lundi 13 janvier 2020

A propos des immunités présidentielles et parlementaires


Nombreux sont ceux qui sont persuadés que les immunités dont jouissent certaines personnalités, notamment le Président de la République et les députés, (mais également – il faut le rappeler – les magistrats, les diplomates étrangers dans le pays d’accréditation, les avocats du fait de leurs plaidoiries,etc.) sont des boucliers contre les poursuites judiciaires, des instruments d’impunité ou encore des moyens de protection de délinquants.

A l’occasion des dernières élections présidentielles et législatives, cette perception des immunités s’est consolidée suite à la présentation d’un certain nombre de candidatures de personnes sous l’effet de poursuites judiciaires ou suite à la déclaration de l’élection de certains de ces candidats. On est allé jusqu’à soutenir que la prochaine assemblée sera un refuge de délinquants dont le seul objectif était de se soustraire à la justice grâce à l’immunité parlementaire ou présidentielle.

En réalité les immunités dites politiques, qui nous intéressent ici, sont conférées aux personnes qui en jouissent en raison de l’exercice de leurs fonctions et non aucun caractère absolu.  Elles ont un caractère strictement fonctionnel. Elles ne confèrent à leurs bénéficiaires aucun privilège d’impunité, contraire au principe de l’égalité de tous devant la loi proclamé haut et fort par l’article 21 de notre constitution. Il s’agit d’une garantie attachée au libre exercice du mandat représentatif.

Par ailleurs, il s’agit d’une protection temporaire et conditionnée, reconnue par la constitution elle-même, pour éviter à ces personnalités politiques d’être perturbées dans l’exercice de leurs mandats par des intimidations ou par des poursuites judiciaires intempestives pour n’importe quelle infraction alléguée, à tort ou à raison.

En droit constitutionnel, et cela est pratiquement valable dans tous les Etats du monde, seul le président de la république et les membres du corps législatifs jouissent d’une telle l’immunité.

Quels sont les significations et les conséquences de telles immunités ?

L’immunité présidentielle

Il y a lieu de noter de prime abord que le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est le Chef de l’Etat et, qu’à ce titre, et en vertu de l’article 79 de la constitution, il est « le symbole de son unité [la République] » et « il garantit son indépendance et sa continuité et veille au respect de la Constitution ».

Ainsi, et étant le plus haut personnage de l’Etat, le Chef de l’Etat doit bénéficier d’une certaine protection pour pouvoir exercer ses fonctions sans troubles ni menaces, dans une totale indépendance. Par conséquent, l’immunité présidentielle est censée protéger beaucoup plus le mandat conféré au Président de la République par le peuple souverain, plutôt que sa personne. Cette immunité est qualifiée d’inviolabilité. Par ailleurs, et outre l’irresponsabilité politique du Président, l’inviolabilité est doublée d’une irresponsabilité pénale.

-        L’inviolabilité présidentielle
                                         
A cet effet, l’article 87 § 1 de la Constitution de 2014 a posé en termes clairs, contrairement à la Constitution de 1959, le principe de l’inviolabilité du Président de la République durant l’exercice de ses fonctions en disposant que « Le Président de la République bénéficie de l’immunité durant son mandat ». Le même article précise que « tous les délais de prescription et de déchéance sont suspendus à son encontre » et que « Les actions peuvent reprendre leur cours après la fin de son mandat ».

Très clairement, ce premier paragraphe de l’article 87, tout en conférant au Président de la République une immunité juridictionnelle, ne lui a pas conféré une impunité, puisque le temps des poursuites est simplement suspendu pendant le temps du mandat. Par conséquent, les procédures judiciaires engagées contre lui avant la prise de ses fonctions ou pendant l’exercice de ces dernières sont simplement mises en attente. Dès la fin du mandat présidentiel, le temps juridictionnel reprend son cours.

Une illustration de cette situation nous est fournie par le droit français. En effet, les affaires de la ville de Paris, mettant en cause Jacques Chirac, pour des actes antérieurs à son entrée en fonction, ont été, après plusieurs tergiversations et jurisprudences contradictoires suspendues pendant les deux mandats de Jacques Chirac. Elles ont repris dès le jour où ce dernier a quitté le palais de l’Elysée. En effet, l’ancien président Jacques Chirac a été jugé, plus de quinze ans après les faits, et condamné à deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 15 décembre 2011. Il a été le premier ancien président de la République condamné en correctionnelle et déclaré coupable pour « détournement de fonds publics »« abus de confiance » et « prise illégale d'intérêt ».

-        L’irresponsabilité présidentielle

En plus de l’immunité juridictionnelle dont il jouit, le Président de la République est irresponsable pénalement des actes accomplis dans l’exercice de sa fonction. En effet, et en vertu de l’article 87 § 2 « Le Président de la République ne peut être poursuivi pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ». C’est ce qu’on appelle le principe de l’irresponsabilité présidentielle et qui constitue le deuxième aspect de l’immunité. Ici l’irresponsabilité est totale. Contrairement à l’immunité juridictionnelle, l’irresponsabilité n’est pas simplement temporaire et circonscrite, mais elle est absolue et perpétuelle, c’est-à-dire, que le Président ne peut pas être condamné pour des actes accomplis « dans l’exercice de ses fonctions » même après la fin de son mandat, à moins que ces actes n’aient reçu une qualification pénale.

