instruments régionaux, connexes
aux instruments universels afin de mieux appréhender la question du cadre
juridique international se rapportant à l’esclavage.
B/
Les instruments régionaux
-
La
Convention américaine des droits de
l’homme interdit l’esclavage et la servitude en ces termes :
« 1. Nul
ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. L'esclavage et la servitude
ainsi que la traite des esclaves et la traite des femmes sont interdits sous
toutes leurs formes.
2. Nul ne
sera astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. Dans les pays où
certains délits sont punis de détention accompagnée de travaux forcés, la
présente disposition ne saurait être interprétée comme interdisant
l'exécution d'une telle peine infligée par un juge ou un tribunal compétent.
Cependant le travail forcé ne doit point préjudicier à la dignité ni à la
capacité physique et intellectuelle du détenu.
3. Ne
constitue pas un travail forcé ou obligatoire aux effets du présent article :
a. Tout
travail ou tout service normalement requis d'une personne emprisonnée en
exécution d'une sentence ou d'une décision formelle rendue par l'autorité
judiciaire compétente. Un tel travail ou un tel service devra être effectué
sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et les individus
qui les fournissent ne seront pas mis à la disposition de particuliers, de
sociétés ou de personnes morales privées ;
a.
Tout service de caractère militaire et, dans les
pays où l'exemption d'un tel service est accordée aux objecteurs de
conscience, tout service national qui en tient lieu aux termes de la loi ;
b.
Tout service requis dans les cas de danger ou de
sinistres qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté, et
-
La
Convention européenne des droits de
l’homme prohibe l’esclavage et le travail forcé en ces termes :
«
1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni
en servitude.
2. Nul ne peut être astreint à accomplir
un travail forcé ou obligatoire.
3. N’est pas considéré́ comme « travail forcé ou
obligatoire » au sens du présent article :
a) tout travail requis normalement d’une personne
soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente
Convention, ou durant sa mise en liberté́ conditionnelle ;
b) tout service de caractère militaire ou, dans le
cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est
reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire
obligatoire ;
c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités
qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté́ ;
d) tout travail ou service formant partie des
obligations civiques normales »[24].
-
La
Charte africaine des droits de l’homme et
des peuples interdit également l’esclavage, la traite des personnes, la
torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains
ou dégradants :
« Tout
individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à
la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et
d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la
torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains
ou dégradants sont interdites »[25].
III.
Application des normes : la
Jurisprudence
Comment les juridictions internationales, à savoir la
Cour interaméricaine des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de
l’homme, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour de
justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
(CJCEDEAO) appliquent-elles les normes se rapportant à l’esclavage[26].
a)
Cour interaméricaine des droits de
l’homme
La Cour interaméricaine a eu à se prononcer sur un cas
d’esclavage et de travail forcé dans l’affaire Massacres d’Ituango c. Colombie[27].
La Cour a fait usage de la définition de travail forcé tel qu’elle figure dans
la Convention no.29 de l’OIT à savoir tout travail ou service exigé d’un
individu sous la menace d’une peine.
La Cour a conclu à la violation de l’article 6 de la
Convention américaine des droits de l’homme qui mentionne l’interdiction du
travail forcé s’agissant de de paysans et de bergers ayant été contraints, sous
des menaces de mort, de travailler pendant plusieurs jours pour le groupe
paramilitaire qui contrôlait la région. Ceci dit, la Cour a considéré que le
travail forcé est une forme d’esclavage.
b)
Cour européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme considère que la
définition à l’article premier de la Convention relative à l’esclavage
correspond au sens classique de l’esclavage tel qu’il a été pratiqué pendant
des siècles[28].
Dans son raisonnement la Cour, part tout d’abord du particulier vers le général
en cherchant à déterminer quand une pratique ne constitue pas un travail forcé
ou obligatoire[29].,
Elle vérifie ensuite, si on peut qualifier d’esclavage une telle pratique avant
d’apprécier la qualification de servitude[30]. Cette démarche de la
Cour s’appuie sur une interprétation de l’article 4 de la Convention européenne
des droits de l’homme à la lumière des conventions internationales pertinentes.
Dans ses arrêts, notamment dans l’affaire Van
Der Mussele[31], la Cour a interprété l’article 4 de
sa Convention à la lumière de la
Convention no.29 de l’Organisation internationale du travail.
L’arrêt Siliadin c. France[32]
du 26 juillet 2005 a marqué un tournant majeur dans la définition de
l’esclavage domestique en ce sens qu’il a précisé la notion de servitude. Dans
cette affaire qui concerne une Togolaise, mineure à l’époque, arrivée à Paris
avec une ressortissante française d’origine togolaise (Mme D).
