*Résumé : Dans son avis consultatif, rendu le 28 février 2019, à la
demande de l’Assemblée générale des Nations unies, sur « les effets
juridiques de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965 »,
la CIJ a apporté une nouvelle contribution de taille à la définition, à la
nature et à la portée du droit à l’autodétermination.
Après avoir rappelé l’évolution de ce doit, la Haute juridiction
internationale a affirmé que le droit à l’autodétermination a un champ
d’application étendu en tant que « droit humain fondamental » (I).
Elle a par ailleurs, précisé les modalités d’exercice de ce droit qui doit
manifester la « volonté libre et authentique du peuple concerné ». Il
en ressort, en confirmation de la
position connue
en droit international public, que tout détachement d’une partie d’un
territoire autonome, est incompatible avec le droit à l’autodétermination (II).
After recalling the evolution of this right, the High International Court
affirmed that the right to self-determination has a wide scope as a "fundamental
human right" (I). It has also specified the procedures for exercising this
right, which must demonstrate the "free and genuine will of the people
concerned". It comes out, in confirmation of the position known in public
international law, that any detachment of part of an autonomous territory is
incompatible with the right to self-determination (II).
Le droit à l’autodétermination, ou droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, est un « principe politique d’inspiration démocratique »[1]
qui a pour objectif de permettre à chaque population de « disposer
d’elle-même », c’est-à-dire, de déterminer son propre statut politique,
économique, social et culturel en toute liberté et en toute indépendance selon
son libre choix.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes apparaît de ce point de
vue comme un droit fondamental de l’homme et des peuples, selon l’heureuse
expression choisie pour l’intitulé de la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples de 1981.
Il s’agit d’un principe de consécration relativement récente en
droit international. Il a surtout servi de base au mouvement d’émancipation des
peuples assujettis à la domination coloniale. Dans son arrêt de 30 juin 1995, (Affaire
du Timor oriental), la Cour internationale de justice l’a considéré comme
l’un « [d]es principes essentiels du droit international contemporain […]
opposable erga omnes ».
Ce droit trouve son origine dans un principe apparu au milieu du
XIXème siècle : Le principe des nationalités[2] .
D'après le principe des nationalités, chaque nation a le droit de se constituer
en État indépendant. Cependant, ce même principe a parfois servi de fondement à
certaines politiques impérialistes et expansionnistes comme le pangermanisme,
c’est-à-dire, droit pour l'Allemagne de grouper dans un État grand-allemand
toutes les populations de langue allemande.
Le principe des nationalités a reçu une consécration politique dans
les XIV points du Président Américain Wilson développés lors de l'implication
des États-Unis dans la première guerre mondiale. En vertu du point 5 : « [U]n
ajustement libre, ouvert, absolument impartial de tous les territoires
coloniaux, se basant sur le principe qu'en déterminant toutes les questions au
sujet de la souveraineté, les intérêts des populations concernées soient autant
pris en compte que les revendications équitables du gouvernement dont le titre
est à déterminer ».[3]
Le principe des nationalités a engendré au lendemain de la deuxième
guerre mondiale le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce sont
les articles 1er § 2 et 55 de la Charte de l'ONU qui le mentionnent.
En effet, au titre des buts et principes énoncés par la Charte, nous trouvons
celui de « développer entre les Nations des
relations amicales fondées sur le principe de l'égalité de droits des peuples
et leur droit à disposer d'eux- mêmes ».
Depuis, plusieurs autres textes internationaux, notamment de droits
de l’homme, ont repris et affermi le principe. On peut citer :
-
la
résolution fondatrice de l'Assemblée générale de l'ONU n° 1514 (XV) du
14/12/1960 intitulée "Déclaration
sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux". Aux
termes de cette résolution : « Tous les peuples ont le droit de libre détermination,
en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et
poursuivent librement leur développement économique, social et culturel ».
