Nombreux sont ceux qui sont persuadés que
les immunités dont jouissent certaines personnalités, notamment le Président de
la République et les députés, (mais également – il faut le rappeler – les
magistrats, les diplomates étrangers dans le pays d’accréditation, les avocats
du fait de leurs plaidoiries,etc.) sont des boucliers contre les poursuites
judiciaires, des instruments d’impunité ou encore des moyens de protection de
délinquants.
A l’occasion des dernières élections
présidentielles et législatives, cette perception des immunités s’est
consolidée suite à la présentation d’un certain nombre de candidatures de
personnes sous l’effet de poursuites judiciaires ou suite à la déclaration de
l’élection de certains de ces candidats. On est allé jusqu’à soutenir que la
prochaine assemblée sera un refuge de délinquants dont le seul objectif était
de se soustraire à la justice grâce à l’immunité parlementaire ou
présidentielle.
En réalité les immunités dites politiques,
qui nous intéressent ici, sont conférées aux personnes qui en jouissent en
raison de l’exercice de leurs fonctions et non aucun caractère absolu. Elles ont un caractère strictement fonctionnel.
Elles ne confèrent à leurs bénéficiaires aucun privilège d’impunité,
contraire au principe de l’égalité de tous devant la loi proclamé haut et fort
par l’article 21 de notre constitution. Il s’agit d’une garantie attachée au libre
exercice du mandat représentatif.
Par ailleurs, il s’agit d’une protection temporaire
et conditionnée, reconnue par la constitution elle-même, pour éviter à
ces personnalités politiques d’être perturbées dans l’exercice de leurs mandats
par des intimidations ou par des poursuites judiciaires intempestives pour
n’importe quelle infraction alléguée, à tort ou à raison.
En droit constitutionnel, et cela est
pratiquement valable dans tous les Etats du monde, seul le président de la
république et les membres du corps législatifs jouissent d’une telle
l’immunité.
Quels sont les significations et les
conséquences de telles immunités ?
L’immunité présidentielle
Il y a lieu de noter de prime abord que
le Président de la République, élu au suffrage universel direct, est le Chef de
l’Etat et, qu’à ce titre, et en vertu de l’article 79 de la constitution, il
est « le symbole de son unité [la République] » et « il garantit
son indépendance et sa continuité et veille au respect de la
Constitution ».
Ainsi, et étant le plus haut personnage
de l’Etat, le Chef de l’Etat doit bénéficier d’une certaine protection pour
pouvoir exercer ses fonctions sans troubles ni menaces, dans une totale
indépendance. Par conséquent, l’immunité présidentielle est censée protéger
beaucoup plus le mandat conféré au Président de la République par le
peuple souverain, plutôt que sa personne. Cette immunité est qualifiée
d’inviolabilité. Par ailleurs, et outre l’irresponsabilité politique du
Président, l’inviolabilité est doublée d’une irresponsabilité pénale.
-
L’inviolabilité
présidentielle
A cet effet, l’article 87 § 1 de la
Constitution de 2014 a posé en termes clairs, contrairement à la Constitution
de 1959, le principe de l’inviolabilité du Président de la République durant
l’exercice de ses fonctions en disposant que « Le Président de la
République bénéficie de l’immunité durant son mandat ». Le même
article précise que « tous les délais de prescription et de déchéance sont
suspendus à son encontre » et que « Les actions peuvent reprendre
leur cours après la fin de son mandat ».
Très clairement, ce premier paragraphe de
l’article 87, tout en conférant au Président de la République une immunité
juridictionnelle, ne lui a pas conféré une impunité, puisque le temps des
poursuites est simplement suspendu pendant le temps du mandat. Par
conséquent, les procédures judiciaires engagées contre lui avant la prise de
ses fonctions ou pendant l’exercice de ces dernières sont simplement mises en
attente. Dès la fin du mandat présidentiel, le temps juridictionnel reprend son
cours.
Une
illustration de cette situation nous est fournie par le droit français. En
effet, les affaires de la ville de Paris, mettant en cause Jacques Chirac, pour
des actes antérieurs à son entrée en fonction, ont été, après plusieurs
tergiversations et jurisprudences contradictoires suspendues pendant les deux
mandats de Jacques Chirac. Elles ont repris dès le jour où ce dernier a quitté
le palais de l’Elysée. En effet, l’ancien président Jacques Chirac a été jugé,
plus de quinze ans après les faits, et condamné à deux ans de prison avec
sursis par le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 15 décembre 2011. Il a été
le premier ancien président de la République condamné en correctionnelle et
déclaré coupable pour « détournement de fonds publics », « abus de
confiance » et « prise illégale d'intérêt ».
-
L’irresponsabilité
présidentielle
En plus de l’immunité juridictionnelle
dont il jouit, le Président de la République est irresponsable pénalement des
actes accomplis dans l’exercice de sa fonction. En effet, et en vertu de
l’article 87 § 2 « Le Président de la République ne peut être poursuivi
pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ». C’est ce
qu’on appelle le principe de l’irresponsabilité présidentielle et qui
constitue le deuxième aspect de l’immunité. Ici l’irresponsabilité est totale.
Contrairement à l’immunité juridictionnelle, l’irresponsabilité n’est pas
simplement temporaire et circonscrite, mais elle est absolue et perpétuelle,
c’est-à-dire, que le Président ne peut pas être condamné pour des actes
accomplis « dans l’exercice de ses fonctions » même après la fin de
son mandat, à moins que ces actes n’aient reçu une qualification pénale.