Un
accord avait été passé avec les parents de la jeune Togolaise pour que cette
dernière travaille chez dame D. En contrepartie, Mme D devait s’occuper de la
scolariser. En réalité, la jeune fille a servi en tant que domestique non
rémunérée par les époux D qui lui ont confisqué son passeport. Elle a par
ailleurs servi comme domestique non-payée d’un autre couple, avec l’accord de
Mme D. A une date non précisée, la
requérante réussit à récupérer son passeport. Elle se confia par ailleurs à une
voisine qui alerta le Comité contre l'esclavage moderne, lequel saisit le
parquet du cas de la requérante. Le 28 juillet 1998, les services de police
intervinrent au domicile des époux B. Ceux-ci furent poursuivis pour avoir, de
juillet 1995 à juillet 1998, obtenu d'une personne, en abusant de sa
vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, la fourniture de services non
rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec
l'importance du travail accompli, pour avoir soumis une personne, en abusant de
sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail
ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, et pour avoir engagé et
conservé à leur service un étranger non muni d'une autorisation de travail.
Après une très longue procédure judiciaire, la requérante s’adressa à la CEDH
en alléguant que les dispositions pénales applicables en France ne lui avaient
pas assuré une protection suffisante et effective contre la « servitude » à
laquelle elle a été assujettie ou, à tout le moins, contre le travail « forcé
ou obligatoire » exigé d'elle, au sens de l'article 4 de la Convention
Dans son
raisonnement, la Cour est partie du plus bas seuil des qualifications requises
pour par la suite, envisager les qualifications les plus hautes. Elle a considéré qu’ « il existe en effet une analogie
frappante, et qui n'est pas fortuite, entre le paragraphe 3 de l'article 4 de
la Convention européenne et le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention no
29 de l'OIT. Or le paragraphe 1 du même article précise qu'« aux fins » de
cette dernière, l'expression « travail forcé ou obligatoire » désigne « tout
travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et
pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de son plein gré »[33].
La Cour note qu'en l'espèce que « si la
requérante n'était pas sous la menace d'une « peine », il n'en demeure pas
moins qu'elle était dans une situation équivalente quant à la gravité de la
menace qu'elle pouvait ressentir. En effet, adolescente, dans un pays qui lui
était étranger, elle était en situation irrégulière sur le territoire français
et craignait d'être arrêtée par la police. Les époux B. entretenaient
d'ailleurs cette crainte et lui faisaient espérer une régularisation de sa
situation (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère que la
première condition est remplie, d'autant plus que, la Cour y insiste, la
requérante était mineure. […] Quant à savoir si elle a accompli ce travail de
son plein gré, il ressort clairement des faits établis qu'il ne saurait
sérieusement être soutenu que tel était le cas. Il est au contraire flagrant
qu'aucun autre choix ne lui était offert. […] Dans ces conditions, la Cour
estime que la requérante a, au minimum, été soumise à un travail forcé au sens
de l'article 4 de la Convention alors qu'elle était mineure »[34].
La Cour
a ensuite appliqué le raisonnement qui était le sien dans l’affaire Van Droogenbroeck c. Belgique du 9 juillet 1980. Il y
avait alors défini la servitude en ces termes « [e]n plus de l'obligation de
fournir à autrui certains services, la notion de servitude englobe
l'obligation pour le serf de vivre sur la propriété́ d'autrui et
l'impossibilité́ de changer sa condition »[35]
(par.123). Ainsi, la Cour a conclu que la requérante a été tenue en état de
servitude au sens de l’article 4 (par.129) et que « au vu de la jurisprudence existante sur la question,
que la « servitude » telle qu'entendue par la Convention s'analyse en une
obligation de prêter ses services sous l'empire de la contrainte et qu'elle est
à mettre en lien avec la notion d'« esclavage » qui la précède (Seguin c.
France (déc.), no 42400/98, 7 mars 2000) ».
c)
Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie
Dans l'affaire Le
Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Zukovic[36],
du 22 février 2001, la Chambre de première instance du Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie s'est prononcée sur les éléments
constitutifs de l'esclavage. Dans cette affaire, trois soldats serbes étaient accusés,
entre autres, d’avoir réduits en esclavage des femmes musulmanes.
Les juges ont statué dans cette affaire, à la lumière de
la définition de 1926 en vertu de laquelle : « sont révélateurs d’une
réduction en esclavage les éléments de contrôle et de propriété, la limitation
et le contrôle de l’autonomie, de la liberté de choix ou de circulation et,
souvent, les bénéfices retirés par l’auteur de l’infraction. Le consentement ou
le libre arbitre de la victime fait défaut », « Sont également
symptomatiques l’exploitation, le travail ou service forcé ou obligatoire, (…),
l’utilisation sexuelle, la prostitution et la traite des êtres humains. (…) Le
fait d’acquérir ou de céder une personne contre une rémunération ou un avantage
en nature n’est pas un élément constitutif de la réduction en esclavage»[37].