Il reste que l’irresponsabilité du Président connaît une limite de taille. Elle est prévue par l’article 88 de la Constitution en cas de « violation grave de la constitution ». Dans ce cas, le Président encourt la destitution prononcée par la Cour constitutionnelle suite à l’adoption par les 2/3 des membres de l’ARP d’une motion motivée préalablement déposée par la majorité des membres de l’ARP. La constitution de 2014, a évité de recourir à la notion obsolète et fourre-tout de haute trahison, utilisée par la constitution de 1959, et recourir à la notion en apparence plus précise mais non dépourvue elle-même d’ambiguïté de « violation grave de la constitution ».

Signalons, que « la Cour constitutionnelle ne peut prononcer que la destitution, sans préjudice, le cas échéant, des poursuites pénales » s’il s’avère que la violation grave revêt par ailleurs le caractère d’une infraction pénale.

L’immunité parlementaire

Comme l’immunité présidentielle, l’immunité parlementaire est une protection contre les menaces et intimidations dont les parlementaires peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leur mandat représentatif par les pouvoirs publics ou par les citoyens.

L’immunité parlementaire se compose de deux éléments : l’irresponsabilité et l’inviolabilité

-        L’irresponsabilité

Il s’agit d’une protection du parlementaire en sa qualité d’élu dans le but d’empêcher toute entrave, directe ou indirecte, à l’exercice du mandat parlementaire. Le député ne peut être poursuivi pour les opinions émises ou propositions faites dans l’exercice de sa fonction représentative.

L’irresponsabilité des députés est prévue par l’article 68 de la constitution en vertu duquel « Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de l’Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé, en raison d’opinions ou de propositions émises ou d’actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires ».

Comme relevé plus haut, cette irresponsabilité est liée à la fonction et n’a aucun caractère absolu et ne couvre pas les actes commis en dehors de l’exercice du mandat. Elle s’étend même après la fin du mandat parlementaire. Les actes détachables de l’accomplissement de la fonction parlementaire demeurent soumis au droit commun. Ainsi par exemple, si un parlementaire commet une voie de fait contre un collègue dans l’enceinte parlementaire, il n’est pas absout de poursuites pénales. Il est cependant très difficile de faire une distinction nette et précise entre ce qui relève de l’exercice de la fonction de ce qui n’en relève pas. Il s’agit très souvent d’une appréciation subjective.

-        L’inviolabilité

L’inviolabilité est également qualifiée d’immunité de procédure. Elle assure au député une garantie contre les poursuites pénales abusives ou vexatoire en raison de faits étrangers à l’exercice de la fonction parlementaire.

L’inviolabilité est prévue de manière implicite par l’article 69 de la constitution qui dispose que « Si un député se prévaut par écrit de son immunité pénale, il ne peut être ni poursuivi, ni arrêté durant son mandat, dans le cadre d’une accusation pénale, tant que son immunité n’a pas été levée ».

Il découle de ce texte que les poursuites pénales contre le député pour des actes détachables de la fonction parlementaire sont possible sous conditions : ou bien le parlementaire renonce volontairement à sa protection et dans ce cas la justice prend son cours ; ou bien l’ARP décide, après étude du dossier et des accusations de lever l’immunité et de laisser le député comparaître devant les juridictions.

Il semble que l’abus d’utilisation de cette dernière prérogative lors de la législature écoulée qui a conduit à la perception négative de l’institution et à la pétition appelant à sa suppression.

Saisie de plusieurs demandes de levée de l’immunité (23 demandes), l’ARP n’a pas accédé aux demandes qui lui ont été transmises par le ministre de la justice. Ces dernières n’ont jamais franchi l’étape de l’étude du dossier par la commission permanente instituée à cet effet : la commission du règlement intérieur, de l’immunité et des lois parlementaires et électorales

Cet abus a donné en France à une réforme de l’irresponsabilité parlementaire. La révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui autorise désormais un juge d’instruction à mettre en examen un député selon la procédure de droit commun. Par contre, « Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'assemblée dont il fait partie ».

En vertu de cette réforme, le Président de l’assemblée nationale française, Michel Ferrand a été mis en examen le 16 septembre 2019, après avoir été entendu par trois juges d’instruction pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des mutuelles de Bretagne.
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Ainsi, il ressort clairement que toutes les immunités ont un objectif fonctionnel de protection des élus. Elles ne doivent pas être détournées de leur objectif.

Tout titulaire d’un mandat représentatif doit pouvoir exercer son mandat en toute indépendance dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit. Les immunités sont, de ce point de vue, indispensables.

Cependant, les élus doivent être conscients qu’en tant qu’élus, ils doivent se comporter en citoyens et que l’immunité qui leur est reconnu n’est point un privilège.

Plus que toute autre personne un élu doit être conscient que personne n’est au-dessus de la loi.

Une moralisation de la procédure de levée de l’immunité devrait être envisagée afin d’établir la proportionnalité entre les exigences du mandat électif et les exigences de l’égalité de tous devant la loi.

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