-
les deux
Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme adoptés le 16 décembre
1966 et entrés en vigueur en 1976. L’article 1er commun aux deux
Pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques sociaux
et culturels opère la transformation de ce droit politique en véritable droit
de l’homme et surtout en droit des peuples opposable à tous : « Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En
vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent
librement leur développement économique, social et culturel ».
-
la
résolution 2621 (XXV) du 12/10/70 de l’Assemblée générale de l’ONU qui établit
un programme d’action pour l’application intégrale de la résolution 1514.
-
la
résolution N° 2625 (XXV) du 24/10/1970 de l’Assemblée générale de l’ONU qui
érige le droit à l’auto-détermination en principe de droit international
relatif aux relations amicales et à la coopération entre Etats conformément à
la Charte des Nations Unies.
-
La
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 qui dispose en
son article 20 § 1er que : « Tout peuple a droit à
l'existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et er inaliénable à
l'autodétermination. ll détermine librement son statut politique et assure son
développement économique et social selon la voie qu'il a librement
choisie ».
De son côté, la CIJ a confirmé le caractère de règle de droit
international coutumier du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans sa
jurisprudence aussi bien en matière contentieuse qu’en matière consultative. Elle
l’a fait notamment dans les décisions suivantes :
-
Arrêt
du 30 juin 1995 (Timor oriental, Portugal c. Australie) ;
-
Avis
du 21 juin 1971 (Conséquences juridiques
pour les États de la présence continue de l’Afrique du sud en Namibie
nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité) ;
-
Avis
du 16 octobre 1975 (Sahara occidental) ;
-
Avis
du 9 juillet 2004 (Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le
territoire palestinien occupé) ;
-
Avis
du 25 février 2019, (Effets juridiques de la séparation de
l’archipel des Chagos de Maurice en 1965).
Mais bien que
formulé et réaffirmé à plusieurs reprises, l’acceptation du droit à l’autodétermination
n'est pas dépourvue de toute ambiguïté quant à son contenu et sa mise en œuvre
pratique n'a fait l'unanimité qu'en matière de décolonisation. La multiplicité
des proclamations du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contraste avec sa
réalisation. La jouissance du droit dans la pratique se heurte, surtout dans le
cas des États déjà formés, au principe de l’intégrité territoriale.[4]
Les États se montrent très réticents à l'égard de ce principe et adoptent une pratique
qui tend constamment à le canaliser. Ceux d'entre eux qui se trouvent confrontés
à des problèmes de minorités en rejettent purement et simplement l’acception
retenue par la doctrine et la jurisprudence.[5]
Pour ces États, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne saurait servir
de fondement à la sécession, étant entendu que reconnaître un tel droit aux
minorités serait une porte ouverte à la déstabilisation de l'État et à son
démembrement. L'ONU elle-même s'en est occupée de manière bien timide.[6]
Dans cette contribution,
il s’agit pour nous de revisiter ce droit en tant que droit fondamental de
l’homme à la lumière de l’avis de la CIJ sur l’Archipel des Chagos. Dans cet
avis, rendu le 28 février 2019, à la demande de l’Assemblée générale des
Nations unies, la CIJ apporte une nouvelle contribution de taille à la
définition, à la nature et à la portée du droit à l’autodétermination. Après
avoir rappelé l’évolution de ce doit, la Haute juridiction internationale affirme
que le droit à l’autodétermination a un champ d’application étendu en tant que
« droit humain fondamental » (I). Elle précise ensuite, les modalités
d’exercice de ce droit qui doit manifester la « volonté libre et
authentique du peuple concerné » dont la méconnaissance constitue un acte
international illicite (II).
I.
Le droit à l’autodétermination a un champ d’application étendu en
tant que « droit humain fondamental »
Dans sa demande d’avis
consultatif du 22 juin 2017, l’Assemblée générale des Nations unies (ci-après
l’AG) pose à la Cour les deux questions suivantes :
« a) «Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à
bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la
séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit
international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée
générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232
(XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ? ;
b) Quelles sont
les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations
évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des
Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve
Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en
particulier ceux d’origine chagossienne ?».