Il reste que l’irresponsabilité du
Président connaît une limite de taille. Elle est prévue par l’article 88 de la
Constitution en cas de « violation grave de la constitution ».
Dans ce cas, le Président encourt la destitution prononcée par la Cour
constitutionnelle suite à l’adoption par les 2/3 des membres de l’ARP d’une
motion motivée préalablement déposée par la majorité des membres de l’ARP. La
constitution de 2014, a évité de recourir à la notion obsolète et fourre-tout
de haute trahison, utilisée par la constitution de 1959, et recourir à
la notion en apparence plus précise mais non dépourvue elle-même d’ambiguïté de
« violation grave de la constitution ».
Signalons, que « la Cour
constitutionnelle ne peut prononcer que la destitution, sans préjudice, le cas échéant,
des poursuites pénales » s’il s’avère que la violation grave revêt par
ailleurs le caractère d’une infraction pénale.
L’immunité parlementaire
Comme l’immunité présidentielle,
l’immunité parlementaire est une protection contre les menaces et intimidations
dont les parlementaires peuvent être l’objet à l’occasion de l’exercice de leur
mandat représentatif par les pouvoirs publics ou par les citoyens.
L’immunité parlementaire se compose de
deux éléments : l’irresponsabilité et l’inviolabilité
-
L’irresponsabilité
Il s’agit d’une protection du
parlementaire en sa qualité d’élu dans le but d’empêcher toute entrave,
directe ou indirecte, à l’exercice du mandat parlementaire. Le député ne peut
être poursuivi pour les opinions émises ou propositions faites dans l’exercice
de sa fonction représentative.
L’irresponsabilité des députés est prévue
par l’article 68 de la constitution en vertu duquel « Aucune poursuite
judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de
l’Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé, en
raison d’opinions ou de propositions émises ou d’actes accomplis en rapport
avec ses fonctions parlementaires ».
Comme relevé plus haut, cette
irresponsabilité est liée à la fonction et n’a aucun caractère absolu et ne
couvre pas les actes commis en dehors de l’exercice du mandat. Elle s’étend
même après la fin du mandat parlementaire. Les actes détachables de
l’accomplissement de la fonction parlementaire demeurent soumis au droit
commun. Ainsi par exemple, si un parlementaire commet une voie de fait contre
un collègue dans l’enceinte parlementaire, il n’est pas absout de poursuites
pénales. Il est cependant très difficile de faire une distinction nette et
précise entre ce qui relève de l’exercice de la fonction de ce qui n’en relève
pas. Il s’agit très souvent d’une appréciation subjective.
-
L’inviolabilité
L’inviolabilité est également qualifiée
d’immunité de procédure. Elle assure au député une garantie contre les
poursuites pénales abusives ou vexatoire en raison de faits étrangers à
l’exercice de la fonction parlementaire.
L’inviolabilité est prévue de manière
implicite par l’article 69 de la constitution qui dispose que « Si un
député se prévaut par écrit de son immunité pénale, il ne peut être ni
poursuivi, ni arrêté durant son mandat, dans le cadre d’une accusation pénale,
tant que son immunité n’a pas été levée ».
Il découle de ce texte que les poursuites
pénales contre le député pour des actes détachables de la fonction
parlementaire sont possible sous conditions : ou bien le parlementaire
renonce volontairement à sa protection et dans ce cas la justice prend son
cours ; ou bien l’ARP décide, après étude du dossier et des accusations de
lever l’immunité et de laisser le député comparaître devant les juridictions.
Il semble que l’abus d’utilisation de
cette dernière prérogative lors de la législature écoulée qui a conduit à la
perception négative de l’institution et à la pétition appelant à sa suppression.
Saisie de plusieurs demandes de levée de
l’immunité (23 demandes), l’ARP n’a pas accédé aux demandes qui lui ont été
transmises par le ministre de la justice. Ces dernières n’ont jamais franchi
l’étape de l’étude du dossier par la commission permanente instituée à cet
effet : la commission du règlement intérieur, de l’immunité et des lois
parlementaires et électorales
Cet abus a donné en France à une réforme
de l’irresponsabilité parlementaire. La révision constitutionnelle du 4 août
1995 qui autorise désormais un juge d’instruction à mettre en examen un député
selon la procédure de droit commun. Par contre, « Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière
criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure
privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau
de l'assemblée dont il fait partie ».
En vertu de
cette réforme, le Président de l’assemblée nationale française, Michel Ferrand
a été mis en examen le 16 septembre 2019, après avoir été entendu par trois
juges d’instruction pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des mutuelles
de Bretagne.
***
Ainsi, il ressort clairement que toutes
les immunités ont un objectif fonctionnel de protection des élus. Elles
ne doivent pas être détournées de leur objectif.
Tout titulaire d’un mandat représentatif
doit pouvoir exercer son mandat en toute indépendance dans le respect de la
séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit. Les immunités sont, de ce point
de vue, indispensables.
Cependant, les élus doivent être
conscients qu’en tant qu’élus, ils doivent se comporter en citoyens et que
l’immunité qui leur est reconnu n’est point un privilège.
Plus que toute autre personne un élu doit
être conscient que personne n’est au-dessus de la loi.
Une moralisation de la procédure de levée
de l’immunité devrait être envisagée afin d’établir la proportionnalité entre
les exigences du mandat électif et les exigences de l’égalité de tous devant la
loi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire