En prévision
des échéances électorales de 2019
La Cour
constitutionnelle a-t-elle une compétence électorale ?
Par
Rafaâ Ben Achour
Professeur émérite
Quelques jours, avant la
célébration de la promulgation de la constitution de 27 janvier 2014, un triste
et affligeant constat doit être fait.
Plusieurs institutions
constitutionnelles n’ont toujours pas vu le jour. Il s’agit là d’une violation
flagrante et gravissime de la constitution elle-même. Cette dernière a pourtant
été claire sur les délais de son entrée en vigueur progressive et n’a pas omis
dans ses dispositions transitoires de mettre à la charge des pouvoirs publics
constitués, essentiellement le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif,
l’obligation de respect de délais précis pour la mise en place de ces
institutions.
Ce triste constat s’impose de
manière particulière pour la mise en place de la Cour constitutionnelle prévue
par le Chapitre V (du pouvoir juridictionnel), section II (Articles 118 à 124) de
la constitution. La Cour aurait dû être mise en place « dans un délai maximum d’un
an à compter
de la date des élections législatives » (article 148 paragraphe 5).
Rappelons tout d’abord, que les premières élections
législatives consécutives à la promulgation de la constitution ont eu lieu le 26 octobre 2014 sur
le territoire national et du 24 au 26 octobre à l'étranger ; ce qui veut
dire que la Cour aurait dû être sur pieds au plus tard en octobre 2015. A ce
jour le retard enregistré est de plus de trois ans
Rappelons
ensuite, que la loi organique relative à la Cour constitutionnelle a été elle-même
adoptée avec un retard certain, à savoir le 20 novembre 2015 et a été
promulguée le 3 décembre 2015 (Loi organique n°
2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle). Le retard de
l’adoption de la loi organique était le premier jalon d’une cascade de retards.
L’adoption de la loi organique était
nécessaire mais pas suffisant pour la mise en place de la Cour. La loi ne
faisait qu’ouvrir la voie à un processus qui s’est révélé, lent et long,
alambiqué et truffé de mauvaise foi. Après l’adoption de la loi encore
fallait-il désigner les membres de la Cour, puisqu’en vertu de l’article 118 de
la constitution « les
dispositions de la deuxième section du Chapitre V relative à la Cour
constitutionnelle entrent en vigueur dès l’achèvement de la nomination des
membres de la première composition de la Cour constitutionnelle ».
Or
la loi organique du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle a mis
en place des procédures compliquées, voire sophistiquées, pour la désignation
des 12 membres de la Cour à raison de
quatre membres pour chaque pouvoir, en commençant par l’Assemblée des
représentants du peuple (ARP), en passant par le Conseil supérieur de la
magistrature (CSM) et en terminant par le Président de la république.
L’ARP
devait donc inaugurer le processus de désignation des quatre membres qui
relèvent de sa compétence, processus ouvert d’abord par la procédure de
sélection des candidatures qui a pris un très long temps et ensuite par la
tenue de séances plénières consacrées au vote sur les candidatures retenues, processus
non achevé à ce jour, puisque l’ARP n’a réussi à élire, le 14 mars 2018, qu’un seul
membre (Mme. Raoudha Ouersighni, magistrate de l’ordre judiciaire) et bute encore
sur la désignation des trois autres membres restant malgré plusieurs tours de
scrutin. C’est que, en vertu de l’article 11 de la loi organique du 3 décembre
2015, la procédure de choix des candidats est d’une part, extrêmement
politisée, le législateur organique l’ayant laissée au bon vouloir et aux
caprices des groupes parlementaires (dont on connaît l’instabilité chronique)
et d’autre part, très formaliste, puisque la majorité requise est celle des 2/3
des membres de l’ARP, majorité très difficile à atteindre quand on connaît la
composition de l’ARP où déjà aucun groupe parlementaire ne détient la majorité
absolue
Une
fois cette première étape franchie, et elle ne risque pas, à notre avis, d’être
franchie de sitôt, à moins d’un miracle peu probable, il y a lieu de passer à
la seconde étape, à savoir la désignation par le CSM des quatre membres qu’il
lui revient de choisir. Là encore, il ne faut pas croire que cette étape sera
franchie à grande vitesse compte tenu des difficultés inhérentes au
fonctionnement du CSM depuis son installation, non encore définitive, mais
également en raison de la lourdeur des procédures prévues par l’article 12 de la
loi organique[1].
A
la suite de ces deux étapes, pleines d’embûches, il est possible de passer à la
dernière étape de désignation, la plus simple, à savoir la désignation des
quatre membres restant par le Président de la république, conformément à
l’article 13 de la loi organique de 2015[2].
Le
parcours du combattant n’est cependant pas achevé suite à cette ultime
désignation car d’autres formalités doivent être respectées pour que la Cour
commence l’exercice effectif de ses compétences constitutionnelles. Parmi ces
formalités citons pêle-mêle : la prestation de serment après la
publication du décret présidentiel de nomination, l’élection du président et du
vice-président, l’adoption du règlement intérieur, etc.