Dans la détermination du
droit applicable au processus de décolonisation de Maurice, la Cour affirme
qu’elle « est consciente que le droit à l’autodétermination, en tant que droit
humain fondamental, a un champ d’application étendu ».[7] Il
s’agit là d’une affirmation d’importance dans la mesure où pour la CIJ, le
droit à l’autodétermination est non seulement un droit humain, c’est-à-dire un
droit attaché à la personne humaine (A), mais également un droit humain
fondamental (B)
A.
Le droit à l’autodétermination en tant que droit humain
Les droits humains sont généralement
définis en tant que droits inaliénables intrinsèques à la qualité humaine des
individus ou des groupes. De ce point de vue, le droit à l’autodétermination
est certainement un droit humain dans la mesure où il vise à libérer un groupe
humain de l’avilissement et de la sujétion à une domination exercée au nom
d’une supériorité de civilisation. Le droit à l’autodétermination permet à un
peuple de déterminer, selon son libre arbitre, son statut politique, économique
social et culturel. C’est ce qui ressort de la résolution 1514 (XV) de
l'Assemblée générale de l’ONU en date du 14 décembre 1960, portant Déclaration
sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Déjà, dans le préambule de la Déclaration,
l’AG de l’ONU, avait établi une certaine corrélation entre le droit à la
décolonisation et les droits humains.[8] En
effet, l’auguste Assemblée se déclare « Consciente de ce que les peuples du monde se sont,
dans la Charte des Nations Unies, déclarés résolus à proclamer à nouveau leur
foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la
personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que
des nations, grandes et petites, et à favoriser le progrès social et instaurer
de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Mieux, l’article 1er de la Déclaration est on ne peut
plus clair puisqu’il proclame que « La sujétion des peuples à une subjugation, à une
domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits
fondamentaux de l'homme ».
L’article 1er commun aux deux Pactes de 1966 a
donné à cette proclamation de principe une valeur conventionnelle.
Reconnu en tant que droit humain, le droit à l’autodétermination rejoint
ainsi les droits de l’homme classiques tels que proclamés par les textes nationaux
fondateurs, notamment, la Déclaration des droits de l’Etat de Virginie du 12
juin 1776 et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 3
novembre 1789.
Dans l’avis consultatif sur l’Archipel des Chagos, la CIJ constate
et confirme cette valeur juridique, mais étant donné que la question qui lui
est posée ne concerne que le statut territorial de Chagos, la Haute juridiction
passe très vite sur cet aspect de droit humain. Ceci n’a pas empêché la CIJ à
’affirmer qu’il s’agit par ailleurs d’un droit humain fondamental.
B.
Le droit à l’autodétermination en tant que droit humain fondamental
La notion de droit
fondamental de l’homme trouve son origine dans la Charte des NU.[9] En
effet, il est affirmé dans le paragraphe 2 du Préambule que les peuples des NU
sont résolus « à proclamer à nouveau [leur] foi dans les droits fondamentaux de
l’homme ».
Dans le sillage de la
Charte, la Déclaration des Nations unies dur l’octroi de l’indépendance aux
pays et aux peuples coloniaux affirme haut et fort que : « La sujétion
des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation
étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme ». Expression
récurrente dans plusieurs résolutions des Nations unis dont la résolution 2625
du 24 octobre 1970, l’expression a revêtu une signification juridique
particulière.
Désormais, on fait la
distinction entre droits humains d’une part, et droits humains fondamentaux,
d’autre part. Ces derniers seraient les droits bénéficiant d’une garantie
renforcée. Ils sont définis comme étant « les droits essentiels […] pour
assurer un ordre international de liberté, de justice et de paix ». La notion prête en réalité à confusion notamment avec une
notion voisine, celles de droits de l’homme indérogeables,[10] introduite
par la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés
fondamentales[11]
et reprise par le PIDCP[12].