Ce jugement marque la conceptualisation de la notion de
forme contemporaine d’esclavage[38]. Autrement dit, le
concept d’esclavage au sens traditionnel a été repensé dans cette décision, de
sorte à avoir une interprétation extensive qui s’applique à la forme
contemporaine d’esclavage.
La Première chambre du TPI pou l’ex-Yougoslavie ajoute
qu’une pratique peut remplir les critères remplis par la Convention de 1926
s’il y a « le contrôle des mouvements d’un individu, le contrôle de l’environnement
physique, le contrôle psychologique, les mesures prises pour empêcher ou
décourager toute tentative de fuite, le recours à la force, les menaces de
recourir à la force ou à la contrainte, la durée, la revendication des droits exclusifs,
les traitements cruels et les sévices, le contrôle de la sexualité ou le
travail forcé »[39].
Nous pouvons comprendre de cette interprétation que les
différentes situations d’esclavage se distinguent de par leurs modalités de
mise en œuvre par rapport à la notion classique d’esclavage. Ceci dit, les
conséquences de l’esclavage relève de l’esclavage tel que défini dans le droit
international coutumier[40].
Il
importe également de mentionner que le 12 juin 2002, le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie a statué en Chambre d’appel dans cette
affaire en relevant que le concept traditionnel d’esclavage « a évolué
pour englober diverses formes contemporaines de l’esclavage qui se fondent
elles aussi sur l’exercice de l’un quelconque ou de l’ensemble des attributs du
droit de propriété dans les diverses formes contemporaines d’esclavage, la
victime n’est pas soumise à l’exercice du droit de propriété sous sa forme la
plus extrême, comme c’est le cas lorsque l’esclave est considéré comme un bien
meuble ; mais dans tous les cas, l’exercice de l’un quelconque ou de l’ensemble
des attributs du droit de propriété entraîne, dans une certaine mesure, une
destruction de la personnalité juridique. Cette destruction est plus grave dans
le cas de l’esclave considéré comme bien meuble, mais il ne s’agit là que d’une
différence de degré »[41] .
En ce sens, l’approche du
tribunal permet de lutter plus efficacement contre les formes contemporaines de
l’esclavage[42].
d)
Cour de justice de la Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CJCEDEAO)
Dans l’affaire Hadijatou
Mani Koraou c. Niger, Dame Hadijatou Mani
Koraou aurait été vendue et tenue en esclavage en vertu d’une tradition
bien ancrée au Niger. Cette vente a eu lieu au titre de la « wahiya » par le chef du village qui
consiste à acquérir une jeune fille pour servir de domestique et de concubine[43]. Il l’avait violée alors
qu’elle n’avait que 13 ans et a commis des actes de violence à son égard en
plus des corvées domestiques qu’elle avait à faire. C’est en août 2005 que
cette dernière est devenue libre en vertu d’un « certificat
d’affranchissement » qui mentionnait qu’elle était « libre et n’était
désormais plus esclave de personne ».[44]
La Cour a affirmé que les différents éléments de fait
caractérisent la situation de servilité de la requérante font ressortir tous
les indicateurs de la Convention relative à l’esclavage de 1926 et telle
qu’interprétée par la Chambre d’appel dans l’affaire Kunarac[45]. Toujours en citant cet
arrêt du TPIY, la CJCEDEAO a affirmé que « ce sont des attributs du droit
de propriété qui caractérisent la notion d’esclave »[46].
Dans cet arrêt, la Cour a relevé que « la mise
hors la loi de l’esclavage est une obligation erga omnes qui s’impose à tous
les organes de l’État [et que] le juge national saisi d’une affaire relative
à l’état des personnes [...] doit lorsque l’affaire laisse apparaître un
fait de servitude, soulever d’office ce cas de servitude et entamer la
procédure de répression »[47]. Il en ressort que la Cour
assimile la notion d’esclavage à celle de servitude[48].
Enfin, cet arrêt de la CJCEDEAO a une valeur symbolique
dans la mesure où il a mis au grand jour l’esclavage entre africains qui émane
de pratiques traditionnelles dont les États nient l’existence. Dès lors, l’affaire
Hadijatou revêt une réelle importance de par son caractère nouveau en Afrique.
Conclusion
Il ressort des instruments
internationaux, universels et régionaux ainsi que de la jurisprudence
internationale, qu’il n’existe pas une réelle unanimité sur la prohibition de l’esclavage.
