jeudi 10 mai 2007

Le droit international à la croisée des chemins (Force du droit et droit de la force)

Il est de notoriété publique que la finalité première de tout ordre juridique consiste à réguler les rapports sociaux en veillant à en assurer le caractère pacifique, notamment en canalisant l’usage de la force et en veillant à la préservation du bon ordre (l’ordre public) dans la société. Cette fonction du droit est assurée soit par la prévention de tout acte individuel ou collectif susceptible de troubler la sécurité, la tranquillité ou la salubrité publiques, soit par la répression des crimes et délits. De ce fait, « la règle de droit est escortée en tant que de besoin, par la force publique ». Ainsi, tout ordre juridique repose sur une distinction fondamentale entre le recours légitime à la force, dont le monopole est détenu par la puissance publique, et le recours illégitime ou illicite à la force que la règle de droit prohibe et que la puissance publique sanctionne. Le droit pénal constitue de ce fait l’épine dorsale de tout ordre juridique digne de ce nom.

Cependant, l’ordre juridique international est profondément différent de ce schéma. En effet, pendant très longtemps le recours à la force était un « moyen légitime de mettre en œuvre la politique nationale ».

La première mise hors la loi de la guerre remonte au Pacte Briand-Kellog du 26 août 1928. Cependant, le Pacte Briand-Kellog ne prévoyait aucun mécanisme de contrôle et aucune sanction, ce qui réduisait sensiblement son efficacité. Ni le Pacte de la SDN, ni le Pacte Briand-Kellog n’ont pu éviter la montée des périls et le déclenchement de la Deuxième guerre mondiale

Ce n'est donc qu'avec l'adoption de la Charte des Nations Unies que se substitue au modèle westphalien, caractérisé par la force comme principale source de légitimité, le modèle onusien qui refuse toute légitimité de recours à la force et remplace le droit de la force par la force du droit. Dans la Charte le recours à la force sera non seulement interdit, mais en plus sanctionné. L'article 2§4 pose le principe en termes généraux « Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Littéralement pris, l’article 2§4 de la Charte (et les travaux préparatoires le confirment), ne vise que la force armée. Cependant, la portée de l’interdiction est extrêmement étendue car elle concerne non seulement l’utilisation de la force, mais aussi, et c’est là un progrès révolutionnaire, la menace d’emploi de la force. Ainsi, ce petit paragraphe de la Charte dotait le droit international de ce qui lui a pendant très longtemps fait défaut et transformait fondamentalement sa nature.

Cependant, malgré cette interdiction quasi absolue de recourir à la force, la violence dans les relations internationales n’a pas disparu, et l’article 2§4 de la Charte a été souvent ignoré par les États.

Avec la fin de la guerre froide et le triomphe du multilatéralisme, une société internationale de droit a semblé émerger. Parmi ses principales manifestations il y a lieu de citer le renouveau de l’ONU avec la remise en marche du Conseil de sécurité, le rétrécissement des pouvoirs souverains des Etats, l’apparition de notions nouvelles (jusque là inconnues du droit international) comme la notion de droit d’assistance humanitaire, d’élections honnêtes et périodiques, d’Etat de droit, de démocratie ou de bonne gouvernance. De plus ont été créées des institutions judiciaires internationales nouvelles comme le tribunal international du droit de la mer, les tribunaux pénaux internationaux ad hoc et la Cour pénale internationale. Ainsi, des valeurs universelles comme la condamnation du génocide ou le respect de l’intégrité physique des individus ont été consacrées.

Aujourd’hui, le droit international « palpite au rythme du monde ». Il se trouve plus que jamais à la croisée des chemins, tiraillé entre la force et le droit, écartelé entre unilatéralisme et multilatéralisme. Suite à l’effondrement du monde bipolaire, l’état de grâce consécutif à l’entente retrouvée entre les deux superpuissances a laissé place au doute, au scepticisme et au désenchantement. Après avoir cru à l’émergence d’une véritable communauté internationale[, au triomphe du droit international et à sa primauté, enfin reconnue par tous, les internationalistes constatent aujourd’hui, désemparés et nostalgiques, que cet âge d’or du droit international est derrière lui et « qu’il faut soit rire du ridicule du droit international soit pleurer sa dépouille ». Une nouvelle crise du droit international s’est installée dès la première année de ce XXIème siècle. Elle se manifeste au double point de vue normatif et opérationnel par l’effritement de la force du droit (I) et par l’affirmation du droit de la force (II).