En
clair, la Cour constitutionnelle n’est pas prête de voir le jour dans un proche
avenir et il nous semble très peu probable de la voir surgir avant les
élections de 2019.
Cette
carence constitutionnelle et institutionnelle a-t-elle des conséquences sur la tenue
des élections législatives et présidentielles de 2019 ? En d’autres
termes, l’absence de la Cour constitutionnelle est-elle de nature à empêcher la
tenue des élections à leurs dates normales (novembre, décembre 2019) ?
Pour
répondre à ces questions, que beaucoup se posent et dont cératines ont été
évoquées par le Président de la république lui-même dans son message de vœux à
la Nation le 31 décembre dernier ; il y a lieu de revenir aux dispositions
pertinentes de la constitution de 2014 et de la loi organique de 2015 pour
s’assurer des compétences dévolues à la Cour constitutionnelle et pour savoir
si cette dernière détient des compétences en matière d’organisation, de
contrôle du déroulement des élections ou en matière de contentieux pré ou post
électoral.
Tout
d’abord, aucun article de la constitution ne confère à la future et tant
espérée cour constitutionnelle, la moindre compétence en la matière. En effet,
et contrairement à beaucoup de juridictions constitutionnelles dans le monde,
la Cour tunisienne a été écartée du domaine électoral.
Poursuivant,
la tradition inaugurée en 2011, pour l’élection de l’Assemblée nationale
constituante, le constitution a attribué l’essentiel de la compétence
électorale à une institution constitutionnelle indépendante, dénommée « Instance
supérieure indépendante des élections chargée de l’administration des élections
et des référendums, de leur organisation et de leur supervision au cours de
leurs différentes phases. Elle assure la régularité, la sincérité et la
transparence du processus électoral et proclame les résultats » » (Article
126 de la constitution).
La
loi organique n° 2014 – 16 relative aux élections et aux référendums du 26 mai
2014, telle qu’amendée par la loi organique n° 2017 – 7 du 14 février 2017, a
attribué la possibilité de recours
contre les décisions de l’ISIE, selon le cas, en matière d’inscription sur les
listes électorales ou en matière de contentieux des candidatures ou encore en
matière de contentieux des résultats, aux tribunaux de l’ordre judiciaire ou de
l’ordre administratif.
Quelles
sont alors les compétences attribuées par la constitution à la Cour
constitutionnelle ?
Les
compétences de la Cour constitutionnelle sont au nombre de 9 et sont les
suivantes :
-
le
contrôle de la constitutionnalité des révisions constitutionnelles ;
-
le
contrôle de la constitutionnalité des traités ;
-
le
contrôle de la constitutionnalité des lois a priori.
-
le contrôle de la constitutionnalité des lois
en vigueur ;
-
le contrôle de la constitutionnalité du
Règlement intérieur de l’ARP ;
-
la destitution du Président de la République
en cas de violation grave de la Constitution ;
-
la constatation de la vacance de la présidence
de la République :
-
le
maintien de l’état d’exception ;
-
la
répartition des compétences entre le Président de la République et le Chef du Gouvernement.
Comme
nous le constatons, dans cette simple énumération, la constitution n’attribue
aucune compétence à la Cour constitutionnelle en matière d’élections ou de contentieux
électoral. Il en est de même pour la loi organique de 2015 qui n’a fait que
détailler les modalités et les procédures pour l’exercice de chacune des
compétences de la Cour
En
définitive :
-
le
retard considérable dans la mise en place de la Cour constitutionnelle est une
violation grave de la constitution dont la responsabilité principale est imputable
à l’ARP et à ses groupes parlementaires.
-
Ce
retard n’aura pas de répercussions sur la régularité du processus électoral de
2019 et les élections législatives et présidentielles pourront avoir lieu à
leur date constitutionnelle
-
Enfin,
ce retard ne peut aucunement être brandi pour demander le report des élections
de 2019 comme cela a été souvent répété par des partis politiques, des
associations et même, malheureusement, par certains juristes.
[1]
Art. 12 - Le Conseil
supérieur de la magistrature désigne quatre membres conformément à ce qui suit
:
Chaque
conseil de magistrature a le droit de présenter quatre noms à l'Assemblée
plénière à la condition que trois d'entre eux soient spécialistes en droit.
Est
créée auprès du Conseil supérieur de la magistrature une commission spéciale
composée des présidents des trois conseils de magistrature. Elle est chargée de
s'assurer si les conditions de candidature sont remplies ou non.
L'Assemblée
plénière du Conseil supérieur de la magistrature élit quatre membres au scrutin
secret à la majorité des deux tiers de ses membres à la condition que trois
d'entre eux soient spécialistes en droit.
Il
est procédé si nécessaire à des séances de vote consécutives jusqu'à l’élection
complète des quatre membres.
En
cas d'égalité des voix obtenues, le plus âgé des candidats est déclaré
vainqueur.
[2] Art. 13 - Le Président de la République désigne
quatre membres, à la condition que trois d'entre eux soient spécialistes en
droit.
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