Toutefois, force est de
constater que le cadre juridique a évolué de 1900 à ce jour pour englober les
différentes formes d’esclavage. Il convient de relever la persistance des défis
au niveau du droit international, comme par exemple l’adoption internationale
de critères pour permettre de sanctionner l’esclavage domestique. De plus, la
ratification du Protocole sur le
travail forcé de l’Organisation internationale du travail par les États
constituerait une avancée majeure dans la protection contre l’esclavage, et ce,
sous toutes ses formes.
[2] WEISSBORDT
(David) et la Société anti-esclavagiste internationale, Abolir l’esclavage et ses formes contemporaines, Nations Unies,
2002, p.3.
[4] BASSIOUNI (M. Cherif), «
Enslavement as an International Crime », New York University Journal of
International Law and Politics, vol. 23, 1991, p. 445
[5] Convention de 1926 relative à
l’abolition de l’esclavage, de la servitude, du travail forcé et des
institutions et pratiques analogues (Convention de 1926 relative à
l’esclavage), Recueil des Traités de la Société des Nations, vol. 60, p.
253; entrée en vigueur le 9 mars 1927.
[7] Convention supplémentaire de 1956
relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage (la Convention
supplémentaire), Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 226, p. 3;
entrée en vigueur le 30 avril 1957.
[8] Convention supplémentaire de 1956
relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
instituions et pratiques analogues à l’esclavage (la Convention
supplémentaire), Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 226, p. 3;
entrée en vigueur le 30 avril 1957, art.1.
[9] La Déclaration universelle des
droits de l’homme; le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels; le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
[10] WEISSBORDT
(David) et la Société anti-esclavagiste internationale, Abolir l’esclavage et ses formes contemporaines, Nations Unies,
2002, p.7
[13] La Convention sur le travail forcé
donne la définition de la notion du « travail forcé » en ces termes :
« [T]out
travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et
pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré.[13] »
[15] Statut
de Rome, 17 juillet 1988, R.T.N.U vol. 2187 n° 38544 (entrée en vigueur le
1er juillet 2002)
[17] Convention pour la répression de la
traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui. Résolution 317 (IV) du 2
décembre 1949, Entrée en vigueur : le 25 juillet 1951.
[18] Convention relative à la répression
de la traite des êtres humains et à l’exploitation de la prostitution d’autrui,
art.1.
[19] Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la
traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
Nations Unies, Recueil de Traités, vol.2237, p.319, Doc. A/55/383.
[22] Protocole de 2014 relatif à la
convention sur le travail forcé de 1930, PO29, Genève, 11 juin 2014, art.2.
[26] Les juridictions non envisagées
dans ce § n’ont pas encore, à notre connaissance, développé une jurisprudence
sur le thème de l’esclavage.
[28] ANDRIANTSIMBAZOVINA
(Joël) « L’esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire dans la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : une échelle
pertinente des formes d’exploitation de l’être humain ? », Droits 2010/2
(n° 52), p.104
[29] Ibid,
p. 102.
[32] Cour européenne des droits de l'Homme (C.E.D.H.),
Deuxième section, Arrêt Siliadin c.
France (26 juillet 2005)
(Requête N° 73316/01).
hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=001-69890...pdf
[33] § 116.
[34] § 118,119 et 120.
[35] § 123.
[36] Tribunal Pénal International pour
l'Ex-Yougoslavie, Première Chambre, Le
Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vulkovic, Jugement
du 22 février 2001, requête N° IT-96-23 & 23 T.
[38] Cavallo, M., 2006, Formes contemporaines d’esclavage, de
servitude et travail forcé. TPIY et la CEDH entre passé et avenir, Droits
fondamentaux, n°6, p. 2.
[40] Vayeratta,
Emilie De l’Esclavage moderne : La
lutte contre l’esclavage domestique en droit international, Université de
Lyon, Institut d’études politiques de Lyon, 2011, p.32.
[41] ANDRIANTSIMBAZOVINA
(Joël), « L’esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire dans la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : une échelle
pertinente des formes d’exploitation de l’être humain ? », Droits 2010/2
(n° 52), p.113.
[43] HAMULI
KABUMBA (Yves), La répression
internationale de l’esclavage : Les leçons de l’arrêt de la Cour de
justice de la communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest dans
l’affaire Hadijatou Mani Koraou c. Niger, 27 octobre 2008. Disponible en
ligne : http://www.sqdi.org/wp-content/uploads/212-02-Hamuli.pdf, p.37.
[44] Hadijatou Mani Koraou c. Niger,
ECW/CCJ/JUD/06/08, arrêt, 27 octobre 2008 (Cour de justice de la Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest), en ligne: Refworld http://www.unhcr.org/refworld/docid/491168d42.html, par.76.
[45] Chambre d’Appel du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), dans l’affaire Ministère public c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Vukovic Zoran,
Arrêt du 12 juin 2002, IT-96-23&23/1, § 119.
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