Ces droits dits indérogeables sont définis comme étant des « droits de
l’homme de caractère impératif auxquels il n’est pas permis de déroger en
aucune circonstance pas même en cas de crise ou de menace de guerre ou de
danger public exceptionnel, de proclamation d’un état d’exception ».[13]
Même si le droit à
l’autodétermination n’est mentionné dans aucun instrument international des
droits de l’homme comme étant un droit indérogeable, il n’est pas incongru de
le considérer ainsi, dans la mesure où il est, au niveau de tout un peuple, la
condition d’existence de ce dernier, sa condition d’accès à la personnalité
juridique internationale. L’article 20 de la Charte africaine dispose dans ce
sens que « tous les peuples ont droit à l’existence ». Pour sa part, l’article 1er § 3 du PIDC le laisse
d’ailleurs entendre quand il stipule que « Les
Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d'administrer
des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de
faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et de
respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations
Unies ». La CIJ est allée dans ce sens dans
son arrêt du 30 juin 1965, Timor oriental, dans lequel elle affirme
« qu’il
n’y a rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte
et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies est un droit opposable erga
omnes ».[14] Dans
l’avis qui nous intéresse, la Cour confirme la même position en ces termes
« Le
respect du droit à l’autodétermination étant une obligation erga omnes,
tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé ».
Certains auteurs, vont
même jusqu’à considérer que le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes constitue une règle de droit général impératif (jus
cogens) , dans la mesure où ce droit figure sur la liste d’exemples des
règles impératives établie par la Commission de droit international dans son
rapport sur le droit des traités.[15]
Dans ce même avis sur
l’Archipel des Chagos, la CIJ confirme sa jurisprudence constante en la matière
en se déclarant « consciente que le droit à l’autodétermination, en tant que
droit humain fondamental, a un champ d’application étendu ». Compte tenu du libellé des questions qui lui étaient posées, la
Cour ne pouvait pas aller au-delà de cette reconnaissance et admet que « cependant, afin
de répondre à la question posée par l’Assemblée générale, elle se limitera,
dans le cadre du présent avis consultatif, à l’analyse du droit à
l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation ». Cela montre que le droit à l’autodétermination, non
seulement, englobe le droit à la décolonisation mais le dépasse en incluant
l’autodétermination du statut politique, économique social et culturel.
II. Les modalités d’exercice du droit humain à
l’autodétermination
Les modalités
d’exercice des droits de l’homme sont multiples. Si au plan interne, l’exercice
de certains droits et libertés obéit soit à un régime préventif, soit à un
régime répressif, et passe par le respect et l’accomplissement de certaines
procédures administratives (déclaration préalable, autorisation, etc.) et
judiciaires[16],
notamment en cas de violation, les modalités d’exercice du droit à
l’autodétermination sont spécifiques et s’exercent désormais sous le contrôle
de l’Assemblée générale des Nations unies surtout après la désuétude du régime
international de tutelle.[17]
Dans son
avis du 25 février 2019, la Cour rappelle les modalités de mise en, œuvre du
droit à l’autodétermination, telles qu’elles ont été posées par le principe VI
de la Déclaration 1541 (XV) du 15 décembre 1966[18].
D’après cette résolution « on peut dire qu’un territoire non autonome a atteint
la pleine souveraineté :
a) Quand il
est devenu un Etat indépendant ;
b) Quand il
est librement associé à un Etat indépendant ; ou
c) Quand il
est intégré à un Etat indépendant »
La Cour « rappelle
que, si l’exercice de l’autodétermination peut se réaliser au travers de l’une
des options prévues par la résolution 1541 (XV), il doit être l’expression de
la volonté libre et authentique du peuple concerné ».
L’expression de la
volonté libre et authentique du peuple concerné n’obéit pas à un mode unique et
déterminé par avance pour tous les cas, mais la consultation du peuple soumis
au joug colonial demeure un mécanisme obligatoire, avec cependant la
possibilité d’exceptions imposées par les circonstances particulières si elle
existent.[19]
La Cour cite à cet effet le paragraphe 59 de son avis sur le Sahara occidental qui déclare que :
« La validité du
principe d’autodétermination, défini comme répondant à la nécessité de
respecter la volonté librement exprimée des peuples, n’est pas diminuée par le
fait que dans certains cas l’Assemblée générale n’a pas cru devoir exiger la
consultation des habitants de tel ou tel territoire. Ces exceptions s’expliquent
soit par la considération qu’une certaine population ne constituait pas un
«peuple» pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction
qu’une consultation eût été sans nécessité aucune, en raison de circonstances
spéciales ».