I – L’effritement de la force du droit

A/ L’érosion de l’idée de hiérarchie des normes

En droit international, il n’existe pas de hiérarchie formelle entre les sources, du moins celles qualifiées de principales, c’est-à-dire, les conventions internationales et la coutume. Celles-ci ont la même origine et sont la manifestation de la volonté des Etats. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes pour reconnaître qu’en droit international nous sommes en présence d’une égalité des sources et qu’une coutume peut déroger à un traité et que le traité peut modifier la coutume ou les principes généraux de droit. Les espoirs de voir une hiérarchie des normes s’affirmer grâce à la consécration de la notion de jus cogens se sont évanouis (1). De même, les tentatives faites dans le sens d’une classification des actes illicites internationaux en fonction de leur gravité ont échoué, cette classification ayant été abandonnée dans le projet définitif de la CDI relatif à la responsabilité internationale (2).

B/ Le mauvais départ de la Cour pénale internationale
La CPI a connu dès sa naissance des difficultés importantes, qui se sont ajoutées aux faiblesses intrinsèques du Statut. C’est ainsi que le texte du Statut n’a pas été voté au terme de la Conférence des plénipotentiaires par 7 pays, dont deux membres permanents du Conseil de sécurité : Les Etats-Unis et la Chine. De même, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, seule la France a apposé sa signature au bas de la Convention dès le premier jour. Le Royaume-Uni a attendu quelques mois pour le faire. La Russie a attendu quant à elle deux ans, alors que les Etats-Unis ne l’ont fait que le dernier jour sur décision du Président Clinton qui estima que la seule manière pour les Etats-Unis d’influencer l’évolution de la Cour et de protéger les fonctionnaires américains de poursuites infondées serait d’en signer le statut. Cependant, et suite à l’arrivée de Georges. W. Bush à la Maison blanche, l’administration américaine a saisi le 6 mai 2002, le Secrétaire général de l’ONU d’une communication, signée par le secrétaire d’Etat adjoint pour le contrôle des armements et la sécurité internationale, l’informant que « les Etats-Unis n’ont pas l’intention de ratifier le traité créant la Cour pénale internationale et qu’en conséquence, les Etats-Unis ne sont plus liés d’aucune manière aux buts et objectifs de ce texte » et qu’ils estiment « ne plus avoir d’obligation légale résultant de la signature intervenue le 31 décembre 2000 ».


II – L'installation du droit de la force


Avec la fin de la guerre froide, le Conseil de sécurité n’a pas retrouvé l’exercice de son monopole de la coercition armée. Ce dernier a été exercé dans un premier temps par certains États par délégation du Conseil (a). Dans un deuxième temps, le recours à la force a eu lieu sans même autorisation du Conseil (b).


CONCLUSION

L’effritement de la force du droit d’une part, l’usages illicite de la force d’autre part,, loin de renforcer la primauté du droit international ou des valeurs universelles telles que l’État de droit, le respect des droits de l’homme, n’ont fait qu’affaiblir l’ordre juridique international et la Charte des Nations Unies. La balance du droit et de la force penche désormais du côté de cette dernière.

Deux conceptions divergentes de la force et du droit s’affrontent :

- celle défendue par les Etats-Unis et leurs alliés, essentiellement le Royaume Uni, conception qui prône la force et qui s’inscrit dans une logique de « retour des temps du mépris ». Avec cette conception, nous assistons à une régression des principes fondateurs de l’ordre onusien : l’universalité, la souveraineté, l’égalité, la réciprocité et à un retour du colonialisme, de la politique de la canonnière, de la mission civilisatrice. Les idéaux proclamés dans la Charte des Nations Unies et dans toutes les déclarations adoptées par l’Assemblée générale ou par les institutions spécialisées ont éclaté. Une hyper puissance et quelques satellites opèrent dans le monde selon une logique impériale comme dans un désert du droit ou du moins en vertu d’un droit pensé et imposé par l’empire, « un droit interne à usage externe » qui n’est en réalité qu’une négation du droit international, de la multilatéralité, de la légitimité de l’ONU et de sa centralité. Ils se proclament justiciers et se libèrent du coup de tout scrupule.

- L’autre conception, majoritaire, s’attache à la force du droit international et prône le non recours à la violence, le règlement pacifique des différents internationaux, l’instauration de la paix par le droit, la lutte contre la pauvreté, le respect de droits de la personne humaine et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans le cadre d’un système centralisé dans lequel l’ONU est seule compétente pour décider de l’utilisation de la force.

Comment remédier à cet état de fait ?

De nombreux projets de réforme de la Charte des Nations Unis sont présentés, comme si le mal résidait dans la Charte. En cantonnant le rôle de cet organe principal de l’ONU à un rôle strictement humanitaire et en le réduisant à une simple chambre d’enregistrement du fait accompli, de la politique de la force et de l’ordre du plus fort, certaines grandes puissances ne font qu’accentuer le doute largement répandu quant à l’utilité et l’efficacité du droit international et la conviction que le droit international n’est qu’un droit de légitimation de rapports de force. Pour notre part, nous continuons à croire que la force du droit est toujours supérieure au droit de la force quelle que soit l’ampleur de cette force et quelles que soient les justifications du recours à la force. Les empires sont éphémères mais le droit leur survit.



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