Appliquant ces principes
à l’Archipel des Chagos détaché par la puissance coloniale britannique de
Maurice au moment de l’accession de cet Etat à l’indépendance en 1968, contrairement
au droit des populations soumise à une domination coloniale à leur intégrité
territoriale, la Cour déclare de manière ferme que « [l]es peuples
des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à
l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit
être respectée par la puissance administrante. Il en découle que tout
détachement par la puissance administrante d’une partie d’un territoire non
autonome, à moins d’être fondé sur la volonté librement exprimée et authentique
du peuple du territoire concerné, est contraire au droit à l’autodétermination ». Il en résulte de manière claire que tout détachement d’un
territoire constitue un acte international illicite qui engage la
responsabilité de la puissance coloniale administrante[20].
Le Royaume-Uni est donc dans l’obligation « de mettre fin à son
administration de l’archipel des Chagos, ce qui permettra à Maurice d’achever
la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à
l’autodétermination ».
****
A la veille de la
célébration du soixantième anniversaire de l’adoption de la Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, des deux Pactes
sur les droits de l’homme, il est curieux de voir persister des situations
anachroniques avec l’évolution de la société internationale et surtout avec la
consécration du respect des droits de l’homme comme norme de droit
international. Des puissances coloniales continuent, non seulement à occuper
illicitement des territoires détachés d’Etats dont l’indépendance a été
reconnue et universellement acceptée, mais également à dénier à des populations
leur droit fondamental de s’autodéterminer.
En 2019 encore, des
puissances comme le Royaume-Uni et les Etats Unis, ont pu soutenir
l’insoutenable dans le prétoire des la CIJ à La Haye et prétendre que le droit fondamental
à l’autodétermination des peuples ne s’applique pas obligatoirement aux
territoires non autonomes.
Par ce nouvel avis
consultatif sur les effets juridique de la séparation de l’archipel des Chagos
de Maurice en 1965, la CIJ n’a fait que réaffirmer des principes et des normes
impératives de droit international connus et très largement admis. Même s’il
n’innove pas, l’avis a le mérite de rappeler ces principes et ces normes et
d’affirmer que le déni du droit fondamental à l’autodétermination constitue un
déni des droits humains et don un acte internationalement illicite.
[1] Dictionnaire
de droit international, Sous la direction de Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2001,
p : 379.
[2]
Cf. REDSLOB (R). “ Le principe des nationalités”. R.C.A.D.I. 1931.
[3]
Formulés par le président Wilson (1913-1921), dans un
discours prononcé devant le Congrès, les Quatorze Points (8 janvier 1918) récapitulent
les buts de guerre poursuivis par les États-Unis, neuf mois après leur entrée
en guerre contre l’Allemagne (6 avril 1917). https://langloishg.fr/2018/01/02/les-quatorze-points-du-president-wilson-8-janvier-1918/
[4] CHRESTILA
(Philippe). Le principe d’intégrité territoriale : d’un pouvoir
discrétionnaire à une compétence liée, Paris l’Harmattan, 2002, 499p.
[5] Cf. BEN ACHOUR (Yadh). "Souveraineté
étatique et protection internationale des minorités". R.C.A.D.I. 1994 (I). Vol 245. P 321 -461.
[6] L’article 27 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques énonce de manière bien timide : ”Dans les États où existe des minorités
ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres
membres de leur groupe, leur propre religion, et d’employer leur propre langue”.
[7] § 144 de l’avis.
[8] Voir dans le
même sens : CIJ Arrêt du 27 juin 2001, LaGrand (Allemagne c.
Etats-Unis) §89 : « La
Cour a déjà établi que le paragraphe 1 de l’article 36 crée des droits
individuels pour les personnes détenues, en sus des droits accordés à 1'Etat
d'envoi, et que, par voie de conséquence, les «droits» visés au paragraphe
2 désignent non seulement les droits de 1'Etat d'envoi, mais aussi ceux des
personnes détenues » (C’est nous qui soulignons).
[9] Cf.
MORIN (Jaques-Yvan). Libertés et droits fondamentaux, Bruxelles,
Bruylant/AUF, 1999 ; MORIN (Jean-Yves). Défis des droits fondamentaux,
Bruxelles, Bruylant/AUF, 2000.
[10] Cf.
HAYIM (Delphine-Olivia). Le concept d’indérogeabilité en droit international
: Une analyse fonctionnelle, Thèse présentée à l’Institut de Hautes Etudes
Internationales et du Développement pour l’obtention du grade de Docteur en
Etudes internationales Spécialisation en droit international, Genève 2012,
Disponible sur : https://www.peacepalacelibrary.nl/ebooks/files/383349435.pdf
[11] Article
15 : « En cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la
vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures
dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte
mesure où la situation l'exige et à la condition que ces mesures ne soient pas
en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
2 La disposition précédente n'autorise aucune dérogation à
l'article 2, sauf pour le cas de décès résultant d'actes licites de guerre, et
aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7 ».
[12] Article 4 §
2 : « La disposition précédente n'autorise aucune dérogation aux
articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 [du Pacte] ».
[13] SALMON (Jean).
Dictionnaire…, Déjà cité, p : 398.
[14] § 20 de
l’arrêt, Rec 1995, p : 102.
[15] En ce sens,
DAILLER (Patrick), FORTEAU (Mathias) et PELLET (Alain). Droit international
public, Pais, LGDJ, 2009, 8ème édition, p : 578.
[16] Cf.
ROBERT (Jacques) et DUFFAR (Jean). Droits de l’homme et libertés
fondamentales, Paris, LGDJ, 8ème édition, 2009.
[17] En 1945,
la Charte des Nations Unies a institué un régime international de tutelle par
son chapitre XII en vue de surveiller certains territoires qui ont
fait l'objet d'accords particuliers de tutelle avec leurs puissances
administrantes. Le régime de tutelle avait pour fin de favoriser le progrès
politique, économique et social des territoires ainsi que leur évolution vers
la capacité à s'administrer eux-mêmes ou vers l'indépendance. Il avait aussi
pour objectif d'encourager le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et de développer le sentiment de l'interdépendance des peuples du
monde. Au cours des premières années d’existence de l’ONU, 11
territoires ont été placés sous régime de tutelle. Depuis, ils ont tous
accédé à l’indépendance ou ont conclu un accord de libre association avec un
autre État. Le dernier territoire à l’avoir fait est le Territoire sous tutelle
des Îles du Pacifique (Palaos), administré par les États-Unis. En 1994, le
Conseil de sécurité a mis un terme à l’Accord de tutelle régissant ce
territoire, après que la population se fut prononcée pour la libre association
avec les États-Unis lors du plébiscite de 1993. Les îles Palaos ont accédé à
l’indépendance en 1994 et ont adhéré à l’ONU la même année, devenant le 185e
État Membre. Plus aucun territoire n’étant placé sous tutelle, le Conseil de
tutelle a achevé sa mission historique. (https://www.un.org/fr/decolonization/its.shtml)
[18]
Intitulée : « Principes qui doivent qui doivent guider les Etats
membres pour déterminer si l’obligation de communiquer des renseignements,
prévue à l’alinéa e de l’article 73 de la Charte des Nations Unies, leur est
applicable ou non ».
[19] Par exemple,
Hong Kong en 1997, et Macao en 1999, ont
été cédés à la Chine en l’absence de toute consultation de populations
concernées en vertu respectivement des accords sino-britannique du 19 décembre
1984 et sino-portugais du 13 avril 1987.
[20] Cf. §
177 de l’avis.
Annuaire africain des droits de l'homme, 2019, vol
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